Par Romain Petit – Quand deux cents grognards bivouaquent dans les jardins du château de Fontainebleau
Les samedi 16 et dimanche 17 octobre derniers, le château de Fontainebleau a accueilli au sein de son jardin anglais un bivouac militaire composé de deux cents reconstitueurs qui ont incarné pour le plus grand plaisir des spectateurs présents la vie quotidienne des soldats de la Grande Armée.
Scènes de genre, manœuvres, relève de la garde, remise de grades ou de décorations, chants révolutionnaires et populaires de l’époque napoléonienne, maniement d’armes, popotes … Rien ne manquait à cette reconstitution pour faire toucher du doigt aux visiteurs ce à quoi pouvait ressembler la vie d’un grognard en temps de guerre. Et Dieu que ces temps de guerre furent nombreux pour ne pas dire permanents sous le Ier Empire ! Ainsi, entre 1805, date de la création officielle de la Grande Armée, et jusqu’au 18 juin 1815, date de la bataille de Waterloo, l’armée de Napoléon vécut au rythme de neuf campagnes majeures.
La vie en campagne
Cette reconstitution d’un bivouac fut donc l’occasion de comprendre ce que voulait dire vivre en campagne pour les grognards, que ces derniers soient d’un régiment de ligne, d’un régiment de chasseur ou d’un régiment de cavalerie. Loin de tout esprit polémique quant à l’héritage napoléonien cette reconstitution a permis au spectateur d’approcher un pan entier de la vie d’une part essentielle de la société napoléonienne, à savoir celle sur laquelle il bâtit sa légende à savoir : l’armée. La qualité de cette reconstitution est venue des reconstitueurs qui la composèrent et qui, riches de l’Histoire qui les porte, ont témoigné durant tout ce week-end d’octobre de ce que fut la réalité et les missions dévolues aux armes de mêlée du Ier Empire.
Sous Napoléon Ier ce terme regroupait l’infanterie de ligne et l’infanterie légère, ainsi que la cavalerie. La reconstitution proposée dans le jardin anglais du château, bien que constituée d’éléments des trois composantes citées, permettait de réaliser ce qu’impliquait en termes de logistiques et de déploiement le bivouac d’un bataillon d’infanterie classique, puisque ces derniers étaient composés de deux cents hommes chacun sous le règne de l’Empereur. Dans l’armée impériale, chaque bataillon d’infanterie de ligne déployait donc ses hommes sur une centaine de mètres de longueur et sa profondeur était de trois rangs. L’infanterie légère quant à elle servait davantage à déborder l’ennemi en menant des assauts dits en « tirailleurs ». L’infanterie sera l’arme qui enrôlera le plus de conscrits sous le Ier Empire avec pas moins de un million deux cent mille soldats qui serviront et combattront dans ses rangs.
La vie quotidienne du grognard
La reconstitution d’un bivouac est aussi l’occasion d’approcher la vie quotidienne du soldat, l’âpreté de ses conditions de vie (tente faite de toile de jute, repas plus ou moins sommaire, nécessité de se chauffer) et l’extrême endurance physique, car le grognard est un marcheur qui peut parcourir entre vingt et cinquante kilomètres par jour durant plusieurs semaines avec sur le dos un paquetage de vingt-cinq à trente kilogrammes, conditions de vie que ne connaissent plus guère les fantassins français, si ce n’est les membres des commandos entraînés à subsister de manière autonome sur plusieurs semaines et parfois amenés à parcourir de longues distances en zone hostile.
C’est en partie cette vie rude et cette capacité de déplacement exceptionnel du fantassin français qui vaudra à l’armée napoléonienne son surnom populaire de Grande Armée. L’appellation institutionnelle de la Grande Armée relève en fait d’un ordre du jour en date du 29 août 1805 qui concernera une partie de l’armée impériale à savoir sept corps d’armée, lesquels s’illustreront lors des campagnes de 1805 à 1808. A partir de 1808, cette Grande Armée officielle sera rebaptisée « Armée du Rhin ».
Reste qu’au-delà des appellations, le grand mérite de ce type de reconstitution est de permettre d’approcher – voire de découvrir – en quoi consistait la vie en campagne des millions de fantassins qui firent l’histoire du Ier Empire. Histoire dont on ne sait finalement que peu de choses tant la légende napoléonienne a su, en raison de la volonté de Napoléon Bonaparte lui-même notamment via les bulletins de la Grande Armée, attiré notre attention sur des personnages aux destins exceptionnels et sur certains faits d’armes ou grandes batailles et conquêtes qui ont nourri l’imaginaire de millions de citoyens au travers des âges en en oubliant parfois celui qui en fut le principal artisan : le simple grognard, pendant du Poilu de la Grande Guerre…