Par Giulia Tilenni, analyste italienne des questions internationales* – Introduite voici dix ans dans le cadre du Traité de Lisbonne, la Coopération Structurée Permanente (PESCO) est enfin établie et les pays membres travaillent sur les premiers projets de coopération.

Régi par les articles 42.6 et 46 du Traité sur l’Union Européenne du 2007, le dispositif juridique issu de la Coopération structurée permanente permet aux pays membres de renforcer leur niveau de coopération de défense en proposant deux avancées majeures favorisant la construction de la défense commune européenne. Premièrement, les engagements pris par les membres au sein de la PESCO sont de nature contraignante. Deuxièmement, les membres qui n’adhérent pas à la PESCO n’ont aucun droit de vote sur les décisions concernant cette coopération et les projets initiés dans ce cadre.

Au total, vingt-cinq États membres ont adhéré à la PESCO : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède. En dehors de l’option de retrait du Danemark en matière de politique de défense, Malte et le Royaume Uni sont les seuls États membres qui ne participent pas à la PESCO.

Le lancement formel de la PESCO a eu lieu le 11 décembre dernier, presqu’un an après le début des négociations. Un pari gagné pour la Haute Représentante Mogherini, lequel s’inscrit dans un processus de renforcement de la défense commune avec l’approbation en 2016 de la Stratégie globale pour l’Union européenne. La PESCO ne peut ainsi se comprendre qu’en étroite relation avec les autres mesures politiques et économiques conçues pour exécuter cette Stratégie. Les projets capacitaires approuvés dans le cadre de la PESCO pourront être partialement financés par le fonds européen de défense, à hauteur maximale de vingt pour cent des coûts, voire trente pour cent s’il s’agit de prototypes.

Certains projets PESCO seront identifiés sur la base des priorités établies par le CARD (pour « Coordinated Annual Review on Defence ») ou Revue annuelle coordonnée de défense. La CARD, dont la méthodologie fait actuellement l’objet d’une étude, devrait permettre à partir du 2019 l’évaluation des capacités militaires de chacun pays membre et la connaissance des évolutions des plans de défense nationaux.

A quoi les participants s’engagent-ils ?

Tous les participants à la PESCO se sont engagés à coopérer pour la réalisation d’objectifs communs. Parmi ces objectifs, on trouve :

  • l’augmentation régulière des budgets de la défense ;
  • l’harmonisation et l’optimisation des capacités et des dispositifs militaires ;
  • l’amélioration de la disponibilité, de l’interopérabilité, de la flexibilité et de la capacité de projection (« deployability ») des forces armées ;
  • l’utilisation des projets communs afin de combler les lacunes capacitaires, renforcer la Base Industrielle et Technologique de Défense Européenne (BITDE) et accroître l’indépendance stratégique européenne.

La réalisation de ces objectifs doit s’appuyer sur différents projets, chacun guidé par une nation cadre.  Les pays qui choisissent de participer à un projet peuvent avoir le statut de participant ou d’observateur. La PESCO compte actuellement dix-sept projets dans six domaines spécifiques :

  • Capacités (6) : commandement médical européen (EMC) ; logiciel de sécurisation des radiofréquences (ESSOR) ; réseau de « hubs » logistiques et soutien aux opérations ; mobilité militaire ; soutien énergie en opération ; système de commandement et contrôle des missions et opérations PSDC.
  • Formation (2) : centre européen pour les missions de formation ; centre européen de certification de la formation pour les armées européennes.
  • Cyber (2) : plate-forme pour le partage d’informations en matière de réponse aux cyber-menaces ; assistance en matière de cyber-sécurité et mise sur pied d’équipes d’intervention informatique rapide.
  • Sécurité maritime (3) : développement de drones sous-marins détecteurs et destructeurs de mines ; protection et surveillance portuaires et maritimes ; modernisation du système de surveillance maritime.
  • Sécurité terrestre (4) : soutien militaire projetable en cas de catastrophe ; véhicules blindés amphibie (AAV), léger (LAV), d’infanterie (AIFV) ; soutien indirect au tir (EuroArtillery) ; noyau opérationnel de crise.

La Haute Représentante Mogherini a confirmé que d’autres projets doivent être bientôt approuvés.

