par le Chef d’Escadron David DUBOIS / Armée de Terre


Il est temps pour le citoyen de (re)devenir acteur de la résilience de notre société.

30/05/2011 – Tempêtes Lothar et Martin de décembre 1999 puis Klaus fin janvier 2009 (ravageant les forêts du sud-ouest de la France) ; tornade touchant la ville d’Hautmont et ses environs dans le nord début août 2008, Xynthia sur la façade atlantique en février 2010… Autant de catastrophes naturelles qui ont replacé l’action de secours d’urgence des services publics au cœur des attentes des citoyens. D’autant que la récente tragédie japonaise a brusquement révélé que la population pouvait se retrouver seule et souvent démunie face à ses malheurs, tout riche, moderne et organisé que soit l’Etat nippon. Dans de telles circonstances et, plus généralement, en cas de crise majeure (non exclusivement d’origines naturelles), il apparaît que chacun doit être capable de bien réagir en complément – mais aussi parfois en s’y substituant temporairement – des forces de sécurité intérieure, des services de secours voire des forces armées appelées en renfort. L’enjeu est alors d’optimiser l’action de cette ressource humaine encore capable d’agir en situation post-traumatique. A priori peu nombreuse (elle exige un état physique et psychologique de bon niveau) et peu formée, elle ne doit en aucun cas aggraver la situation ou perturber l’intervention des services spécialisés.

Dans ce contexte, le citoyen français se trouve aujourd’hui à la croisée de deux tendances paradoxales. D’un côté, son attente envers un Etat fort, capable de régler tous ses problèmes sans qu’il ait lui-même à s’en soucier, est avérée. De l’autre, en réponse à des contraintes budgétaires de plus en plus pressantes sous la menace de crise financière, l’Etat est obligé de rationnaliser ses outils. Cela se traduit le plus souvent par des réductions d’effectifs et de moyens techniques.

In fine, le citoyen se retrouve malgré lui en première ligne, notamment en cas de crise de grande ampleur voire dans la situation extrême, mais caractéristique de « l’incertitude stratégique 1», d’une défense du territoire national.

Pour que la France reste apte à pouvoir faire face à une crise majeure sur le territoire national malgré la diminution du volume des forces de Défense, le citoyen, par le biais de solutions innovantes, doit réinvestir le champ de la res publica (lat. la chose publique).


Secouriste bénévole de SSF signalant la fin d’un chantier de recherche
Photo: Sandra Chenu Godefroy


L’illusion de sécurité perpétuelle en Europe occidentale entraine une réduction des champs d’intervention des forces armées.

La France vit dans le confort d’une paix sur son territoire national datant de la fin de la guerre d’Algérie. La guerre froide n’a pas perturbé la vie quotidienne de la population et les crises balkaniques ont paru lointaines. Aujourd’hui, l’opinion publique ne semble plus croire à une agression de grande ampleur sur le territoire national. Il est vrai que l’arc de crise défini dans le dernier Livre blanc repousse loin au-delà de la Méditerranée les menaces, d’autant que l’actualité médiatique sur le sujet se focalise quasi exclusivement sur l’Afghanistan et le Sahel2. On en oublierait presque la menace permanente d’attentats terroristes sur notre sol, lesquels pourraient prendre une dimension telle qu’ils mèneraient à une crise profonde au sein de notre société. D’autres menaces apparaissent qui, si elles semblent encore floues, n’en sont pas moins crédibles. Les migrations massives vers l’Union Européenne mues par des problématiques d’insécurité, de pauvreté et de faim en sont un exemple. La défense de nos approvisionnements énergétiques, à la source ou sur ses voies d’acheminement, pourrait à moyen terme devenir vitale dans le cadre d’une compétition mondiale exacerbée par la tragique dualité : raréfaction de l’offre et explosion des besoins.

C’est dans ce contexte que la France, à l’instar de son allié britannique, poussée par les difficultés économiques et financières, réduit le format de son armée. Ainsi, dans le sillon de la RGPP3, les effectifs de la Défense vont réduire de 54 000 postes l’horizon 2015. Même si cette déflation s’inscrit dans la garantie de remplir les contrats opérationnels dédiés à la défense du territoire national et à l’assistance aux personnes dans un cadre interministériel4, il paraît clair que le volume de troupes disponibles ne permettra plus d’être présent sur tous les fronts. Ce dernier constat reste en outre pertinent dès lors qu’on considère l’ensemble des acteurs de la Défense, civile comme militaire.


Par ailleurs, les menaces ayant changé de nature, elles touchent à la sécurité globale et imposent une réponse dont le socle commun est la résilience de notre société.

L’empreinte de la Défense en France étant notablement réduite, se pose alors la question de la capacité de l’Etat à assurer une réponse efficace en cas de catastrophe majeure sur le territoire national, étant entendu que les forces de sécurité intérieure et de secours seraient insuffisamment dimensionnées pour assurer partout le spectre complet des interventions d’urgence. Il importe, pour y répondre, d’analyser les facteurs qui fondent la résilience de notre société.

