Par le lieutenant-colonel des troupes de marine  (Ret.) Christian Huc* – Depuis quelques semaines, le groupe aéronaval français autour du porte-avions Charles de Gaulle est présent dans la région de l’Indopacifique. Une présence qui a débuté début février avec l’exercice trilatéral Pacific Steller en mer des Philippines aux côtés du porte-avions USS Carl Vinson et du porte-aéronefs japonais JS Kaga(1). Parallèlement, après une patrouille amphibie en mer des Philippines pour l’Amphibious Ready Group du LHA USS America(2), les forces amphibies américaines et japonaises sont engagées dans l’exercice amphibie annuel Iron Fist dans l’archipel d’Okinawa du 19 février au 7 mars(3).

 

Présence de navires chinois à Okinawa

Dans la même période, deux groupes tactiques chinois ont été repérés par les avions de surveillance japonais en navigation indépendante dans les eaux internationales du détroit de Miyako, au sud-ouest d’Okinawa se dirigeant vers la mer des Philippines. Marqués par un P-3C Orion et un chasseur de mines de la marine japonaise (JMSDF) dès le 10 février vers 23h, les navires du premier task group avec le destroyer CNS Nanjing (155), la frégate CNS Huanggan (577) et le pétrolier ravitailleur CNS Qiandao Hu (886) ont été suivis le lendemain vers 3h par un task group amphibie formé par le destroyer CNS Shaoxing (134), la frégate CNS Xuzhou (530), le LPD type 071 CNS Siming Shan (986) et le LHD type 075 CNS Anhui (33). La destination est, bien sûr, inconnue, et pourrait concerner l’exercice humanitaire indonésien Komodo(4).

 

La mer de Tasman, nouvel objectif chinois ?

Le 19 février, la marine australienne signalait tardivement la présence tout d’abord dans la mer de Corail à 150 km de Sydney, puis en mer de Tasman d’un autre task group formé par la frégate CNS Hengyang de type 054A, le destroyer CNS Zunyi de type 055 et le navire de ravitaillement CNS Weishanhu. Ceux-ci ont effectué dans les eaux internationales des exercices de tir réels en prévenant au dernier moment la navigation aérienne causant, on s’en doute, quelques émois dans les milieux aéronautiques, mais aussi diplomatiques s’agissant des eaux proches de la Zone Economique Exclusive (ZEE) australienne. Les compagnies Qantas et Air New Zealand, mais aussi Emirates et d’autres (près de 50 vols) ont dû ainsi modifier leurs itinéraires réguliers pour éviter de survoler la zone incriminée signalée par la marine chinoise au dernier moment. Les forces néozélandaises ont également dépêché dans la région un aéronef de surveillance P-8A Poseidon, une frégate et un pétrolier-ravitailleur(5).

 

Imbroglio australien

En réalité, les premiers navires chinois avaient transité par le détroit de Torrès au nord de l’Australie dès le 11 février. Traversant la mer de Corail du 13 au 19 février, ils ont ainsi longé la ZEE des eaux françaises de Nouvelle-Calédonie entraînant la mise en alerte des marins du ciel français basés à La Tontouta pour marquer à leur tour les navires chinois avec leurs avions de reconnaissance F200 Gardian en liaison avec le BSAOM d’Entrecasteaux(6). Grâce à la publication de cartes précises sur les positions des navires chinois, Newsweek a montré le 3 mars cette « circumnavigation » allant jusqu’à parler d’encerclement(7). De nombreuses voix se sont faites entendre critiquant le manque d’information de la part du gouvernement et stigmatisant la découverte tardive des intrus par les militaires australiens. A Perth dans le sud-ouest du pays, alors que le task group chinois approchait de la région, le Premier ministre de l’État d’Australie occidentale a réclamé plus de moyens militaires pour protéger le pays contre une invasion potentielle.

Au micro de Sky News, le ministre de la défense australien, Richard Marles a déclaré  qu’un tel comportement n’était « pas sans précédent » , mais qu’il s’agissait d’un « un événement inhabituel ». De son côté, la ministre de la défense néo-zélandaise, Judith Collins, a précisé que la Chine n’avait « pas daigné [nous] informer de ce qu’elle faisait au milieu de la mer de Tasman ». Le premier Ministre australien, Anthony Albanese a confirmé que la marine australienne continuerait à suivre les navires chinois jusqu’à ce qu’ils aient quitté les côtes du pays et que son gouvernement demanderait des explications sur le plan diplomatique. Pour sa part, l’ambassadeur de Chine en Australie trouvait normal que son pays « montre ses muscles » devant les côtés australiennes, car il s’agit d’une puissance majeure de la région(8).