L’impact de la PESCO sur la Politique de Sécurité et Défense Commune (PSDC)

Même si la PESCO vient d’être approuvée, une analyse préliminaire de son impact sur la PSDC est déjà possible. Le fait que les pays membres se soient engagés à œuvrer en faveur d’une coopération de défense plus étroite n’est pas un simple geste symbolique, mais reflète, d’un point de vue purement politique, une réelle prise de conscience : les membres semblent avoir finalement compris que la coopération permet de mieux protéger les citoyens européens et semblent d’accord pour aller au-delà des annonces politiques des dix dernières années en travaillant sur des mesures de coopération plus concrètes. Si l’engagement politique actuel se maintient dans la durée, la PESCO représentera un des premiers gestes réels pour une défense européenne plus intégrée.

En revanche, l’impact de la PESCO en matière militaire se révèle pour l’heure limité. La PESCO n’est pas le premier pas vers la création d’une armée commune européenne et il n’est pas prévu de créer des forces d’intervention rapide communes susceptibles de se substituer ou d’intégrer les groupements tactiques des membres de l’Union Européenne. Le nombre élevé de participants à la PESCO se conjugue mal en effet avec l’approbation de mesures radicales et plus le nombre de participants est élevé, moins l’impact semble de façon générale important sur le plan militaire. Le consensus politique qu’il suppose tend au contraire à privilégier les mesures militaires les plus faciles à réaliser. Emblématique est par exemple le du projet d’amélioration de la mobilité militaire, qui réunit vingt-trois participants et un observateur, mais dont l’impact sur la défense européenne au sens strict s’avère plutôt limité. En revanche, le projet ESSOR (« European Secure Software Defined Radio »), qui pourrait augmenter l’indépendance stratégique européenne dans le domaine des communications militaires sécurisés, compte actuellement sept participants et deux observateurs.

L’impact de la PESCO sur la relation UE-OTAN

A court terme, la PESCO n’aura probablement aucun impact sur la relation UE-OTAN. Les documents officiels concernant la PESCO soulignent une certaine continuité en mettant en avant le fait que cette forme de coopération est complémentaire à l’OTAN. Une telle complémentarité ne serait remise en cause qu’en cas de divergence des politiques des deux organisations, qui semble peu probable en l’état actuel de la menace. Pour l’instant, la PESCO semble donc plus une opportunité, qu’une menace à la cohésion de l’OTAN, en ce sens que l’Alliance atlantique pourra profiter de l’amélioration des capacités militaires qui devrait découler des engagements PESCO et bénéficier directement de certains d’entre eux, tels que celui sur la mobilité militaire. Ce projet permettra en effet aux États membres de mieux contribuer aux missions OTAN, et aux forces armées des États-Unis de mieux se déplacer quand ils se trouvent en Europe.

L’impact de la PESCO sur la relation UE-OTAN pourrait se révéler plus élevé si les priorités de l’une ou de l’autre diffèrent, puisque vingt membres de l’UE participant à la PESCO sont aussi membres de l’OTAN. Selon les documents officiels sur la PESCO, les pays membres pourront garder la possibilité d’utiliser les capacités développées grâce à la PESCO dans leurs engagements auprès d’organisations comme l’OTAN ou les Nations Unis. Faute de moyens suffisants pour remplir les éventuelles requêtes simultanées des différentes organisations, les pays membres pourraient être contraints de ne participer qu’à certaines opérations. Un dilemme existant déjà à l’heure actuelle, mais qui pourrait aller en s’accroissant, si certains États membres basaient la construction de leurs nouvelles capacités militaires en fonction d’un agenda européen foncièrement divergeant.

 

* Giulia Tilenni est analyste pour différents magazines internationaux de sécurité et défense, tels que European Security & Defense ou encore Defence Procurement International. Ses domaines d’expertise sont les questions de défense européennes (budget, géostratégie, politiques nationales) et le marché international des drones. Lire par exemple >>> Current security issues in the Mediterranean ; DPI – Turkish UAVs ; ESD_04_2017

Illustration © https://www.geopolintelligence.com/european-defence-core-groups-permanent-structured-cooperation/