Après une nuit de bivouac passée dans le camp militaire de l’armée malienne à Ségou, ville située au bord du Niger à 300 kilomètres environ au nord de Bamako et propice au paludisme, le convoi s’apprête à repartir pour la seconde étape de cet itinéraire aller de trois jours, à savoir Sévaré. Le chef d’escorte de peloton de “Circu” nous raconte son parcours et ses trois mois d’expérience au Mali, en tant que première OPEX.
Lieutenant, depuis quand êtes-vous au Mali et quel est votre parcours ?
Je suis de recrutement, officier sous contrat encadrement. J’ai un Mastère de l’École des Hautes études internationales à Paris et suis rentré à Coëtquidan en 2009 où j’ai suivi la formation initiale de six mois. Je suis ensuite parti six mois en corps de troupes au 503e RT à Bordeaux, puis à l’escadron de transport numéro 4 en tant que chef de peloton et chef de peloton instruction, et en septembre 2010 j’ai suivi ma formation au sein de la division d’application (D.A. Train) à Bourges. Cette année, j’ai choisi le 121e RT et la circulation, car je voulais à la fois la garnison et la spécialité. Affecté en août 2011 au 121e , j’ai été formé aux escortes, puisque je devais être projeté d’abord au Liban, puis en fait en Afghanistan. C’est donc en pleine “MCP Afgha” [mise en condition avant projection en Afghanistan] et dans la neige que l’on m’a dit «Tu vas au Mali !» Je suis donc parti pour le Mali le 10 février, arrivé à Dakar le 17 et à Bamako le 21, où nous avons tout de suite enchaîné les missions d’escorte en direction de Sévaré.
Bien que vous deviez partir en Afghanistan, la préparation que vous avez reçue est-elle conforme aux impératifs de votre engagement au Mali ?
Au niveau préparation opérationnelle, c’est équivalent : les collègues qui se préparent en ce moment vont aussi à Canjuers et font de l’escorte de convoi similaire. Les fondamentaux restent les mêmes mais après, il faut s’adapter au théâtre : en Afghanistan, les convois évoluent sur un seul axe comme ici, mais sur de petites distances ; il leur est cependant arrivé également de mettre plus de vingt heures pour boucler une mission. La menace n’est pas tout à fait la même, et nous n’avons pas les mêmes soutiens, ni les mêmes appuis. Le niveau de risque de Bamako à Sévaré est considéré comme faible, donc les appuis et QRF (Quick Reaction Force) hélicoptère, avion et artillerie ne s’imposent pas. Plus au nord, en revanche, les convois sont sous blindage et bénéficient de l’appui des GTIA (groupement tactique interarmes) et du GAM (groupement aéromobile).
Les moyens engagés sur les convois sont des moyens P4, ce qui explique que notre itinéraire se limite à Sévaré, où un autre régiment disposant de véhicules blindés prend la relève, tandis qu’au nord de Gao, on passe aux VAB. Aujourd’hui, j’ai trois patrouilles engagées sur les quatre que nous avons : je dispose ainsi, en plus de ma P4, de 16 véhicules avec de l’armement collectif destiné à assurer la sécurité et la sûreté du convoi – NF1, Calibre 50, 12.7 – , en plus de notre armement individuel (PA, Famas, grenades). J’ai donc une trentaine d’hommes sous mes ordres, 8 sous-officiers et 24 militaires du rang. Nous sommes habituellement deux patrouilles, mais dans cette mission, la troisième va rester sur Sévaré pour récupérer des véhicules qui viennent de Gao, tandis que nous repartirons directement en faisant un aller-retour sur quatre jours.
