Soutien juridique aux opérations de sécurité

Par Olivier Azpitarte




Le 20 avril 2010, à 400 milles nautiques des côtes somaliennes, le bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme a intercepté deux embarcations avec 6 pirates présumés à leurs bords. Crédit Etat-major des Armées

Le 20 avril 2010, à 400 milles nautiques des côtes somaliennes, le bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme a intercepté deux embarcations avec 6 pirates présumés à leurs bords. Crédit Etat-major des Armées






















05/07/2011- Des moyens juridiques devraient à l’avenir accompagner de plus en plus les actions des forces navales dépêchées pour traiter le problèmes de la piraterie somalienne dans l’océan Indien. Validant cette évolution, trois acteurs prééminents ont apporté leur témoignage, leur analyses et leurs solutions à SLD à l’occasion du salon Safer Seas à Brest en mai dernier : l’amiral Pierre-François Forissier, chef d’état-major de la marine nationale (CEMM), le vice-amiral d’escadre Bruno Nielly, actuel Préfet Maritime de la Manche – Mer du Nord et Jack Lang, conseiller spécial de l’ONU sur les questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes de la Somalie


Témoignage : les faillites du système actuel

Le vice-amiral d’escadre Bruno Nielly a pointé l’inefficacité du système judiciaire somalien. « J’étais à bord du bâtiment de commandement et de ravitaillement la Somme le 7 octobre 2010 en qualité d’ALINDIEN (amiral commandant la zone maritime de l’Océan Indien, ndlr). Cinq pirates à bord d’un skiff nous ont attaqué de nuit. Nous les avons interceptés puis remis aux gardes-côtes Puntlandais (état du nord-est de la Somalie ndlr.). Scène improbable : on se demandait qui était qui, des pirates et des autorités. Une semaine après, ils ont tous les cinq été condamnés à cinq de prison. Seulement voilà, quinze jours plus tard, nous avons retrouvé l’un d’entre eux dans une équipe de pirates saisie par une frégate française. C’est décourageant. On ne dissuade personne, on ne décourage personne. Le ratio risque pris / résultats attendus est actuellement beaucoup trop favorable pour les pirates.»


Analyses : criminalité, terrorisme, et politique

L’amiral Pierre-François Forissier, chef d’état-major de la marine nationale voit dans la faillite de l’Etat somalien la véritable raison du développement du phénomène. Il a nous a confié son analyse en apparté : « Les origines de la piraterie viennent du fait que, pour des raisons diverses, la Somalie est aujourd’hui un Etat failli, et que les gens de ce pays-là vivent mal. Pour essayer d’améliorer leur niveau de vie ou pour survivre, tout simplement, ils ont tenté cette expérience pirate qui effectivement leur permet de vivre, et pour certains d’entre eux, de bien vivre. Nous, militaires, ne faisons que les pompiers: on traite le symptôme, on ne traite pas la cause. Et depuis le début on sait que la cause est à terre. Donc, tant qu’on n’a pas traité la cause, on aura toujours à traiter le symptôme. Du coup, nous faisons le travail d’urgence qui consiste à maintenir le symptôme au niveau le plus bas possible. On sait bien que tôt ou tard, il faudra bien résoudre le problème à la base. Comment faire ? La clef est là : tant que la Somalie sera dans l’état où elle est, on sera obligés de lutter contre la piraterie. Petit à petit, la communauté est en train d’en prendre conscience. »


Jack Lang, devant la presse, a partagé une analyse similaire : « La communauté internationale, si riche soit-elle, si militairement armée soit-elle, n’est pas bien organisée pour faire face à une bande de pirates. Rien ne doit être écarté. Les solutions militaires sont indispensables aujourd’hui, il faut les maintenir absolument et ne pas se décourager. Mais pour éradiquer la piraterie, il nous faut frapper à la tête, à terre. Les italiens sous le régime fasciste ont, dans le cadre une politique d’italianisation, brisé toute une partie des structures traditionnelles en Somalie lorsqu’ils l’ont occupée. Il y a eu ensuite la dictature et les invasions extérieures. Aujourd’hui ce pauvre pays est un pays sans Etat. »











Jack Lang à bord de la frégate De Grasse 9 octobre 2010 à Mombasa. crédit Marine Nationale

Jack Lang à bord de la frégate De Grasse 9 octobre 2010 à Mombasa. crédit Marine Nationale












Selon les information collectées par Jack Lang, la piraterie est jusqu’à présent essentiellement d’ordre criminel: « Dieu merci, jusqu’à présent, il n’y a pas de lien entre la piraterie et le terrorisme, sauf de façon marginale dans une zone de passage tenue par les Shebabs (un seul cas avéré de lien entre Al Shebab et les pirates a été recensé, lors de la négociation pour un voilier sud-africain, ndlr). La piraterie reste une industrie mafieuse, basée uniquement sur le gain et le lucre. Mais raison de plus pour en finir vite ! Parce que si le phénomène persiste il n’est pas impensable que ces liens s’établissent, et cela serait extrêmement dangereux.»


Pour rappel, le rapport de Jack Lang publié en janvier 2011 écartait par ailleurs la légitimation politique de la piraterie (lien :  HYPERLINK “http://www.lemonde.fr//mmpub/edt/doc/20110125/1470108_d6cd_rapport%2520jack%2520lang%2520sur%2520piraterie%2520maritime_1_.pdf”http://www.lemonde.fr//mmpub/edt/doc/20110125/1470108_d6cd_rapport%2520jack%2520lang%2520sur%2520piraterie%2520maritime_1_.pdf) :

« Le développement à grande échelle de la piraterie au large de la Somalie trouverait l’une de ses origines dans la nécessité pour la population somalienne de protéger ses eaux territoriales et ses ressources halieutiques contre la pêche illégale, le dégazage sauvage de navires étrangers et le déversement de déchets toxiques. Dès 1997, une mission d’évaluation, conduite sous l’égide de l’ONU, par M. Mahdi Gedi Qayad, mettait en garde la communauté internationale contre les conséquences de telles pratiques et recommandait la mise en place d’un mécanisme de surveillance et de protection des eaux territoriales somaliennes. L’absence de structures étatiques en capacité de protéger les richesses du territoire maritime mais aussi de lutter contre l’installation des pratiques criminelles des pirates a permis la résurgence de la piraterie, notamment à partir de 2005, après le tsunami. Celui-ci venait en effet de dévaster la côte puntlandaise entre Hafun et Garacad, de ruiner 18.000 foyers, mais aussi de révéler l’ampleur des déchets dangereux abandonnés au large des côtes somaliennes.









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Si le lien entre piraterie, d’une part, et pêche illégale et déchets toxiques, d’autre part, continue à être évoqué, sans être prouvé à ce stade, la piraterie est, en tout état de cause, devenue une activité criminelle organisée, lucrative et attractive, conduite à des fins crapuleuses. Le déplacement des actes de piraterie, désormais très loin des côtes somaliennes, révèle l’absence de lien avec une volonté de protection d’intérêts nationaux. »


Solutions : lois, tribunaux, prisons et budgets

Le conseiller spécial de l’ONU a cherché à apporter des solutions concrètes : « Comme je l’ai préconisé dans mon rapport, il faut notamment construire un droit somalien. Si on va jusqu’au bout de ce que nous avons proposé, c’est à dire la somalisation des solutions, nous verrons naître des juridictions somaliennes à terre au Puntland, au Somaliland. D’autres juridictions verraient le jour en Tanzanie pour, le temps venu, revenir à Mogadiscio. Quid du droit applicable ? Les premiers éléments du droit somalien existent déjà, il serait je crois relativement facile d’en faire émerger un. Il faudra s’inspirer des bonnes pratiques mises en places par les juridictions des autres pays de la région confrontées à des cas concrets lors de procès de pirates.









Crédit Etat-major des Armées

Crédit Etat-major des Armées
















Pirates interceptés le 7 octobre 2010 après avoir attaqué le bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme. Trois semaines après, l'un d'entre eux était arrêté par une frégate française pour de nouveaux actes de piraterie. EMA

Pirates interceptés le 7 octobre 2010 après avoir attaqué le bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme. Trois semaines après, l'un d'entre eux était arrêté par une frégate française pour de nouveaux actes de piraterie. EMA











Peut-on par exemple admettre le témoignage par vidéo d’un équipage ayant été attaqué ? Car, pour le capitaine et son équipage, se déplacer et attendre en Afrique pour témoigner au procès de leurs assaillants est fastidieux et coûteux, au point de faire renoncer au témoignage. Le témoignage par vidéo est aujourd’hui assez généralement admis. Cela répond à un désir de pragmatisme actuel de la part des Etats de la région, que l’on observe aussi dans le domaine des temps de détention : en mer, la limitation des gardes-à-vue à 24 ou 48 heures est souvent une contrainte impossible à tenir. Il a fallu admettre des garde-à-vue plus longues. Ces évolutions vers un droit pragmatique sont toutes souhaitables.


Le coût de la piraterie est évalué à 12 milliards de dollars répartis entre les compagnies maritimes, les pays des régions concernées qui perdent des revenus, le surcoût des forces navales etc. Et ça ne peut que croître et embellir, si j’ose dire. Le coût de la construction de prisons et de juridictions (une cour somalienne extra-territoriale implantée à Arusha en Tanzanie, deux juridictions spécialisées au Puntland au Somaliland, et trois prisons au Somaliland et au Puntland selon son rapport, ndlr.) et la formation de juges s’élèveraient à 20 millions de dollars d’après l’évaluation, à ma demande, de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). D’ores et déjà l’Union Européenne fait un effort. Des fonds ont été levés lors d’une réunion internationale à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis. Il faut maintenant s’assurer que l’argent annoncé soit effectivement versé. »









L'OPV Gowind de la DCNS, ici en chantier à Lorient en juin 2012 à quelques jours de sa mise à l'eau, intègre aussi des solution juridiques à son bord. crédit O.A

L'OPV Gowind de la DCNS, ici en chantier à Lorient en juin 2012 à quelques jours de sa mise à l'eau, intègre aussi des solution juridiques à son bord. crédit O.A










A lire également sur ce sujet, un article du magazine n°5 de juin 2011 au sujet des solutions apportées dans le domaine juridique par DCNS pour l’Adroit, premier OPV (Ofshore Patrol Vessel) de la gamme Gowind : locaux de détention, visio-conférence avec un officier de police judiciaire etc.

lien: http://www.sldmag.com/fr/account?article_id=70&article_url=%2Ffr%2

Fcurrent-issue%2Farticle%2F70%2Famiral-forissier-un-bateau-de-traitement-de-crise-a-bas-niveau