(Par Murielle Delaporte ) – Entretien avec le Général d’armée aérienne André Lanata

« Brique par brique », pourrait être la devise du Général d’armée aérienne André Lanata, un principe d’action et de construction concrètes qui a porté ses fruits lorsqu’il était Chef d’état-major de l’armée de l’Air dans la mise en œuvre du projet aujourd’hui phare de cette dernière, à savoir le SCAF (système de combat aérien futur). C’est cette même approche qu’il entend adopter au travers de sa nouvelle mission à la tête du Commandement Allié Transformation ou ACT (pour « Allied Command Transformation »), l’un des deux commandements alliés de l’OTAN avec ACO (« Allied Command Operation »), respectivement basés à Norfolk aux Etats-Unis et Mons en Belgique. Seul commandement sur le sol américain, ACT constitue ainsi un trait d’union entre l’Europe et l’Amérique du Nord.

Avec une cérémonie de passation de commandement célébrée un 11 septembre et organisée dans l’attente d’un ouragan de catégorie 41 le ton semble avoir été donné pour la prise de fonction du Général Lanata, dont la sérénité et l’approche confiante en l’avenir tranchent cependant avec les défis auxquels ACT est aujourd’hui confronté.

Lorsqu’interrogé sur son positionnement et ses priorités d’action par rapport à ses prestigieux prédécesseurs du Général Abrial au Général Mercier, mais aussi par rapport à la résurgence croissante de menaces de haute intensité mêlée à la prolifération de technologies de rupture, l’ancien CEMAA (chef d’état-major de l’armée de l’Air) n’hésite pas une seconde : « Résolument dans la continuité … L’alliance a toujours su répondre présente face aux conflits périphériques la menaçant, et ses opérations en coalition, telles que celle menée au Levant (Operation Inherent Resolve) ou en Afghanistan (Resolute Support Mission), en sont l’illustration. Le rôle d’ACT est précisément d’identifier et d’analyser de la façon la plus réaliste possible la nature et l’étendue des menaces ainsi que les capacités nécessaires pour y faire face », souligne-t-il.

Les processus existant au sein d’ACT (tels le FFAO – « Framework for Future Alliance Operations » – et de l’OTAN en général (tels le NDPP – « NATO Defense Planning Process » -) permettent d’identifier les lacunes capacitaires au sein des vingt-neuf, puis de proposer des solutions concrètes afin de combler ces dernières en fonction des possibilités financières, technologiques, militaires et/ou politiques de chacun des membres. ACT se situant en amont du processus agit plus comme « warfare development headquarters », que l’on pourrait traduire comme le « siège de l’élaboration de l’art de la guerre de demain » par opposition au siège de la planification et de la mise-en-œuvre de la guerre d’aujourd’hui (« warfighting Headquarters ») qui relève d’ACO. En français « warfare » et « warfighting » sont d’un point de vue sémantique souvent traduits de la même façon par le mot « guerre », ce qui est en un sens révélateur du caractère indispensable de chacune des missions dans la poursuite de toute victoire, quel que soit l’adversaire.

La différence réside dans le temps, la mission d’ACT se situant davantage dans le temps long inhérent à tout travail de prospective et d’anticipation. Un temps long qui contraste avec le temps court qui régit la sphère politique des Etats-membres et qui rend plus difficilement palpable l’importance de cette fonction.

Poursuivre l’élargissement de l’« écosystème allant au-delà des murs de défense »2, que ses deux prédécesseurs ont activement développé par le biais de partenariats avec les industriels, les universités et les centres de recherche, fait partie des objectifs du nouveau SACT en en rendant plus visibles les avancées concrètes. D’où par exemple la volonté d’adjoindre un « innovation lab » au déjà existant « innovation hub » fonctionnant sur la base des meilleures pratiques d’organisations dédiées comme la DARPA aux Etats-Unis.

Autre chantier en construction à reprendre : la finalisation de la réforme de la structure de commandement de l’OTAN (NCS pour « NATO Command Structure »). L’un des changements importants affectant ACT est le regroupement des compétences de la planification des exercices au sein d’ACO, « ACT conservant toutefois le « lead » sur les aspects « Transformation » des exercices, ainsi que le commandement des centres JFTC (« Joint Forces Training Center ») et JWC (« Joint Warfare Center ») », précise cependant le Général Lanata, lequel place beaucoup d’espoir en la modélisation et la simulation comme outil majeur permettant à l’Alliance de faire face à tout type de scenarii.

Ce n’est de fait pas un hasard si la toute première visite du Commandant suprême allié Transformation en Europe fut le 1er octobre dernier à Bydgoszcz en Pologne3, où réside le JFTC, c’est-à-dire le Centre d’entraînement des forces alliées, et où a lieu chaque année l’exercice expérimentation CWIX (« Coalition Warrior Interoperability eXploration, eXperimentation, eXamination, eXercise »)4. « A ACT, nous produisons traditionnellement de la norme. Mais cela va bien au-delà de la compatibilité des équipements militaires », rappelle-t-il. L’interopérabilité par le développement de standards et de certifications concerne en effet tout autant les matériels que les doctrines d’emploi et l’entraînement commun qui permet d’harmoniser les procédures et d’être prêts le jour « J ». Un exercice comme Trident Juncture (TRJE18) qui a eu lieu en octobre et novembre derniers en Norvège a permis de tester nombre de nouveaux équipements (drone délivrant des pièces détachées construites en imprimante 3D par exemple5), mais aussi de nouveaux concepts, tels celui d’unités pétrolières multinationales modulaires ou MCPU pour « Modular Combined Petroleum Units »)6.

Interopérabilité et innovation sont de fait les fers de lance d’ACT. Injecter cette innovation pour renforcer l’interopérabilité, en raisonnant sur la base de nouvelles architectures construites sur le partage de données (« data-centric capacity architecture ») et non plus seulement de plateformes (« platform-centric capacity architecture ») pour aller vers de véritables capacités de combat collaboratif connecté (« collaborative connected warfare »7), constitue l’une des priorités du Général Lanata face à un défi et enjeu majeurs : assouplir les barrières nationales dans ce domaine. « Si les études prospectives que nous menons – comme par exemple en ce moment sur l’évolution des missiles de portée intermédiaire – permettent de confronter les points de vue et les informations recueillis par les vingt-neuf, il est beaucoup plus difficile d’arriver à un véritable partage de données sur des capacités non adverses. Le partage d’informations est notamment essentiel dans les travaux menés en matière d’intelligence artificielle et de Big Data, ne serait-ce que pour définir un cadre éthico-juridique quant à son utilisation à des fins militaires », rappelle SACT. Un domaine qui pourrait par ailleurs faciliter un rééquililbrage du partage du fardeau, en permettant à toutes les nations, même les plus petites, de participer à part égale.

En cette année d’anniversaire – soixante-dix ans pour le Traité de Washington, quinze ans pour ACT -, le Général Lanata incite ses troupes à « aller de l’avant ensemble »8 et entend démontrer la résilience d’une organisation face aux turbulences actuelles, qui ne sont ni les premières, ni les dernières auxquelles les Alliés doivent faire face… Peut-être pas un hasard non plus si une seconde conférence sur le thème de la résilience collective « avec le soutien des chefs d’état de l’OTAN et de l’Union européenne, ainsi que des partenaires du secteur privé »9, doit avoir lieu en avril prochain à Norfolk …

 

 

Notes

[1] Les vents culminèrent à 225 km/h, mais l’ouragan Florence atteindra finalement les côtes virginiennes trois jours plus tard en ayant heureusement rétrogradé en catégorie 1.

[2] Discours du Général Mercier lors de la cérémonie de passation de commandement le 11 septembre 2019 (https://www.act.nato.int/nato-s-warfare-development-command-changes-responsibility)

[3] Voir : SACT remarks to All Hands Ceremony, October 1st, 2019 (https://www.act.nato.int/images/stories/media/speeches/181001_jftc.pdf)

[4] https://operationnels.com/2018/04/18/at-nato-transformation-command-the-3-cs-rule-ii/

[5] SACT Remarks to NATO Industry Forum, berlin November 13th, 2019 (https://www.act.nato.int/images/stories/media/speeches/181120_nif.pdf)

[6] La France avec le Service des essences fut leader sur cette initiative et nation-cadre dans sa mise-en-œuvre au cours des deux derniers exercices Trident Juncture (voir sur ce sujet : https://operationnels.com/2014/06/15/smart-defense-et-service-des-essences-des-armees/ ; voir aussi l’interview du Colonel Naegellen-Roy sur ce sujet, à paraître dans notre prochain numéro d’Opérationnels SLD fin mars).

[7] « Our goal is to deliver faster the right capabilities to the Warfighters, through a paradigm shift : (…)
        – From platform-centric to data-centric capability architectures, paving the way to what I call the “collaborative connected warfare”. (…)  », SACT remarks to NIF, ibid, pages 20-21.

[8 Ibid, https://www.act.nato.int/nato-s-warfare-development-command-changes-responsibility

[9] https://www.act.nato.int/resilience

 

Photo : Le général Lanata lors de la réunion des ministres de la défense à Bruxelles en février dernier © https://www.act.nato.int/