Certes, la résilience est un concept5 aux contours parfois flous tant le sujet est vaste. Toutefois, le Livre blanc en donne une définition6 claire mettant en exergue la volonté de la Nation de survivre et la capacité de la société à encaisser un choc puis à se reconstruire. Aussi, si les forces morales de la Nation constituent clairement le ciment de sa résilience, il est nécessaire d’agir concrètement pour, d’une part, créer et entretenir ce liant (c’est notamment le rôle de la famille et de l’Education nationale), d’autre part, le préserver et être capable de le réparer rapidement (c’est principalement le rôle des services publics). En effet, considérant que notre société s’est bâtie grâce à ce ciment, le risque est qu’un effritement localisé n’entraîne la chute de tout l’édifice. En outre, à tous les niveaux, le citoyen doit jouer son rôle, c’est-à-dire assumer ses devoirs envers la République. C’est aujourd’hui une des difficultés à surmonter, à l’heure où l’évolution de notre société aurait plutôt tendance à rendre les citoyens attentistes, individualistes et uniquement préoccupés de faire valoir leurs droits.

Ainsi, la résilience repose en grande partie sur l’anticipation des services publics face aux risques naturels et technologiques ainsi que face aux menaces terroristes. Les plans existent et sont en permanence optimisés pour la protection des infrastructures sensibles (dites « vitales »). L’organisation des secours dans le cadre de différents scénarios de crises est planifiée méticuleusement et régulièrement mise en œuvre lors d’exercices au niveau interministériel. On ne peut que constater qu’en France, l’Etat produit un effort important pour assurer la meilleure réaction possible en cas de crise majeure. Reste toutefois une inconnue de taille dans ce dispositif : la réaction de la population directement touchée par la catastrophe. D’autant que les secours et autres forces de sécurité et de défense engagés ne peuvent pas tout gérer, ne serait-ce que du fait de leur volume limité. En outre, la résilience repose sur la capacité de la population (qui doit être considérée comme non préparée à affronter une crise contrairement aux personnels des services publics) à encaisser le choc créé par la catastrophe ou l’attentat et, notamment, sur la réactivité de certaines individualités capables d’entraîner les autres dans leur sillage7. C’est cette piste qu’il semble aujourd’hui pertinent de suivre pour redonner au citoyen la « pro-activité » qui fait la force de notre République.


Ainsi, il est nécessaire aujourd’hui de renforcer et valoriser les outils existants pour constituer un vivier opérationnel de citoyens réservistes dans le cadre de la Défense civile.

Le service national était, en son temps, un moyen commode d’impliquer le citoyen dans la vie de la Cité. Plus particulièrement, l’équation semblait résolue de manière satisfaisante entre, d’un côté, la société qui protège sa population et de l’autre, le citoyen faisant son devoir sous la forme d’un « impôt du temps » lors de son service (militaire ou civil). Avec la décision de sa suspension en 1996, un certain nombre de mesures ont été prises, avec plus ou moins de succès, pour inciter le citoyen à s’impliquer au service de la nation. Il ne s’agit pas ici de détailler tous les dispositifs en place, du rôle de l’Education nationale pour insuffler l’esprit de civisme, aux Journées de défense et de citoyenneté (JDC8) ayant vocation, notamment, à sensibiliser les jeunes aux problématiques de Défense, sans oublier le service civique volontaire9. Toutefois, certaines pistes existantes méritent d’être privilégiées afin de consacrer le citoyen en tant qu’acteur efficace de sa propre résilience. Dans tous les cas, l’Etat doit clairement s’engager sur la voie choisie car les actions à mener ne seront pertinentes et ne porteront leurs fruits qu’au prix d’un effort financier substantiel s’inscrivant nécessairement dans le long terme.

La majeure partie de la solution est déjà en place. En effet, les dispositifs existant au sein des divers ministères semblent prometteurs dans la mesure où le soutien financier nécessaire à leur mise en œuvre et, surtout, à leur communication sera à la hauteur des enjeux.

En premier lieu, il paraît primordial de renforcer l’impact des JDC en renforçant la formation aux questions de Défense déjà au programme des lycéens en y impliquant, aux côtés des agents de l’Education nationale, les acteurs de la Défense. Cette étape est fondamentale pour insuffler l’esprit de Défense aux citoyens en devenir. Cette action serait ensuite relayée et approfondie dans l’enseignement supérieur afin de permettre aux cadres de demain de disposer d’un réel bagage en la matière10. Elle est d’autant plus importante que, compte tenu du contexte décrit précédemment, les armées comme les services publics doivent accroitre leur vivier de réservistes. Or les volontaires potentiels se trouvent naturellement au sein des catégories de jeunes visés par les dispositifs évoqués. La Défense disposait en 2009 de plus de 32 000 réservistes11 opérationnels. Ceux-ci tiennent généralement les mêmes niveaux d’emploi que leurs camarades d’active ou sont engagés en opérations extérieures comme intérieures. Ils constituent une part solide du lien armée – nation et un moyen efficace de relayer l’esprit de Défense au sein de la population civile. Ils forment également un réservoir de forces crédible et utilement mobilisable le moment venu. Autant d’atouts qui militent pour leur renforcement, à condition que les armées disposent du budget adapté et puissent densifier leur emploi.

