(Par Murielle Delaporte – Opinion) –  « 1984 ». Jamais le roman de George Orwell publié en 1949, au lendemain de l’un des pires conflits mondiaux causé par le totalitarisme le plus abjecte, n’aura autant résonné dans nos subconscients confinés…

Sans tomber dans la paranoïa et sans vouloir jeter la/une pierre dans un océan d’inconnues, la crise actuelle et surtout les réponses proposées par divers responsables politiques, industriels, citoyens ont de quoi susciter nombre de questions.

La question du traçage numérique, laquelle va bientôt faire l’objet d’un débat parlementaire en France, est certainement de loin en tête de liste, tant elle est révélatrice de la dychotomie des approches entre systèmes gouvernementaux et cultures politiques des uns et des autres.

Entre pays asiatiques respectueux d’une autorité centralisée (l’Estasia d’Orwell où règnerait une idéologie caractérisée par l’« oblitération du moi » ?!) et les Etats-Unis dont « l’ADN est libertaire par nature »[1], rien de commun dans l’application potentielle des outils technologiques susceptibles d’être mis en place par les autorités gouvernementales  au profit de la santé publique et que nombre de pays européens (Royaume Uni, Suisse, etc) ont déjà – ou sont en passe d’avoir – adoptés.

La France, curieux mélange d’un pays profondément attaché aux libertés individuelles, gouverné par un système dit parlementaire mais foncièrement présidentiel, et en lutte perpétuelle contre toute forme d’intrusion de la vie privée (surtout si celle-ci est le fait de technologies digitales, comme en témoigne notamment la campagne anti-GAFA de ces dernières années), va devoir trancher sur l’adoption ou non d’un système de contrôle susceptible d’être intrusif (pourquoi – toujours au nom de la santé publique – se limiterait-on en effet au COVID-19 ?), si l’on se place du point de vue du respect du serment d’hippocrate [2].

La question fondamentale est donc de savoir quel type de données personnelles pourraient être collectées, comment, par qui, sous quelle forme (volontariat, anomymat, etc) et surtout pour combien de temps et sous quel contrôle (centralisé ou décentralisé notamment).

Les risques associés à une surveillance de masse potentielle aux Etats-Unis au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre avaient déjà donné lieu à un débat similaire, non seulement en Amérique, mais dans toutes nos sociétés démocratiques affectées par le fléau du terrorisme. Cette crise de santé publique pose le problème avec encore plus d’acuité, car elle concerne encore plus directement chacun d’entre nous, alors que les jugements hâtifs caractéristiques des situations de crise tendent déjà à diviser les populations entre « bons » et « mauvais » citoyens …

 

Notes de bas de page : 

[1] Cité dans l’émission diffusée en avril 2020 sur la chaine CNBC. Cette vidéo montre de façon très exhautive le pour et le contre du traçage numérique tout en prônant l’utilisation des nouvelles technologies mises au point par Google et Apple (l’application « Trace Together ») pour lutter contre la diffusion du Coronavirus >>>Vidéo CNBC : How Big Tech can help fight coronavirus : https://www.cnbc.com/video/2020/04/23/google-and-apple-partner-to-fight-coronavirus-with-contact-tracing.html

[2]Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés“,  cité dans : Le serment d’Hippocrate, texte revu par l’ordre des médecins en 2012, Conseil national de l’ordre des médecins (https://www.conseil-national.medecin.fr/medecin/devoirs-droits/serment-dhippocrate)

 

Photo 1 © issue de la vidéo citée ci-dessus, ibid

Photo 2 © http://www.kavinokytheatre.com/events/1984/