Par Romain Petit

* Cet article, publié dans notre numéro 38/39 en novembre dernier,  fait partie d’une série que vous pouvez retrouver en ligne.[1] 

===> accès à la version imprimée : Operationnels SLDS 38 39 hiver 2018 Nungesser le Resilient

La vie et le courage hors du commun de Charles Nungesser donne tout son sens au mot « résilient ». Cœur aventureux, amateur de sensations extrêmes, personnage flamboyant digne d’un héros de roman, la liste de ses décorations n’a d’égale que celle de ces blessures. Aux antipodes d’un Guynemer[2] à bien des égards même si la même ferveur les anime, le « Hussard de la Mors » n’a jamais eu de cesse de repousser les limites qui étaient celles assignées aux hommes de son époque. Sa disparition à bord de l’Oiseau banc, alors qu’il tentait la première traversée transatlantique en avion, en témoigne tout autant que ses exploits d’as de l’aviation militaire durant la Grande Guerre.

Aux antipodes de Guynemer

Nungesser, qui aurait pu détrôner Fonck comme « as des as » et Guynemer s’il n’avait connu entre autre son terrible accident de févier 2016, est, de par ses origines, son parcours et ses capacités physiques, un homme aux antipodes de celui qui allait donner sa devise à l’Ecole de l’air[3]. L’un est fils de famille, l’autre pas ; Guynemer est parisien, Nungesser provincial[4] ; Georges est de constitution physique frêle, Charles a une allure d’athlète et une santé de fer ; alors que l’ « héritier » suit des études au collège Stanislas de Paris, l’aventurier tumultueux quitte l’Europe et ses créanciers à destination du Brésil, puis de l’Argentine, dans l’espoir d’y rejoindre un parent qu’il ne retrouvera jamais…

Alors que Guynemer a le plus grand mal à être incorporé et ne le sera que de justesse, Nungesser devient un héros en l’espace de quelques semaines de guerre et, à l’aune d’un premier fait d’armes qui lui vaudra son surnom de « Hussard de la Mors », il est décoré de la médaille militaire dès septembre 1914. De prime abord en effet, tout s’épare Guynemer de Nungesser et il faudra l’aviation et la Grande Guerre pour en faire des frères d’armes et révéler chez ces deux hommes les mêmes qualités de courage, de témérité et de ténacité.

De l’aventurier au Hussard de la Mors

Animé d’une fougue et d’une énergie exceptionnelle, Nungesser est très tôt confronté aux difficultés de la vie, il ne craint pas de traverser l’Atlantique bien que n’étant pas encore majeur. Une fois parvenu sur le sol du sous-continent sud-américain, il va exercer toute une série de métiers. Tour à tour boxeur, gaucho ou pilote de course automobile, Nungesser s’affirme comme un cœur aventureux. Amateur de sensations fortes, il prend déjà tous les risques et n’hésite pas à faire le coup de poing même avec des hommes, dont la carrure est bien supérieure à la sienne. C’est en Amérique du sud qu’il va développer sa passion pour l’aviation et qu’il va contracter le virus du pilotage. Dès lors, tous les éléments sont déjà en place pour faire de Nungesser un personnage hors normes, littéralement atypique et flamboyant. La Grande Guerre va donner l’occasion au jeune homme de trouver sa vocation et de devenir une légende…

Nous sommes le 3 septembre 1914, au cours d’une mission de reconnaissance, Nungesser, fraîchement incorporé au 2e régiment de Hussards, porte à la fois secours à son officier blessé et capture avec l’aide de quelques fantassins une automobile de type Mors tuant à la fois ses occupants et surtout, récupérant les documents qu’elle contenait. De retour dans son régiment, après avoir traversé les lignes ennemies sous un feu nourri au volant du véhicule capturé, son exploit fait sensation et monte jusqu’aux oreilles du général qui commande sa division. Ce dernier lui fait obtenir immédiatement la médaille militaire et lui donne donc son surnom de Hussard de la Mors, par référence au Hussards de la Mort, escadron créé en 1792 et dont la devise était « vaincre ou mourir ».

Nungesser étant déjà un soldat à qui l’on ne peut rien refuser, il demande de rejoindre une escadrille pour y servir comme pilote dans l’aviation ; ce choix détermine à jamais son destin. Affecté à l’école d’Avord en janvier 1915, il obtient son brevet de pilote militaire en mars et rejoint le 8 avril l’escadrille VB 106 stationnée à Dunkerque. Là il pilotera un bombardier de type Voisin III et accomplira pas moins de cinquante-trois missions de bombardement avec son ami et mécanicien Pochon. Il n’est pas rare que son avion revienne criblé de balles notamment parce que Nungesser ne se « contente » pas de mener à bien des missions de bombardement ; il fait bien souvent de chaque vol une occasion pour faire la chasse aux avions que le destin met sur son chemin. C’est ainsi qu’il abat un Albatros allemand en juillet 1915, ce qui lui vaudra la légion d’honneur et sa nomination au grade de sous-lieutenant, ainsi qu’une mutation préférentielle dans l’escadrille de chasse dans laquelle il va briller au firmament des as : la N65 basée à Nancy, équipée des Nieuport « bébé », avion auquel le nom de Nungesser reste attaché. Affecté à la N 65, Charles y fait montre d’un tempérament de feu et d’un courage qui frappe les esprits de tous ces camarades d’armes. Il fait montre volontiers aussi d’une certaine indépendance d’esprit et ne peut s’empêcher de fréquemment terminer ses patrouilles par des acrobaties au-dessus de son terrain d’aviation, ce qui lui vaudra quelques jours d’arrêts, que le commandement fera tout aussi rapidement levé ne pouvant se passer de l’excellence des services de Nungesser alors que la guerre de position bat son plein…

