Par Murielle Delaporte – Entretien avec Benoît de Saint-Sernin* – Le SOFINS – « Special Operation Forces Innovation Network Seminar » – est, comme son nom l’indique, le lieu où convergent depuis maintenant douze ans, avec succès, Forces spéciales, innovation, interaction et réflexion.
La septième édition qui s’annonce ne devrait pas faire exception avec ce savant mélange de démonstrations en condition réelle et de réflexion qui en fait son unicité. Preuves en sont, d’une part, la confirmation encore cette année d’une fréquentation maximale d’environ 3000 personnes par jour (avec une présence interministérielle en augmentation de 23% en 2023) et, d’autre part, une participation toujours aussi fidèle issue en 2025 de cinquante pays – avec plus de soixante-dix délégations officielles étrangères, dont la composition géographique reflète les évolutions géopolitiques actuelles, à savoir une représentation européenne renforcée et une présence africaine de plus en plus réduite.
Les armes de demain « live » au SOFINS
Les villages de tests, spécificité du Camp de Souge
« Fort des enseignements des années précédentes, et surtout de l’édition précédente de 2023, nous mettons, cette année encore, l’accent sur le développement de ce que nous appelons les « Villages de test » », explique Benoît de Saint-Sernin. « Ces lieux au sein du Camp de Souge où vous pouvez tester les matériels qui sont présentés en condition quasiment réelles constituent au final la spécificité et la grande force du SOFINS, puisque vous avez le droit de tirer, de faire voler des drones, de sauter en parachute, etc … »
Trois villages de test en conditions réelles sont prévus en avril dédiés respectivement aux « tests de tirs et ateliers technologiques en extérieur », à l’ « environnement urbain simulé pour les solutions de combat en zone urbanisée » et aux « scénarios opérationnels nocturnes et parcours d’obstacles »[1].
Vers une capacité de destruction de cibles par laser « embarquée » ?
Si l’année dernière, la mise en place d’une zone d’aérolargage avait notamment permis de présenter les nouvelles voiles des chuteurs opérationnels[2] – une forte activité parachute qui ne faiblira pas en 2025 -, la nouveauté phare de cette édition va être l’emploi du laser dans la destruction des cibles, laquelle sera démontrée par la « première entreprise pionnière du laser en France », la société CILAS qui existe depuis 1966[3], sur un stand de tir d’un des trois village tests. « Les participants au SOFINS 2025 vont pouvoir découvrir qu’aujourd’hui, nous sommes capables de détruire entièrement un objet à distance, sans bruit ni effet visuel. C’est l’arme de demain… ».
Le défi technologique à relever demeure la capacité à « embarquer sur un homme » un tel système d’arme, qui aujourd’hui n’est pas encore adapté aux unités de forces spéciales : « le principe, en venant au SOFINS, est d’essayer d’identifier les efforts ou les pistes de R&D à développer pour équiper une unité de forces spéciales. Ce tir laser devrait-il être aéroporté – à partir d’un hélicoptère ou d’un Rafale -, ou initié à partir d’un véhicule terrestre, ou les deux ? » Ce type de réflexion est typique du « ruissellement » technologique que le SOFINS génère de facto depuis sa création[4].
Vers des flottes de drones logistiques ?
Autre innovation, le ravitaillement par une flotte de dix à quinze petits drones logistiques d’unités combattantes de l’avant : « la guerre en Ukraine a démontré à quel point l’usage du drone a changé l’art de la guerre, en ce sens que quelle que soit l’action envisagée sur le champ de bataille, l’observation- voire neutralisation – par drone est devenue la norme. (…) Aujourd’hui, il est possible d’imaginer que le ravitaillement en munitions, en nourriture, éventuellement même en renseignement, se fasse par des drones », rappelle le PDG du Cercle de l’Arbalète. C’est une société bordelaise, Icarus[5], qui offrira, lors de ces trois jours de salon, une démonstration de livraison par drone, notamment de munitions et de boites de ration.
Focus sur les zones grises militarisées
Suivre l’évolution des conflits : quand la guerre « rentre dans le Centre Ville » …
La guerre a beaucoup évolué par rapport à celle menée par les forces spéciales il y a encore peu de temps. L’Ukraine n’est pas l’Afrique et leurs adversaires sont bien différents. C’est ce constat que le SOFINS 2025 va entériner au travers d’un nouveau cycle de conférences dédié à cette thématique des zones grises démilitarisées. Benoît de Saint-Sernin explique cette mutation de la façon suivante : « aujourd’hui la « guerre entre guillemets » est rentrée en centre-ville avec des gens qui sont peut-être des guerriers et dans une zone plus ou moins permissive. Mener une opération discrète ou furtive dans des environnements de ce type s’avère ainsi très compliqué, en ce sens que non seulement le cadre des missions est moins maîtrisé, mais l’adversaire n’a aucune commune mesure. A la géographie s’ajoute bien-sûr la problématique météo. Attention par exemple au retour du grand froid, lequel, en raison du gel, peut paralyser les systèmes ou encore décharger les batteries… Bref, ce n’est plus la même guerre.
