Comme nous le soulignions dans notre précédent article, l’opération Licorne aura duré plus de 12 années et aura accompagné la dégradation de la relation privilégiée qui liait la France et la Côte d’Ivoire. Au-delà des conséquences géopolitiques et économiques associées à ce moment, l’armée française aura, pour sa part, tiré les leçons de ce conflit hors norme avec la mise en œuvre d’une approche globale dans la conduite des hostilités. Ladite approche globale ramènera sur le devant de la scène doctrinale des questions et des enjeux que le conflit afghan qui se déroule en parallèle de la crise ivoirienne ne fera qu’entériner. Les opérations Serval, Sangaris et Barkhane ont toutes été influencées dans leur conduite par Licorne.
En termes stratégiques, Licorne renverra l’armée française face à des enjeux qu’elle n’avait pas connu depuis les guerres d’Indochine et d’Algérie, le tout sur fond de guerre de l’information où la manipulation des images et des émotions créeront une vigilance nouvelle pour les cadres des armées, jetés, là encore, en première ligne de ce nouveau front.
Ce que l’armée française va redécouvrir avec Licorne (en même temps qu’avec l’Afghanistan mais de manière plus aigüe au sein de cette ancienne colonie) est le fait que gagner les cœurs et les esprits de la population civile demeure l’objectif principal dans ce type de crise. Licorne va révéler à la fois de nouveaux enjeux tactiques et opératifs oubliés depuis l’Algérie mais aussi des enjeux civilo-militaire qui conduiront l’armée française à s’adapter à une menace devenue hybride et à se concentrer sur le jus post bellum qui seul permet la mise en œuvre d’une logique de reconstruction efficace et efficiente.
Concernant les enjeux d’ordre tactique, force est de constater que Licorne aura remis sur le devant de la scène opérationnelle l’importance cardinale de la dimension aéroportée via notamment l’emploi des hélicoptères lors des moments de haute intensité de la crise ivoirienne. Face à un territoire immense et dans un environnement où la zone de front disparaît, l’adaptabilité et la polyvalence ont été les maitres mots de l’efficacité opérationnelle de Licorne. Ce que Licorne a par ailleurs révélé, en simultané avec l’Afghanistan toujours, est le besoin crucial désormais de disposer d’une force logistique projetable sur de longues distances et apte à suivre au plus près les troupes de l’avant afin de les soutenir au plus juste.
Licorne a aussi été une opération menée dans un contexte de manipulation et de désinformation aigüe. Convaincre du bien fondé de l’action de l’armée française a été une bataille de tous les instants face à un ennemi caméléon tantôt pro tantôt anti français. Chaque acte a pesé lourd dans la conduite des opérations et l’affaire Firmin Mahé est là pour nous le rappeler vivement. Le but ultime de l’opération ayant été de favoriser le retour à la normal et l’imposition de la paix, les actes de chaque soldat ont exposé la réputation de la France à chaque instant durant cette crise. Licorne a rappelé aux états-majors français à quel point la rumeur et la propagande sont des armes de guerre qui peuvent se révéler de haute intensité.
Licorne est un concentré de la plupart des enjeux liés aux conflits contemporains : vulnérabilité des flux logistiques, adaptabilité requise du personnel déployé, rôle déterminant de la guerre des mots et des images, importance retrouvée de la dimension aéroportée, nécessité de préparer le temps d’après conflit, affirmation du rôle du soldat dans sa mission de médiateur de la violence, comme pont de sens entre intervention et reconstruction. Autant d’éléments qui nous ramènent à méditer l’axiome stratégique légué par Gallieni et Lyautey qui nous dit que l’adversaire d’aujourd’hui est le collaborateur de demain.
Crédits photo Thomas Goisque