Par Murielle Delaporte – En matière de défense et de politique étrangère, les seconds mandats présidentiels aux Etats-Unis s’avèrent bien souvent meilleurs que les premiers pour au moins deux raisons :
- le président n’a pas le droit constitutionnellement parlant de briguer un troisième mandat1 et n’a donc pas d’enjeu électoral potentiellement contraignant ;
- le gain d’expérience et le retour d’expérience issus du premier mandat sont généralement mis à profit.
La campagne électorale menée par Donald Trump et l’annonce des premières nominations aux postes-clés du gouvernement de son futur gouvernement semblent augurer d’une évolution similaire « à la Reagan », mais avec une différence majeure, à savoir une rupture entre ces deux mandats de quatre années théâtres de profonds changements stratégiques. La doctrine Trump en matière de défense demeure inchangée, mais va devoir s’adapter à un environnement et des défis qui, eux, ont grandement évolué.
Trump II : un effort de cohésion nettement plus marqué, mais une coalition plus diversifiée
Si le premier mandat de Donald Trump s’était avéré plutôt chaotique en matière de nominations – notamment en ce qui concerne le poste de secrétaire de la défense où six personnes se sont succédé en quatre ans –, ce dernier a reconnu pendant la campagne qu’il avait manqué d’expérience et donc de discernement dans ce domaine2.
D’où ses efforts pour que l’organisation de sa campagne et aujourd’hui celle de son équipe de transition s’avèrent plus efficaces. A noter un processus de nominations beaucoup plus rapide qu’en 2016 – assez similaire à celui de Barack Obama en 2008 – dans le but de réduire au minimum la période de validation par le Sénat.
La nomination de Susie Wiles, co-directrice de sa campagne électorale, comme chef d’orchestre de la Maison Blanche (« White House Chief of Staff ») laisse à penser que cette dernière devrait par ailleurs être gérée de façon plus sereine au cours de ce second mandat3.
En ce qui concerne la sélection d’une partie des acteurs clés dans les domaines de la défense et de la sécurité, on observe pour l’instant une volonté similaire de créer une équipe capable de travailler ensemble et partageant une vision similaire des priorités du gouvernement dans ces domaines.
- Côté sécurité, cette priorité est, sans surprise, la maîtrise de l’immigration illégale et le retour au contrôle des frontières, tel qu’il avait été instauré entre 2016 et 2020 : le choix de Tom Homan, ancien responsable de l’immigration et des douanes (ICE pour « Immigration and Customs Enforcement ») comme responsable des frontières (« Border Czar ») va dans ce sens4. Celui du gouverneur du Dakota du sud, Kristi Noem, à la tête du Département de la sécurité du territoire (« Department of Homeland Security » ) également5. La question de la déportation des immigrés illégaux arrivés sous Biden – estimés à environ dix millions de personnes6 – va demeurer au cœur de débats politiques houleux entre les deux partis politiques, même si celle-ci va concerner en priorité – au moins en un premier temps – les immigrés illégaux ayant commis des crimes sur le sol américain depuis leur arrivée dans le pays.
- Côté défense, les choix de Marco Rubio comme secrétaire d’état, de Pete Hegseth comme secrétaire à la défense (dont un des focus sera de résoudre la crise du recrutement et de rétention que subissent les forces armées américaines depuis quelques années), de l’ancien Béret vert, Mike Waltz, comme Conseiller national de sécurité (NSA pour « National Security Adviser » ), ou encore de Tulsi Gabbard comme directrice du renseignement national (DNI pour « Director of National Intelligence ), de John Ratcliffe à la tête de la CIA, d’Elise Stefanik comme représentante des Etats-Unis aux Nations Unis et de Mike Huckabee comme ambassadeur des Etats-Unis en Israël illustrent un retour à une politique de dissuasion forte et de la doctrine de « Peace Through Strength » de tradition reaganienne7.
« Peace Through Strength » : rupture dans la continuité ?
Cette doctrine est souvent traduite littéralement en français comme la « Paix par la force », mais il s’agit là d’un faux ami ou du moins d’une traduction ambigüe, car le sens de « Strength » est ici plus celui de puissance ou de projection de force – et donc de dissuasion – que de force au sens de l’envoi de forces armées permettant de résoudre les problèmes (c’est de fait là une opposition majeure avec les néoconservateurs du Parti Républicain ayant migré vers Harris pour cette raison).
Si les choix de Rubio et de Waltz sont plutôt accueillis positivement à Wahington, c’est moins le cas des autres candidats aux nominations et il n’est pas certain que tous soient confirmés par le Sénat, même si la majorité de ce dernier est détenue par les Républicains.
- C’est la première difficulté de ce second mandat Trump, à savoir que la coalition victorieuse du GOP accueille aujourd’hui sous son aile de multiples tendances issues de tous les courants des deux partis allant du plus faucon au plus isolationniste, étant donné le ralliement d’une partie des Démocrates sous la bannière MAGA8. Si les grandes lignes de la politique de défense qui s’annonce après le 20 janvier 2025 sont sans ambiguïté et peuvent se résumer selon le tryptique « recherche de la paix en Ukraine ; soutien réaffirmé à Israël ; politique de fermeté face à la Chine », le diable se cache évidemment dans les détails quant à la meilleure manière de parvenir à de tels objectifs étant donné ces divergences d’opinions, et aussi – seconde difficulté de taille – étant donné le fait que le paysage stratégique de 2024 est bien différent de celui de 2016.
- Deux conflits sont en cours et peuvent rapidement dégénérer en troisième guerre mondiale, tandis que les adversaires des Etats-Unis et du monde occidental ont eu le temps de s’organiser en vue de former un bloc d’opposition crédible – tels les BRICS + – et de monter en puissance – telle la Chine qui aujourd’hui dépasse Washington dans certains domaines stratégiques comme l’industrie navale civile et militaire.
Pourtant si l’on examine les actions menées par le premier mandat Trump, on peut s’attendre à une certaine continuité dans la mesure où les Républicains mènent traditionnellement une Realpolitik caractérisée par un certain pragmatisme. Il est ainsi possible de déceler des tendances rassurantes malgré un environnement médiatique qui semble se complaire à semer l’inquiétude, au lieu d’identifier les opportunités qui naissent toujours de tout changement de gouvernement.
- Sur le front européen, la résolution du conflit ukrainien ne veut pas dire soumission à la Russie, à partir du moment où l’Occident évite le découplage transatlantique qu’a toujours recherché le Kremlin et montre un front uni en consolidant sa défense.
Ce second mandat Trump pourrait de fait représenter une chance de redéfinir le partage du fardeau au sein de l’OTAN en évitant de se focaliser uniquement sur le critère des 2% du PNB consacrés aux dépenses militaires décidé par les Etats-membres en 2014, lequel devrait de toutes façons être atteint cette année si l’on en juge par les dernières estimations officielles de l’organisation9.
Il existe par aillleurs de nombreuses études proposant bien d’autres paramètres d’évaluation – protection des infrastructures ; sécurité intérieure ; etc10 -, tandis que la recomposition géographique de l’OTAN et l’accroissement du rôle de l’Union européenne dans le domaine de la défense (en particulier depuis 2022) permettent d’imaginer la création d’un véritable pilier européen de l’Alliance, tel que l’ont toujours appelé de leurs vœux non seulement John F. Kennedy, mais aussi nombre de dirigeants européens (en particulier français). L’OTAN de 2024 n’a rien à voir avec l’OTAN de 1949 avec aujourd’hui trente-deux membres et non plus douze11 et une croissance économique n’ayant rien à voir, tandis que parallèlement la guerre en Ukraine a accéléré les initiatives concrètes en matière de défense émanant de l’Union Européenne12.
Source : OTAN
>>> https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2024/2/pdf/FACTSHEET-NATO-defence-spending-en.pdf
Source : CSIS
>>> https://www.csis.org/analysis/pulling-their-weight-data-nato-responsibility-sharing
Source : OTAN via Statistica
>>> https://fr.statista.com/infographie/26657/annee-adhesion-membres-otan-en-europe-carte/
- Sur le front du Moyen Orient, la difficulté est la même que sur le théâtre européen actuel, à savoir qu’il est plus difficile d’arrêter une guerre que de la commencer, mais la fin d’une certaine ambiguïté quant aux positions américaines par rapport à Israël pourrait permettre de remettre sur la table les accords d’Abraham dans un format élargi aux adversaires d’aujourd’hui. C’est le message adressé notamment à l’Iran par Donald Trump pendant sa campagne. L’objectif d’un Iran dénucléarisé demeure inchangé.
- Sur le front indopacifique, le retour de la dissuasion est l’essence même d’une nouvelle forme de « coexistence pacifique » assumée comme au temps de la Guerre froide, cette fois-ci avec la Chine.
Même si l’efficacité de l’outil financier, commercial et économique traditionnellement privilégié par Donald Trump et ses conseillers s’est beaucoup érodé en huit ans, il demeure un levier et un instrument de négociations qui ne manquera pas d’être utilisé une fois encore sous ses multiples formes (sanctions ; barrières et accords commerciaux ; etc).
