Par Murielle Delaporte – Un dysfonctionnement dû à un « contentieux de masse » (Partie II)

Si Louis Laugier reconnaît qu’il est bien-sûr nécessaire de renforcer les moyens policiers et l’arsenal juridique, il a souligné que le disfonctionnement décrit dans le rapport de la Commission d’enquête n’est pas de nature fonctionnelle, mais liée au fait que l’on est face à un « contentieux de masse ».

Il a mis en avant le fait que la réforme de la Police nationale, et en partie de sa filière judiciaire, entrée en vigueur au 1er janvier 2024 constitue « la plus grande réforme entreprise depuis 1966 ». L’unification de la filière judiciaire sous une même autorité permet d’assurer une meilleure coordination entre les services pour une politique cohérente s’attaquant à « la lutte contre les stupéfiants, au blanchiment, aux règlements de compte et à la cyber »1.

L’OFAST (pour « office anti-stupéfiants »), créée dans le cadre du plan national de lutte contre les supéfiants de 2019, « a doublé ses effectifs depuis 2020 » et renforcé sa présence « au plus près des zones de production » notamment en outremer avec des antennes à Cayenne, Fort de France, Point à Pitre et Saint Martin. Ce fort maillage territorial porte ses fruits, ainsi qu’une action interministérielle efficace, si l’on en juge par les saisies de drogue de plus en plus conséquentes (telle celle « en 2024 de 10,5 tonnes de cocaïne dans les Caraïbes en coopération avec la Marine nationale »2).

Pour le DGPN, on assiste ainsi à « une montée en puissance » de l’OFAST, mais aussi des réseaux CROSS – cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants qui travaillent de façon concertée – : « l’augmentation de la transmission des informations de 23% » et l’utilisation croissante des plateformes de signalement en témoignent.

Il existe ainsi une bonne cohérence globale permettant notamment la mise en œuvre d’« outils de déconfliction pour éviter les chevauchements d’enquête » et les résultats sont parlants (11 000 démantèlements de trafics en 2023 contre 2 500 en 2013 ; augmentation de 60% des saisies associées à des enquêtes patrimoniales ; 44,8 tonnes de cocaïne saisies à ce jour en 2024, soit le double par rapport à 2023 ; etc).

Evoquant les opérations « place nette », Louis Laugier en a souligné l’efficacité avec notamment « 6 800 interpellations, 690 armes saisies, 1,7 tonnes de stupéfiants confisqués »3. Mais allant dans le sens de la Commission d’enquête, il a insisté sur le fait qu’il fallait prendre garde à ne pas se contenter d’un « effet force et ne pas créér un investissement déceptif », mais au contraire s’inscrire dans la durée avec une régularisation d’un travail de proximité préventif.

Se référant à la politique du « dernier kilomètre » et faisant échos aux préoccupations exprimées par nombre de Sénateurs pendant cette session, il a rappelé la « nécessité d’être visible sur le terrain au bon moment » et de mener des « opérations de la cage d’escalier à l’international », c’est-à dire couvrant toutes les étapes du narcotrafic (ainsi qu’évoqué en première partie de cet article).

En conclusion et très concrètement, le nouveau directeur général de la Police nationale a approuvé nombre de recommandations de la Proposition de loi qui s’apprête à être débattue au Parlement (élargissement de la transmission d’informations ; réforme du statut des « repentis » ; fermeture des commerces abritant un trafic de stupéfiants) et en a proposé cinq autres :

  1. faciliter le travail des enquêteurs en instituant un statut technique spécifique à la captation des données à distance ;
  2. généraliser la pseudonimisation des enquêteurs à l’instar de la lutte anti-terroriste ;
  3. introduire la corruption d’agents publics et privés dans le régime complet de la criminalité organisée ;
  4. pouvoir intervenir sur les « points de deal » pour empêcher les trafics (« interdiction de paraître »4) ;
  5. faire passer la garde de vue de 24 à 48 heures dans le cadre d’enquête sur la criminalité organisée, en raison de la complexification des moyens utilisés aujourd’hui par les délinquants.

 

Notes & références

https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/nous-decouvrir/notre-organisation/organisation/direction-nationale-de-police-judiciaire-dnpj

2 Cette saisie a eu lieu en août et a là aussi mis en avant une bonne coopération internationale, en particulier avec l’homologue américain de l’OFAST, à savoir la« Drug Enforcement Administration » (DEA). Voir sur ce sujet par exemple >>> https://lemarin.ouest-france.fr/economie/drogue/aux-antilles-saisie-record-par-la-marine-de-10-5-tonnes-de-cocaine-sur-un-bateau-de-peche-dc3485a6-63b9-11ef-9def-0ffd2dc3a11f ; https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/saisie-record-de-plus-de-10-tonnes-de-cocaine-au-large-de-la-martinique-1516709.html

3 Pour un bilan de ces opérations en mars 2024, voir  >>> https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/actualite/lancement-des-operations-place-nette-xxl

4 La notion d’interdiction de paraître est prévue par l’alinéa 7 de l’article 41-1 du code de procédure pénale.

Voir aussi sur ce sujet : 

 

Photo © Opération « place nette XXL » , Sandrine Sarfati, Police Nationale, Tours, mars 2024 >>> https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/actualite/lancement-des-operations-place-nette-xxl