 

Quel est le but recherché par les Chinois ? Ces déplacements de navires chinois en formations tactiques dans les eaux de l’Indopacifique constituent-ils des provocations ou doivent-ils être considérés comme de simples entraînements de projection de puissance ?

Tout d’abord, il est certain que la volonté politique du gouvernement chinois de répondre à une présence militaire occidentale est bien présente que ce soit par des actions provocatrices, mais limitées ou de simples présences de navires visant à déstabiliser l’adversaire principal, les États-Unis et leurs alliés. Ensuite, s’il est indéniable que l’outil maritime chinois est en forte progression, les chantiers navals du pays arrivant à produire en série de grands navires, amphibies ou porte-aéronefs, dans un rythme qu’aucun pays au monde n’arrive à faire, il ne peut en être de même avec la formation d’équipages spécialisés.

Pour atteindre une capacité d’emploi maximum de ses moyens modernes, la marine chinoise doit parfaire ses entraînements et pas seulement sur ses côtes. Elle doit naviguer et utiliser à ces fins les escales diplomatiques, véritables outils de relations internationales. Ses actions dans les océans les plus proches, Pacifique ou Indien, concourent à la mission globale de politique étrangère chinoise.

Après avoir fait naviguer des navires de guerre comme frégates et destroyers, la marine chinoise déplace désormais des groupes tactiques navals avec leur navire de soutien, mais aussi des groupes amphibies, permettant à leurs troupes d’infanterie de marine de parfaire leur formation hors de leurs eaux habituelles et de confirmer leur travail en harmonie avec les navires porteurs mais également avec ceux en charge des appuis dans l’Aire des Opérations Amphibies (destroyers et frégates).

Il est vraisemblable que d’ici peu de temps, des groupes aéronavals d’un nouveau type autour d’un porte-aéronefs voire d’un porte-avions vont effectuer de véritables croisières à des fins d’entraînement, mais également d’action diplomatique – voire industrielle – comme cela est le cas avec les campagnes annuelles « Jeanne d’Arc » pour la marine française. Il n’en reste pas moins que cette « intrusion » demeure une première action de force au-delà des premières et deuxièmes lignes du fameux « collier de perles » sans que l’on puisse la rattacher à la moindre invitation de la part de nations indépendantes(9).

 

*Le LCL (Ret.) Huc a servi pendant dix ans au sein de l’armée de Terre en trois affectations au sein de la Marine nationale et a notamment occupé la fonction d’adjoint terre ALFAN dans la cellule amphibie et d’adjoint au chef d’état-major amphibie de COMFRMARFOR.

 

Notes & références  

(1) Voir les post LinkedIn >>> hashtag#CLEMENCEAU25, hashtag#FRENCH_CSG

(2) USS America on WESTPAC Patrol; Russian Pacific Action Group Deploys – USNI News (4 février 2025)

(3) S. Marines, Japanese Forces to Drill in Southwestern Japan in Iron Fist Exercise – USNI News (24 janvier 2025)

(4) Chinese Surface Action Group, Amphibious Task Group Transit Miyako Strait – USNI News (12 février 2025)

(5) Les forces australiennes surveillent la présence inhabituelle d’une flottille chinoise au large de Sydney – Zone Militaire (20 février 2025) ; Chinese Navy Task Group Operating in Australia’s EEZ; U.S., Japan Hold Ballistic Missile Exercise – USNI News (25 février 2025)

(6) Site « le marin », 21 février 2025

(7) Map shows Chinese warships encircling US ally Australia during pointed Pacific deployment – Newsweek (3 mars 2025)

(8) http://www.defensenews.com/global/asia-pacific/2025/02/20/australia-new-zealand-monitoring-3-chinese-warships-off-australia/ (20 février 2025) ; http://www.straitstimes.com/asia/australianz/chinese-warships-circle-australia-stoking-an-anxious-nations-worst-fears (2 mars 2025)

(9) String of Pearls: Meeting the Challenge of China’s Rising Power across the Asian Littoral (July 2006) ; http://www.armyrecognition.com/news/navy-news/2025/china-demonstrated-its-capabilities-to-conduct-large-scale-amphibious-operations-during-february-2025-exercise

 

Photo : Clémenceau 25 © Kévin Auger et Marie Bailly, Marine nationale, 6 mars 2025