Par ailleurs, dans le cadre des réponses à apporter aux catastrophes, il semble souhaitable de développer, et surtout valoriser les initiatives au niveau local comme le permet le dispositif des réserves communales de sécurité civile12. Ce dernier devrait devenir le premier maillon de la chaîne de réaction d’urgence grâce à son action d’anticipation s’appuyant sur la sensibilisation aux risques locaux et l’information sur les moyens de réagir en complément des services de secours.

Enfin, si le service civique actuellement en place est officiellement en phase d’expérimentation, celui-ci apparaît d’ores et déjà comme une solution opportune et massive au renforcement de l’esprit de civisme, socle d’une résilience durable de notre société. En effet, c’est le moyen unique de disposer temporairement de la ressource volontaire et réceptive d’une partie importante des classes d’âge jeunes mais responsables. Encore faut-il valoriser le volontariat, à défaut de pouvoir le rendre obligatoire. Ainsi, dans le but de renforcer la capacité de la population à mieux réagir dans le cadre d’une catastrophe (ou en cas de crise majeure d’une autre nature), il paraît opportun, en premier lieu, de sensibiliser voire former les volontaires aux questions de défense civile par le suivi d’un stage initial obligatoire. Ce dernier constituerait ainsi un tronc commun préalable à tout engagement volontaire. En second lieu, il conviendrait d’inciter les jeunes concernés à mettre à profit leur expérience, à l’issue de leur volontariat, sous la forme d’un engagement civique, sur le long terme, dans des associations dûment identifiées ou dans les différentes formes de défense civile (sapeurs-pompiers volontaires, réserves communales, etc.), voire dans la réserve citoyenne (à défaut de préférer s’engager directement dans la réserve opérationnelle). Cette incitation, qui participe incidemment de la valorisation du service civique, pourrait se traduire par l’attribution d’une carte du « citoyen réserviste » ouvrant droit par-exemple à des réductions dans les transports publiques.


Secouristes bénévoles de SSF lors d'une manoeuvre internationale en Allemagne sur SLDinfo.frSecouristes de SSF lors d’une manoeuvre internationale en Allemagne
Photo: Sandra Chenu Godefroy


En conclusion, si des dispositifs existent et font actuellement l’objet de nombreuses études, le renforcement de la résilience de la Nation résulte avant tout d’un choix politique fort. Cette dynamique volontariste ne peut s’inscrire que dans le long terme. Il s’agit dès aujourd’hui de valoriser ces outils par une communication adaptée et ciblée. Cela suppose donc un financement à la hauteur des enjeux. Le but est clair : inciter le citoyen à jouer de manière plus pertinente son rôle et le préparer plus efficacement à encaisser le choc d’une crise majeure. La volatilité du monde contemporain et plus encore l’actualité poignante du drame japonais, devraient renforcer la conviction de chacun en la matière.

Il est temps d’opposer au « despotisme démocratique » dénoncé par Tocqueville13 dès le 19e siècle, la vigueur salvatrice d’une démocratie moderne où le citoyen, loin de se satisfaire de l’illusion d’un Etat providence omnipotent, est un acteur qui sait se donner les moyens d’affronter les défis à venir.




Notes

1 Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale paru le 17 juin 2008.

2 Les récentes menaces de représailles terroristes du colonel Kadhafi, conséquences de notre participation à l’intervention militaire en Libye, sont à considérer, vraisemblablement, avec circonspection.

3 Révision Générale des Politiques Publiques

4 Avec la montée en puissance de la chaine OTIAD (organisation territoriale interarmées de défense)

5 L’éthologue français Boris Cyrulnik développa le premier ce concept en psychologie.

6 « La volonté et la capacité d’un pays, de la société ou des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeures, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou à tout le moins dans un mode socialement acceptable »

7 Concept de « swarming » (action en essaims) développé par John Arquilla et David Ronfeld : manœuvre convergente et synchronisée de forces initialement dispersées.

8 Les JDC ont récemment remplacé les Journées d’appel et de préparation à la Défense (JAPD).

9 Loi n°2010-241 du 10 mars 2010 relative au service civique succédant à la première tentative de service civil volontaire qui ne fut pas concluante.

10 Une étude intitulée « Sensibiliser et former aux enjeux de défense et de sécurité nationale. Quelle mission pour l’enseignement supérieur ? » a été remise le 5 mai 2010 au secrétaire d’Etat à la Défense, chargé des anciens combattants ainsi qu’au directeur général pour l’Enseignement supérieur et pour l’insertion professionnelle.

11 Réservistes au titre des ESR (engagement à servir dans la réserve).

12 La loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004 a créé, avec les nouveaux articles L.1424-8-1 à L. 1424-8-8 du code général des collectivités territoriales (CGCT), cet outil de mobilisation civique, ayant vocation à apporter un soutien et une assistance aux populations.

13 De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville.