(Partenariat universitaire UTT) – Par Benjamin Gidelle, Tanguy Martin et julien Heckler, étudiants à l’Université de Troyes (UTT)

En quoi la situation du Golfe d’Aden reflète-elle l’ordre des grandes puissances mondiales ?

A propos des auteurs de cette étude

– Benjamin GIDELLE, étudiant en master Ingénierie et Management en Sécurité Globale Appliquée (IMSGA) à l’Université Technologique de Troyes. est également sapeur-pompier volontaire.
– Tanguy MARTIN, issu du Lycée Prytanée National Militaire et élève ingénieur à l’Université Technologique de Troyes, est aussi sapeur-pompier volontaire dans l’Aube.
– Julien HECKLER, étudiant en Master Ingénierie et Management en Sécurité Globale Appliquée (IMSGA) à l’Université Technologique de Troyes, est également sous-officier sapeur-pompier volontaire en Moselle ainsi qu’officier de réserve opérationnelle en État-Major des Armées à Paris.

 

I. Le Golfe d’Aden : un territoire accumulant tous les maux

Le Golfe d’Aden est un territoire où se concentrent les difficultés, mais également les opportunités. Cette situation peine à s’arranger en raison d’une organisation politique peu structurée et en mal d’autorité.

1. Un territoire disparate

Qu’il s’agisse du Yémen, de Djibouti ou bien de la Somalie, ces trois pays présentent en leur territoire de grandes difficultés. En effet, les nombreux conflits animent ces trois nations . Ces derniers peuvent être sous fond religieux, comme par exemple au Yémen entre les sunnites et les chiites dans la partie Nord du pays. Ces mêmes conflits peuvent également avoir comme origine des différences de cultures liées à l’organisation clanique, majoritaire en Somalie et au Yémen provoquant ainsi des conflits ouverts et armés et poussant à l’apparition de groupes terroristes, notamment en Somalie avec le groupe Al-Shabad.

De plus, un autre point vient dégrader la capacité de ces trois nations à se développer : il s’agit de la disponibilité des richesses minières, halieutiques, agricoles ou encore pétrolières. En effet, on peut observer une grande différence sur la situation de ce point au sein de nos pays étudiés sur cette thématique. Djibouti a ainsi peu de richesses minières sur son sol alors que le Yémen et la Somalie possèdent un sol riche en ressources marchandes, mais ne peuvent les exploiter en raison des conflits internes dans leur territoire. Au niveau des ressources halieutiques, ces dernières sont difficiles d’exploitation pour la Somalie. Alors que la longue façade maritime aurait permis de développer ce secteur, la sur-pêche, notamment chinoise, et l’activité de piraterie ne permettent pas de faire fleurir cette économie . Certains pays peuvent compter sur leur position géographique, notamment Djibouti, proche du détroit de Bab-el-Mandeb comme atout ; ou encore la Somalie qui est idéalement positionnée entre la péninsule arabique et des pays comme le Kenya, fort d’une population en pleine expansion et les grandes plaines de l’Afrique. Cependant, ce constat est permis et semble maintenu par une gestion politique de ces territoires assez complexe.

2. Une gestion politique territoriale complexe

L’analyse de l’organisation politique au sein des pays bordant le Golfe d’Aden est l’une des choses préalables à la bonne compréhension de l’apparition des conflits présents sur ce territoire et conduisant de grandes puissances à s’intéresser à cette partie du monde.
L’organisation actuelle est différente selon le pays. En effet, nous pouvons observer une organisation calquée sur le modèle occidentale à Djibouti, avec un pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Cet héritage, issu de la France en tant que grande puissance coloniale, a permis au pays de se structurer afin de pouvoir se développer et mettre en exergue ses atouts.

De son côté, le Yémen et la Somalie n’ont pas eu le chemin de la stabilité pour leur organisation politique. Pour la Somalie, l’organisation clanique prime sur toutes autres organisations ayant été tentées au cours du siècle dernier. Ce pays, divisé en trois parties, est la résultante d’un passé coloniale marqué entre les anglais et les italiens, mais également de nombreux conflits armés entre les clans. Ainsi, la Somalie est actuellement divisée politiquement en trois parties : au nord, le Somaliland qui réclame son indépendance totale ; au nord-est, le Puntland qui demande quant à lui à être autonome. Enfin, le reste de la partie Sud et du Centre forme la Somalie.