- Parallèlement, la doctrine de « Paix par la puissance » nécessite de continuer d’investir massivement dans ses deux piliers, à savoir la dissuasion d’une part, la capacité de représailles jusqu’au plus haut niveau de l’escalade d’autre part13. Si la volonté de construire un « dôme de fer à l’américaine » pourrait devenir réalité vue la vulnérabilité croissante du territoire américain à une frappe stratégique par ses ennemis, une des difficultés et troisième grand défi pour le second mandat Trump pourrait être de réconcilier deux objectifs d’expérience difficilement compatibles :
- D’une part la volonté de réduire drastiquement les dépenses fédérales avec la création d’une Commission dite DOGE (« Department of Goverment Efficiency ») co-pilotée par Elon Musk et Vivek Ramaswamy14 – l’équivalent de la politique de RGPP menée en France sous le président Sarkozy, mais en plus drastique, avec notamment l’ambition d’économiser 2 000 milliards de dollars sur les 6 100 milliards de dépenses fédérales annuelles ;
- et d’autre part la nécessaire modernisation des forces conventionnelles et nucléaires. Un des dilemmes qui n’est d’ailleurs pas spécifique aux forces armées américaines est la difficulté de ne pas sacrifier la masse sur l’autel de la technologie (le choix entre les « pick up trucks et les Ferrari » auquel faisait allusion Mike Waltz en avril dernier au Congrès15) ; un autre dilemme est précisément de compenser le manque de masse suffisante par une supériorité technologique capable de vaincre tous les dénis d’accès qui se multiplient dans l’environnement multi-champs multi-milieux que connaissent les forces armées occidentales aujourd’hui.
De ce point de vue, les défis de 2024 surpassent de très loin les défis de 2016 …
Notes § références :
1 Seul Franklin D. Roosevelt a servi plus de deux mandats en raison de la Seconde guerre mondiale. Voir à ce sujet par exemple :
- https://constitutioncenter.org/blog/fdrs-third-term-decision-and-the-22nd-amendment
- https://theconversation.com/has-any-us-president-ever-served-more-than-eight-years-158199
2 Voir l’interview de Donald Trump par le podcaster Joe Rogan, 25 octobre 2024 (Joe Rogan Experience #2219 – Donald Trump) >>> https://www.youtube.com/watch?v=hBMoPUAeLnY
3 Lire par exemple >>> https://www.cbsnews.com/news/trump-susie-wiles-chief-of-staff/
4 https://apnews.com/article/trump-homan-ice-border-czar-7dea915b5ea43896390b8020d254f887
5 Lire par exemple >>> https://abcnews.go.com/Politics/wireStory/kristi-noem-trumps-pick-homeland-security-secretary-115798421
6 Les estimations varient bien-sûr selon les motivations politiques et il s’agit donc d’une moyenne. Voir sur ce sujet >>> https://ohss.dhs.gov/sites/default/files/2024-06/2024_0418_ohss_estimates-of-the-unauthorized-immigrant-population-residing-in-the-united-states-january-2018%25E2%2580%2593january-2022.pdf ; https://thehill.com/opinion/4423296-matthews-illegal-immigrants-double-under-biden-and-thats-just-the-start/
7 https://foreignpolicy.com/2024/11/14/trump-picks-names-presidential-transition-personnel-cabinet/ ; https://www.washingtonpost.com/world/2024/11/13/trump-cabinet-rubio-hegseth-foreign-policy/
8 Voir par exemple sur ce sujet : https://www.thefp.com/p/marco-rubio-tulsi-gabbard-matt-gaetz-donald-trump-cabinet-2025
9 https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_49198.htm
10 Voir l’étude de CSIS sur ce sujet >>> https://www.csis.org/analysis/pulling-their-weight-data-nato-responsibility-sharing
12 Voir ainsi récemment le communiqué de la Commission européeenne intitulé « L’UE renforce son état de préparation en matière de défense en apportant son tout premier soutien financier à des acquisitions conjointes dans le domaine de la défense » >>> https://defence-industry-space.ec.europa.eu/eu-boosts-defence-readiness-first-ever-financial-support-common-defence-procurement-2024-11-14_en
13 Voir à ce sujet la conférence de l’Hudson institute >>> Relearning Escalation Dynamics to Win the New Cold War, 21 octobre 2024, https://www.youtube.com/watch?v=7mCKfSD4Cqo
14 Voir par exemple >>> https://breakingdefense.com/2024/11/trump-admin-will-bring-uncertainty-opportunities-for-defense-industry-analysts/
15 www.airandspaceforces.com/air-force-second-trump-administration/
Illustration © Meer, 123rf