Nungesser l’indestructible, Charles le résilient

Fidèle à son caractère fougueux et aventurier, respecté au sein de son unité comme étant un pilote hors pair, fort aussi de son expérience de pilote dans la pampa argentine où les conditions climatiques extrêmes poussent les pilotes à s’adapter, Nungesser est choisi au début de l’année 2016 pour tester un prototype d’avion de chasse, le Ponnier. Décidé à ne pas ménager la machine, l’indestructible Nungesser s’élance dans les airs et pousse d’entrée l’avion dans ses retranchements. Le résultat ne se fait pas attendre : l’avion part en vrille et Charles s’écrase au sol. Le manche à balai lui traverse la mâchoire et il souffre de multiples fractures notamment aux jambes et de nombreuses contusions. On croit sa carrière finie, il n’en n’est rien ! A peine sorti de l’hôpital et après une période passée dans le coma, il refuse sa réforme et se bat bec et ongles pour retourner sur Nancy. C’est ainsi que le 2 avril, armé de béquilles (il ne se déplacera plus désormais sans une canne), Charles Nungesser rejoint le front et s’engage – alors qu’il faut encore deux hommes pour l’installer dans son avion – dans la bataille de Verdun dont chacun sait qu’elle fut aussi une grande bataille aérienne. Il y remportera dix victoires avant d’aller rejoindre le front non moins terrible de la Somme. Nungesser aura toujours une pensée pour les hommes des tranchées, se considérant comme un privilégié et conscient par-dessus tout de ses devoirs envers ses frères d’armes. Homme au caractère bien trempé mais simple d’abord, Nungesser était un mélange de tête brulée, d’ambitieux et d’homme au grand cœur. Une étonnante alchimie entre ses diverses composantes de sa personne en a fait le pilote d’exception et le combattant exceptionnel que l’on sait, toujours soucieux de venir en aide aux pilotes étrangers alliés, ce qui lui vaudra notamment d’obtenir de surcroît des décorations anglaises, américaines, belges et serbes !

Lors de la bataille de la Somme, il remportera neuf autres victoires et fera peindre pour la première fois son insigne personnel : une tête de mort aux tibias entrecroisés, surmontée par un cercueil entouré de deux chandeliers, le tout dessiné dans un cœur noir en hommage notamment à son surnom ainsi qu’à son terrible accident de 1916. A la fin de la Grande Guerre, Nungesser cumulera quarante-cinq victoires homologuées et sa croix de guerre comptera vingt-huit palmes et deux étoiles… Rien ni personne ne l’aura empêché de voler et de combattre jusqu’au dernier jour, même s’il ne participera pas aux dernières grandes offensives, le temps des pilotes solitaires étant alors révolu. Troisième As de l’aviation française derrière Fonck et Guynemer, Nungesser aura surtout marqué les esprits par sa capacité à ne jamais jeter l’éponge, à ne jamais se résigner, aussi cruelles que furent les épreuves qui jalonnèrent sa vie…

Le chant du Cygne d’un pilote et d’un guerrier

Rendu à la vie civile à l’armistice, Nungesser continuera de connaître une vie tumultueuse et d’aventures, la dernière lui ayant été fatale. La Grande Guerre étant terminée, Charles ambitionne de continuer de vivre ou de survivre de sa passion : l’aviation. Il fondera alors une société, la Nungesser-Aviation, spécialisée dans le transport aérien, puis une école de pilotage à Orly. Mais le téméraire Nungesser ne possède pas la bosse des affaires et finit par faire faillite malgré sa renommée et les soutiens politiques de poids qui sont les siens. Il décide donc de traverser à nouveau l’Atlantique pour rejoindre cette fois-ci le sous-continent nord-américain, où il fait ce qu’il sait faire de mieux : piloter ! Il gagne alors sa vie en reconstituant des combats aériens lors de meetings et se fera même embaucher par Hollywood pour tourner en vedette  dans le film The Sky Raider. Fidèle à lui-même, Nungesser vit toujours aussi intensément et flambe son argent à tout va. C’est ainsi qu’il décide de participer avec François Coli, aviateur de renom ayant perdu l’usage de son œil droit, au prix Orteig qui promet vingt-cinq mille dollars de récompense à l’équipage qui traversera le premier l’Atlantique. C’est ainsi que le 8 mai 1927 à 5h20 du matin, les deux hommes décollent du Bourget à bord de leur biplan L’Oiseau Blanc. On les apercevra pour la dernière fois au-dessus d’Etretat où un musée a été créé à leur mémoire. Deux semaines plus tard, un autre Charles, Lindbergh en l’occurrence, réussissait la traversée de l’Atlantique en avion à bord du Spirit of Saint-Louis…

Nungesser fut un enfant terrible, un officier et un pilote d’exception[5] et un homme dont la soif de vivre et la passion demeurent contagieuses et inoxydables. A l’heure où les penseurs en charge de la stratégie de défense de la France invitent à la résilience de la Nation, la vie de Charles Nungesser demeure un exemple.

 

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Notes 

[1] Au fil du centenaire est une série d’une vingtaine d’articles consacrés à la Première Guerre mondiale que vous pouvez retrouvez en ligne.

[2] Voir notre article : Les As : arme de persuasion massive durant la Première Guerre mondiale, Opérationnels 35/36 été 2017.

[3] La devise de Guynemer était : Faire face.

[4] Né à Paris, Charles Nungesser grandit à Valenciennes suite au divorce de ses parents.

[5] Il est d’ailleurs le parrain de la  54ème promotion de l’EMIA (Ecole militaire interarmes).

 

Photo © http://www.allocine.fr