(Source : Français du monde – numéro 201 – Juin 2020  –  propos recueillis par Florence Baillon) – Entretien avec Hubert Védrine

Le monde vit une crise sanitaire, économique, sociale, politique suite à l´apparition, en l’espace de quelques mois, de la COVID-19 sur tous les continents. à quoi pouvons- nous nous attendre après cette crise ?

Ma première remarque, c’est que le terme de crise est insuffisant : c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que tout le monde a peur de la même chose en même temps. Si on reprend toutes les grandes pandémies du passé, elles ne touchaient qu’une partie du monde et, en plus, les nouvelles ne circulaient pas instantanément. Si on prend même les guerres mondiales, il y avait au moins deux camps, donc tout le monde n’avait pas peur de la même chose ; et puis même la Deuxième Guerre mondiale n’a pas été tout à fait mondiale. Là, en 2020, pendant quelques mois, personne dans le monde ne pouvait se sentir complètement à l’abri. Je pense que cela aura des conséquences anthropologiques profondes, difficiles à mesurer pour le moment, parce qu’évidemment, les gens sont obsédés par les débats sur le déconfinement et le redémarrage, après l’avoir été sur le confinement. Mais cela aura des conséquences profondes et importantes, pas forcément immédiates. Tout ne va pas changer, car dans l’histoire des hommes, cela n’arrive jamais : Tocqueville a montré qu’il y a eu une certaine forme de continuité même avant et après la Révolution. On ne change jamais tout en même temps. (…)

La COVID-19 provoque des bouleversements au sein des pays, mais également dans les relations entre eux. Est-ce que nous assisterons, selon vous, à un nouvel ordre mondial ?

Non, pas vraiment. Ou alors sino-américain. Est-ce cela que l’on veut ? Le bouleversement au sein des pays, ce n’est pas le sujet, mais il y aura une évaluation à faire à un moment donné des politiques suivies par les différents pays et les différentes institutions ; on verra d’ailleurs que le clivage n’est pas tellement entre démocraties et régimes autoritaires, mais entre les pays préparés et les autres. Il peut s’agir de démocraties comme la Corée du sud ou l’Allemagne, ou de régimes autoritaires comme le Vietnam. Sur la question de l’ordre mondial, je rappellerai qu’il a toujours été, en tout cas jusqu’à maintenant, celui des vainqueurs dans l’histoire du monde : sans remonter à l’Empire romain et à la Pax Romana, même en 1815, 1918, 1945, la décennie 90 après la disparition de l´URSS, ce sont les vainqueurs qui imposent l’ordre et son organisation. Aujourd’hui il n’y a pas d’ordre mondial, il y a un système mondial.  (…) Il me semble donc que le virus révèle à la grande opinion des mouvements en cours, bien connus des spécialistes des relations internationales, mais avec un effet de grossissement et d’accélération. (…)

 

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