La guerre psychologique au sein de l’institution militaire française hier et aujourd’hui

La place qu’occupe le concept de guerre psychologique au sein de la doctrine d’emploi des forces de l’institution militaire française est intrinsèquement liée à l’histoire de l’armée française des cinquante dernières années. C’est en effet au lendemain de la guerre d’Indochine que l’armée française formalise L’Instruction provisoire sur l’emploi de la guerre psychologique ou TTA 117 qui servira de référence en la matière pour la guerre d’Algérie. Cette instruction est née de la prise de conscience de jeunes officiers et de sous-officiers français ayant combattu en Indochine au sein des GMCA (groupement aérien mixte aéroporté)  qui comprirent dans la douleur, l’impact terrifiant que pouvait avoir la guerre psychologique sur le moral des troupes ainsi que sur la possibilité même d’une pérennité de la notion de défense des intérêts français tant sur le territoire national qu’à travers la planète entière. Ainsi que le rappelle l’introduction du TTA 117, l’Instruction provisoire pour l’emploi des forces armées de 1951 soulignait déjà l’importance pour la France de se doter de moyens de lutte relevant de la guerre psychologique ainsi que de la nécessité pour la défense de la Nation française, de sensibiliser tous les acteurs de cette dernière aux enjeux de ladite guerre. Le TTA 117 est composé de cinq parties portant sur :

  • La définition de principes généraux concernant la guerre psychologique
  • Le renseignement psychologique et ses modalités
  • Le rôle et l’emploi de l’arme psychologique
  • Les principes d’emploi des moyens
  • L’instruction dans les forces armées

S’ajoute  à cela une annexe consacrée à la propagande et la contre-propagande. Le TTA 117 offre la définition suivante de la guerre psychologique : « La guerre psychologique est une des formes principales de la guerre froide (lutte menée sans qu’il y ait ouverture d’hostilités entre forces armées régulières de puissances opposées) ; elle accompagne toujours la guerre chaude (guerre comportant l’ouverture d’hostilités entre forces armées régulières de puissances opposées). Elle poursuit l’annihilation de la volonté combative adverse et, si possible le recrutement d’auxiliaires et d’alliés dans le camp opposé ; elle cherche à faciliter et à soulager les opérations militaires. Tous les chefs politiques et militaires en sont responsables dans le cadre de leurs attributions, tous les citoyens concourent à sa conduite ».

Information, sensibilisation et responsabilisation à tous les niveaux de la hiérarchie militaire et de la société civile face aux enjeux d’une arme qui, bien qu’invisible aux yeux du profane, possède des capacités de destruction dont l’ampleur peut potentiellement mettre en péril la possibilité de survie d’un état, tels furent les raisons d’être de cette instruction dont la modernité interpelle encore aujourd’hui.

Il nous a semblé essentiel de parler du TTA 117 et d’en présenter brièvement le contenu ainsi que les enjeux, car à l’heure des guerres asymétriques et hybrides, force est de constater que la raison d’être de ce TTA demeure d’une brûlante actualité même si l’on parle davantage aujourd’hui d’actions d’influence et que le droit des conflits armés cadre strictement l’emploi et le recours aux actions psychologiques. De même, l’armée française s’est évidemment dotée depuis les années 50 de nouveaux éléments de doctrine ainsi que nous le verrons.

Le sujet est délicat car l’opinion publique française, fort peu renseignée sur la réalité et les doctrines composant la guerre psychologique de nos jours au sein d’une armée démocratique et républicaine comme la nôtre, amalgame volontiers aujourd’hui encore cette dernière à la pratique de la torture, non seulement psychique mais aussi physique. Le concept de guerre psychologique apparaît aujourd’hui pour bon nombre de citoyens français comme appartenant à une époque révolue de l’histoire des relations internationales, ce qui explique le peu de popularité du concept au sein de l’opinion publique française. Méconnaissance des enjeux liés à la recherche d’une forme d’imposition d’un mode de vie élevé au rang de modèle universel quel que soit son origine, amalgame décrédibilisant le bien-fondé d’une logique de sensibilisation et de responsabilisation à des menaces pouvant nuire à la pérennité d’un état démocratique en France, sous-estimation de la détermination destructrice de certains groupes d’influences fanatiques, autant de menaces relevant toutes de doctrines d’emploi de l’arme psychologique pouvant porter atteinte à la défense de l’intégrité tant morale que physique de notre pays et de nos concitoyens et contre lesquelles il convient de se prémunir.

Les conflits majeurs des dix dernières années ont démontré s’il en était encore besoin les limites d’une réponse purement militaire au règlement d’un conflit. C’est dans cet esprit qu’est né le concept d’approche globale qui comporte trois piliers : la sécurité, la gouvernance et le développement. Dans un contexte où les opérations demeurent centrées sur les populations (Opération de maintien de la paix, contre-rébellion ou contre-insurrection, opération d’évacuation de ressortissants…), les actions d’influence sont essentielles pour l’atteinte de l’effet final recherché qui fonde la raison d’être d’une intervention diplomatico-militaire.

Mais qu’entend-on par action d’influence ou influence militaire ?

 Ainsi que le définit le Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE) : « L’influence militaire est le domaine interarmées regroupant l’ensemble des fonctions, processus et actions, assurant toute la dimension psychologique d’une opération militaire et agissant sur l’environnement humain des opérations […].Quels que soient les moyens, modes d’action et procédés mis en œuvre, l’influence militaire vise exclusivement les comportements des acteurs ».

La stratégie militaire d’influence (SMI) constitue, avec la diplomatie de Défense au sens large et le rayonnement des armées, la partie militaire de la stratégie d’influence de l’Etat.

Le CIAE inscrit son action dans le cadre de la stratégie militaire d’influence qui constitue avec la diplomatie de défense la partie militaire de la stratégie d’influence de l’Etat. En France, c’est l’état-major des armées (EMA) et plus précisément le CPCO qui conçoit et définit la SMI pour chaque théâtre d’opération.

En France, ainsi que nous le verrons, la coopération civilo-militaire (CIMIC) et les Psychological operations (PSYOPS) sont les deux volets complémentaires des actions d’influence.

 

Illustration et pdf du TTA 117 © infoguerre