Quant au Yémen, ce dernier est divisé en deux, avec d’un côté les Houtis et la République de l’autre. Il existe de fortes contestations sous fond de religions et de conflits armés au sein de ce pays. Cependant, des tentatives afin de retrouver la paix ont été mises en place au travers une conférence nationale en 2013 ou encore par la création d’une coalition composée de 9 pays arabes a été formée en 2015 afin de réduire le territoire des Houtis. Cependant, la situation humanitaire et politique n’est toujours pas revenue à la normale. Cette guerre vient donc accentuer les difficultés sanitaires et de stabilisées au sein de ce pays.

Afin de survivre, les populations côtières présentes dans ces pays, notamment la Somalie, sont obligées de mener des raids maritimes contre les navires marchands au sein du Golfe d’Aden. Leur objectif est de trouver des vivres afin de s’alimenter ou bien de réaliser des détournements de navires afin d’obtenir des rançons.

Ainsi, ce contexte politique instable a conduit les grandes puissances du monde à venir sécuriser ce lieu, hautement stratégique du point de vue économique, en raison des multiples groupes armés voulant s’approprier des parties du Golfe d’Aden.

II. Djibouti et le Golfe d’Aden : des lieux de haute importance

Djibouti est situé au cœur d’une zone d’échanges maritimes très important et constituant un carrefour entre l’Europe et l’Asie. Fort de cette position géostratégique, le pays joue un rôle important dans la gestion géopolitique internationale. Malgré des conditions climatiques très difficiles et peu de richesses minières dans le sol, le territoire est au cœur de toutes les convoitises.

1. Djibouti, aspect sécuritaire et économique

Face à cela, des menaces voisines et internes ont lieux. Les risques politiques dans la République de Djibouti sont très importants. Le président de la République actuel, Ismail Omar Guelleh, à la tête du gouvernement depuis 1999, est souvent perçu auprès de la population comme un dictateur ayant le plein pouvoir. Réélu en 2005, 2011 et 2016, il modifie la constitution lors du printemps arable fin 2010 pour lui permettre de briguer un 3ème mandat devant une opposition quasiment inexistant, dont la plupart est en exil ou emprisonnée.

Cette politique n’est pas sans conséquences. De fortes tensions se font ressentir dans ce pays où le seuil de pauvreté est fixé selon l’UNICEF à 49% de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Cela engendre une disparité des richesses et entraine à une insécurité alimentaire. De plus, des tensions religieuses existent dans le pays. L’Arabie Saoudite voisine de Djibouti, envoie régulièrement de l’argent au gouvernement d’Ismail Omar Guelleh afin de remettre à neuf des mosquées et islamiser sa population. Malgré une religion commune, celle du musulman sunnite, de grandes différences existent entre les deux principaux groupes humains : les Afars présents principalement dans le Nord et l’Ouest et les Issas population vivant dans le Sud (aujourd’hui majoritaire). Les antagonismes entre les Afars et les Issas menacent régulièrement l’unité du pays.

Parallèlement à cela, le pays connait des zones d’ombres au nord du pays et plus particulièrement face à l’Érythrée , contre laquelle un conflit armé s’est déroulé ces dernières années et où des forces militaires y sont encore stationnées. De plus, dans la partie au sud et plus précisément le Somaliland, région nord de la Somalie en plein chaos, les réfugiés affluent attirés par une meilleure tenue de l’économie, ainsi qu’une stabilité politique républicaine du pays. Face à cela, l’armée française a dû intervenir dans le cadre d’un accord de défense de 2014 afin de soutenir et maintenir l’ordre. La forte présence de mouvement des jeunes combattants d’Al-Qaïda au travers le groupe Al-Chabab dans les pays alentours, fait de Djibouti un centre de surveillance important. Cette stabilité est renforcée par la présence massive de militaires Français, mais également par de nombreuses autres forces militaires très importantes ayant leurs bases d’opérations stratégiques pour toute cette région du monde.

En effet, Djibouti est convoité pour sa position stratégique, face du détroit de Bab-el-Mandeb, quatrième passage maritime mondial pour l’approvisionnement énergétique. Le pays attire les grandes puissances, qui pour de multiples raisons, accueille plusieurs grandes bases militaires pour différentes armées : française, américaine, japonaise, allemande, chinoise, etc.

La France, plus importante base militaire à Djibouti, compte environ 3000 soldats. Historiquement, les troupes françaises resterons présentes à Djibouti lors de l’accession du territoire à l’indépendance, d’abord dans le cadre d’un protocole provisoire de juin 1977 fixant les conditions de stationnement des forces françaises valant accord de défense puis lors d’un nouvel accord en vigueur depuis 2014. Actuellement, d’importantes infrastructures françaises y sont positionnées, notamment la base aérienne 188 ainsi que de nombreux matériels et hommes permettant un rôle stratégique dans le déploiement d’unité au nord sur l’opération Barkhane ; ainsi que dans la lutte contre la piraterie et le soutien sécuritaire du pays. Mais cette présence stratégique n’est pas unique, d’autres forces armées conventionnées ont déployés leurs bases ces dernières décennies. Les américains sont présents depuis 2002 avec un effectif de 1800 hommes destinés à intervenir contre d’éventuels groupes terroristes dans une région qui s’étend de l’Afrique orientale à la péninsule arabique ainsi que dans le déploiement et le pilotage à distance de drones de surveillance pour des missions de renseignements. Cette unique base américaine sur la corne de l’Afrique continentale permet aux Américains d’être proches de leurs rivaux. Les Japonais_ et les Allemands ont également des attaches logistiques pour leurs militaires. Les Italiens et les Chinois ont rejoint le mouvement en s’y installant en 2017, mais présent au sein des emprises Françaises et Allemandes. A noter que d’autres pays comme les Russes ou les Iraniens par exemple ont formulés des demandes pour signer des accords de défense permettant de se déployer au sein de Djibouti, mais celles-ci ont été refusées.

Ces emprises militaires sont des enjeux économiques importants pour le pays, en effet cela assure des recettes indispensables sous forme de loyers, rapportant en 2017, une source de revenu directe de 128 millions d’euros soit 3 % du PIB. La base du Japon est de 3 millions d’euros, celle de la Chine est de 17 millions d’euros, celle de la base italienne est de 22 millions d’euros et celle de la base française est de 30 millions d’euros. Le loyer de la base américaine avoisine les 56 millions d’euros quant à la future base saoudienne, celle-ci devrait rapporter pas moins de 125 millions d’euros. Ces loyers permettent donc d’être une des sources d’économie première pour le pays.

Parallèlement à cela, le secteur du transport et de la logistique s’est développé. Située à l’entrée méridionale de la mer Rouge et au croisement de la voie de navigation la plus fréquentée au monde, Djibouti se place à la tête d’un commerce en devenant un pôle d’échange économique pour toute l’Afrique de l’Est grâce à de nombreux investissement. La création en 2017 d’un nouveau port permet de gérer logistique et transport de 90% des marchandises à destinations ou au départ du marché de 71 millions d’Éthiopiens , voisin enclavé. Le port de Djibouti est idéalement situé pour servir le marché des pays du COMESA , reliant 380 millions de personnes soit 19 pays. Ces investissements permettent de moderniser et maintenir la stabilité économique de l’état grâce au soutien des Investissements Directs Étrangers (IDE) provenant des pays du Golfe comme Dubaï. De plus, la construction de deux nouveaux aéroports internationaux est en cours, ainsi que des chantiers maritimes à hauteur de 400 millions de dollars. S’ajoute à cela, une usine de dessalement à hauteur de 100 millions de dollars qui est en cours de livraison .

Également point de rencontre majeur des systèmes d’information et de communication et notamment des câbles sous-marins connectant l’Afrique à l’Europe, au Moyen-Orient et l’Asie, le secteur des télécommunications est au cœur de la stratégie nationale. Des installations récentes de modernisation de la fibres optiques ont permis au travers son opérateur public « Djibouti Telecom », d’investir plusieurs millions de dollars dans des infrastructures nationales et régionales.

Malgré cela, Ismail Omar Guelleh, ayant la main mise sur l’ensemble des pouvoirs avec une corruption omniprésente, entraine avec lui des risques économiques important pour son pays. Au sein de son gouvernement, il attribue la plupart des postes importants à des proches. Le gouvernement dans le cadre de sa stratégie de lutte contre la pauvreté et dans le renforcement de la sécurité alimentaire axe une priorité dans le développement de la pêche et de l’agriculture. Mais le manque d’infrastructures et les conditions météorologiques mauvaises dû aux rares précipitations entrainement des impossibilités de cultures dans de nombreuses régions du pays.

2. Le Golfe d’Aden, un lieu maritime propice aux attaques

Le Golfe d’Aden avec un longueur d’environ 1 000 kilomètres pour une largeur variant de 150 à 440 kilomètres situé entre la Corne de l’Afrique et la péninsule arabique est un espace maritime convoitisé. Reliant la mer Rouge et la mer d’Arabie via le détroit de Bab-el-Mandeb, il marque une limite orientale entre les pays de l’Europe et l’Asie. Chaque année, le trafic maritime augmente drastiquement dans cette zone géographique. Ce sont près de 25 000 navires qui y transitent, soit 69 navires jours avec le passage d’un tiers de l’approvisionnement énergétique de l’Europe et 12 % de la production mondiale de pétrole brut. En effet, la voie du canal de Suez permet de gagner du temps afin d’aller alimenter les pays européens en comparaison au détour qu’impose le cap de Bonne-Espérance. La fin de la guerre froide et la chute des dictatures n’entraînèrent qu’une baisse temporaire de la conflictualité de part et d’autre du golfe d’Aden et du détroit.

Face à cette attractivité importante et à une situation économique et sociale des pays voisins dramatique, des actes de piraterie sont en perpétuels augmentation. Ayant une capacité d’action rapide et allant jusqu’à un rayon de 800 kilomètres, les pirates réalisent chaque année plus d’une centaine d’attaques de navires, avec pour une grande partie la détention des bateaux et des marchandises principalement dans la région du Puntland allant jusqu’à 2 mois avec une rançon avoisinant les 2 millions par bateaux. Selon un rapport de 2013 , plus de 330 millions de dollars de rançon auraient été versés entre 2005 et 2012 aux pirates qui agissent dans cette zone du monde. Par la suite, cet argent est utilisé pour alimenter des activités criminelles comme le trafic d’êtres humains ou le financement de groupe terroristes. Une fraction infime, moins de 0,1 % des rançons, est perçue par les pirates eux-mêmes. Cet argent est investi dans du matériel et de l’armement principalement. De plus la maîtrise des techniques de GPS, du SIA (Système d’Identification Automatique), des radars et des télécommunications leurs permet de suivre et de déjouer la surveillance maritime comme le constatent les marins de la flotte internationale.

Face à cela et particulièrement à la lutte contre la piraterie, l’Union Européenne a décidé, depuis novembre 2008 d’engager une opération militaire dénommée « Atalante ». Cette mission dans le cadre de la force navale européenne (Eunavfor) et de la PSDC (Politique de sécurité et de défense commune) a pour objectif de lutter contre l’insécurité dans le Golfe d’Aden et l’Océan Indien. Parallèlement à cela, en janvier 2009, les américains ont déployé une force nommée Combined Task Force 151 regroupant des navires de l’OTAN. La plupart des grandes marines mondiales, dont la marine indienne et chinoise, ont par la suite déployé des navires dans cette zone pour protéger les navires civils de leurs pays ; tandis que certains pays préfèrent toujours faire passer leurs bâtiments via le cap de Bonne-Espérance.

En décembre 2008, afin de coordonner les différentes opérations, le groupe SHADE (Shared Awareness and Deconfliction) dirigé par les Forces maritimes combinées et la force navale de l’Union européenne a été créé. Il regroupe fin 2013, 27 pays et 14 organisations différentes. Leur objectif est de permet l’échange des pratiques optimales, tenir des discussions informelles et harmoniser les activités des pays et des organisations participant aux opérations militaires de lutte contre la piraterie dans la région. Cela a ainsi permit de créer et d’appliquer depuis le 1er février 2009, un corridor de passage de la mer d’Aden à la mer rouge nommé « Internationally Recommended Transit Corridor » où les bâtiments civils ont pour obligation de circuler en convoi. Ces mesures ont été efficaces, entre 2011 et 2013, les attaques et les détournements de navires ont chuté de 70 %.

La République de Djibouti est donc au cœur de la stratégie occidentale de lutte contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes, ce qui lui permet de jouer un rôle central dans le dispositif naval mis en place par UE et l’OTAN, ainsi que par plusieurs marines nationales. Malgré une forte baise fin 2013, les attaques sont en augmentation depuis les dernières années face aux pirates de plus en plus présents et déterminés.

 

Illustration © http://www.lefigaro.fr/international/2009/04/15/01003-20090415ARTFIG00021-la-saison-des-pirates-a-repris-dans-le-golfe-d-aden-.php