Dans le désert, sous 50 degrés au soleil, il s’agit en effet d’une autre guerre qu’en Centre Europe : c’est un autre camouflage, pas tout à fait les mêmes treillis, pas forcément les mêmes couleurs sur les véhicules… Et il y a une adaptation qui est très importante, avec le nouveau paramètre absolument terrible évoqué plus haut, à savoir le fait que vous êtes quasiment en permanence filmés par un drone. Quoi que vous fassiez dans le cadre d’une opération militaire, vous vous retrouvez sous les yeux d’une caméra, qu’elle soit à moyenne altitude, à haute altitude, ou autre, et qui s’avère très difficile à détecter… »
… Par la supériorité technologique
Pour Benoît de Saint-Sernin, une des pistes de réflexion pour pallier cette nouvelle transparence du champ de bataille concerne la lutte anti-drones, soit par brouillage, mais surtout par leurrage et déception : « vous allez certainement avoir des drones dont la vocation consiste à faire croire au drone adverse une fausse histoire… »
Qui dit drone dit énergie et – bouclant la boucle sur les démonstrations des villages de tests -, ce dernier souligne la nécessité de maîtriser de façon générale la problématique du ravitaillement en énergie dont a besoin le combattant du XXIème siècle. Le laser à distance comme source de rechargement en électricité ou le ravitaillement par drones pourrait là encore contribuer à résoudre cette question essentielle : « un des grands atouts, probablement pour gagner la guerre demain, va être la capacité à envoyer de l’énergie à votre soldat qui est au front. (…) Celui qui prendra de l’avance dans la guerre est celui qui est capable d’envoyer de l’énergie en base avant. (…) Plus vos soldats sont équipés, mieux c’est. Sauf qu’aujourd’hui, on les a dotés de lunettes infrarouges, de jumelles de vision nocturne (JVN), de moyens de communication de plus en plus complexes, etc… Toutes sortes de choses qui consomment de l’électricité. Si nous trouvons le moyen de les recharger facilement et à distance, là nous aurons fait un pas en avant dans la gestion de la guerre… »
… Et le retour aux fondamentaux
Lieu d’échanges de savoir-faire, le SOFINS facilite la fertilisation croisée des meilleures pratiques entre FS du monde entier. Avec le risque de devoir fonctionner en mode très dégradé, il est par exemple également nécessaire de savoir « s’éloigner du tout technologique pour revenir à des fondamentaux (…). Être capable de se repérer parfaitement grâce aux étoiles est un savoir-faire qu’il faut réapprendre pour pouvoir se positionner sans élément électronique type GPS ni même boussole, un savoir-faire qu’ont conservé les commandos marine… »
Le SOFINS est en définitive « vraiment dédié à ceux qui font la dernière action » et a pour ultime vocation d’aider ces derniers à disposer des moyens pour sortir victorieux de ce combat, conclut Benoît de Saint-Sernin.
*Benoît de Saint-Sernin est Président Directeur Général du Cercle de l’Arbalète en charge de l’organisation du SOFINS au profit du Commandement des Opérations Spéciales depuis 2015.
Notes § références :
[1] Laurent Durgeat, communiqué de presse SOFINS 2025, 3 mars 2025
[2] Les SMT 460 fabriquées par Safran : pour en savoir plus, voir l’article suivant paru en 2023 >>> https://opexnews.fr/interview-benoit-de-saint-sernin-sofins-2023/
[4] Pour Benoît de Saint-Sernin : « Les industriels présents au SOFINS apprécient particulièrement les villages de test, car ces derniers leur pemettent de tester les matériels exposés, qu’il s’agisse d’armes, de drones ou de parachutes, en complément des conférences qu’ils proposent sur leurs produits. Pour les start-ups, la formule consiste pour vingt d’entre elles, qui, pour la plupart n’ont jamais vu un militaire, de pitcher leur solution technologique. L’équipe R&D du Cercle de l’Arbalète fait la sélection.
Ce processus a permis à des sociétés de se développer et à des « bébés SOFINS » de prendre leur envol. Ce fut le cas en particulier de la société Earth Cube, devenue Preligens, mise en avant au salon voici plusieurs années. Cette société spécialisée dans l’imagerie satellitaire de haute précision a été rachetée en septembre dernier par Safran à hauteur de 220 millions d’Euros et s’appelle aujourd’hui Safran.AI. »
[5] https://www.icarusswarms.ai/
Photos © SOFINS 2023
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