Lors de mon briefing de départ, j’ai fait une distinction entre ce qui pourrait nous arriver – les IED, les embuscades – et ce qui allait nous arriver : les pannes et accidents. Cela s’est toujours vérifié. En un premier temps, notre priorité sur nos tronçons d’itinéraire est la sécurité routière à proprement parler, car nous croisons des véhicules civils chargés dangereusement qui roulent parfois à des vitesses élevées. La sûreté ne passe pas au second plan, mais une fois que la sécurité routière est assurée, nous nous occupons de la sûreté à proprement parler et c’est là que la notion de délai joue en cas de panne, l’effet majeur étant de maintenir le convoi en mouvement. Sur notre tronçon d’itinéraire, nous sommes sereins, car la menace est faible et essentiellement liée à des mouvements de foule qui pourraient entraver la libre circulation du convoi. Mais c’est souvent parce que c’est jour de marché, car la vie continue au Mali et cela se passe très bien.
Qu’est-ce qui vous marque le plus dans cette expérience Serval ?
C’est une expérience très riche humainement et en termes de missions qui s’est caractérisée pour moi par :
– L’autonomie : nous faisons deux jours de convoi aller pour faire 600 kilomètres : la réelle spécificité du métier : c’est cette autonomie. La particularité de la “Circu”, c’est que les patrouilles sont autonomes. C’est le premier pion d’emploi et les cadres ont tous une grande autonomie : en circulation, un brigadier ou un caporal aura plus d’autonomie qu’un sergent dans l’infanterie, un sergent ou un maréchal des logis chez nous aura presque plus d’autonomie qu’un chef de peloton dans l’infanterie : tout est décalé d’un cran. Nous avons une grande liberté d’action et une zone d’action immense.
– La culture interarmes : nous travaillons avec des unités différentes : des unités d’infanterie, des parachutistes, des unités de la maintenance, et ce contact entre unités fait partie de la culture interarmées.
« Lors de mon briefing de départ, j’ai fait une distinction entre ce qui pourrait nous arriver (les IED, les embuscades) et ce qui allait nous arriver : les pannes et accidents. Cela s’est toujours vérifié. »
– La bonne connaissance des matériels : nous apprenons aussi à connaître d’autres matériels dans des conditions parfois exigeantes. Notre ennemi numéro un en termes de MCO est la poussière et l’usure mécanique en raison de l’état des routes qui n’est pas très bon. Nous avons donc de la casse, surtout au début, car tout ce qui devait casser a cassé. Ensuite, la situation s’est stabilisée et, comme nous connaissions bien la route, nous faisions les convois en allant plus vite. Maintenant, nous sommes un peu en phase de stagnation nouveau, car nous commençons à transporter du lourd et le matériel commence à s’user cette fois-ci en profondeur. Même des porte-engins blindés (PEB) qui sont assez costauds commencent vraiment à souffrir au niveau du chassis et des essieux, les pannes sévères portant sur les circuits pneumatiques, car ils sont très sollicités et ils se dégradent avec la chaleur et la poussière. Si les coussins d’air sur les cabines sont morts, il y a fuite et les pneumatiques deviennent inutilisables. Nous avons certes de la chance, mais nous bénéficions aussi de l’inventivité des personnels qui connaissent bien leurs véhicules et qui savent dépanner le convoi en trouvant la bonne astuce pour réparer le camion le temps de finir la mission et de rentrer et de réparer cela plus sérieusement en un deuxième temps. Un jour, un véhicule neuf du Service des essences des armées a eu une fuite sur le circuit pneumatique et le délai de panne annoncé aux “Trans” était de deux à trois heures. Mais l’adjudant a trouvé un moyen pour réparer la fuite et repartir en l’espace de vingt minutes. Lorsqu’il y a une panne, on annonce aux “Trans” le délai de réparation, en fonction duquel nous adaptons un dispositif ou un autre pour sécuriser le convoi. Il est donc très important de connaître les délais.
– La connaissance et l’accueil de la population : nous avons traversé tout le Sénégal, la moitié du Mali, à l’instar de notre mission actuelle. Nous apprenons ainsi à connaître le pays et les gens. Sur notre tronçon d’itinéraire, le contact avec la population est très bon et nous cohabitons avec beaucoup d’enfants qui sont très nombreux ici, car celleci nous est très favorable. Cela se passe donc vraiment bien sur le plan humain et c’est très enrichissant…
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