Entretien avec le Colonel Pascal Cavatore (Propos recueillis par M. Delaporte)
Après une carrière dans l’Arme Blindée et Cavalerie pendant sept ans, puis dans l’Aviation légère de l’Armée de terre pendant douze ans, le Colonel Pascal Cavatore a occupé diverses fonctions dans le domaine logistique. En qualité de chef du bureau logistique (J4) de l’Etat-major militaire interarmées de forces et d’entraînement (EMIAFE) basé à Creil, il a récemment assuré le soutien de «Serval II », c’est-à-dire de la phase de stabilisation de la mission française au Mali. Il commande depuis août dernier le centre interarmées de coordination de la logistique des opérations (CICLO) et s’apprête à devenir au 1er juillet 2014 commandant en second du CSOA (Centre du soutien des opérations et des acheminements). Cette nouvelle entité résultant de la fusion du CICLO (soutien des opérations) d’une part et du CMT – centre multimodal des transports – (acheminements) d’autre part, naîtra officiellement à l’été 2014 sous le commandement du Général Boussard actuel commandant du CMT, mais s’inscrit dans la continuité des procédures et des acquis de ces deux organisations créées voici sept ans. Fruit d’un processus d’optimisation de la conduite du soutien interarmées des opérations, le concept est validé par les enseignements des opérations extérieures récentes. le CSOA a pour vocation d’être l’« intégrateur du soutien interarmées des forces » en jouant un rôle de coordination et d’interface entre le commandement stratégique d’une part, les théâtres d’autre part. Dans l’article ci-dessous basé sur un entretien, le Colonel Cavatore explique l’évolution des missions et des moyens mis en œuvre pour optimiser l’action de ce nouveau Centre ‘2-en-1’, à savoir veiller à la mise à disposition d’une ressource toujours plus précieuse, en garantissant une bonne visibilité sur celle-ci et en contribuant au cycle de sa régénération.
Le CSOA, intégrateur du soutien des engagements opérationnels
Fusion, concentration et renforcement des compétences
La création le 1er juillet 2014 du Centre du soutien des opérations et des acheminements par le Général de Villiers en février dernier, alors major général des armées, est le résultat de la fusion du CMT et du CICLO et d’un processus de réflexion entamé en 2005 sur la base du Rapport Wirth, dont les recommandations incluaient une homogénéisation des procédures et la disparition progressive des redondances de soutien d’armées pour générer une véritable dynamique de soutien interarmées des opérations. La première étape vers la création de cette entité fut la naissance en 2007 du CMT et du CICLO :
➜ le premier était en charge de la sous-fonction logistique des acheminements stratégiques [ndlr : de métropole vers l’entrée de théâtre] des ressources – hommes, fret et/ou matériel -. Cette tâche s’avère particulièrement complexe et inclue l’utilisation des vecteurs patrimoniaux de transport – navires, avions et vecteurs terrestres militaires – , mais également la gestion de toute une gamme de marchés passés d’une part avec des sociétés et des groupes privés, et d’autre part avec des pays alliés afin de pouvoir bénéficier de capacités supplémentaires insuffisantes ou inexistantes au niveau patrimonial. C’est le cas bien connu des avions très gros porteurs, tels que les Antonov 124 – voire même l’Antonov 225 que nous avons pu utiliser pour Serval -.
➜ le second était quant à lui garant de la satisfaction des besoins logistiques des engagements opérationnels dans les neuf autres sous-fonctions liées au soutien : le soutien médical, le soutien pétrolier, la condition du personnel en opération, l’hygiène et la sécurité en opération, la protection de l’environnement en opération, le maintien en condition opérationnelle, le soutien de l’homme, le soutien munitions et le soutien en stationnement.
En plus de ces missions historiques, le CSOA hérite de nouvelles responsabilités lui permettant de jouer pleinement son rôle de facilitateur entre la demande exprimée par les théâtres et le soutien réalisé en métropole et au sein des forces prépositionnées, à savoir :
➜ une expertise dans le transport des marchandises dangereuses ;
➜ une expertise voie ferrée : la commission chemin de fer militaire qui existe au sein de l’EMAT nous rejoint dans une logique de métier et dans la mesure où cette voie de surface très particulière sera pour des raisons de sécurité par rapport à la route de plus en plus utilisée. Nous disposerons ainsi de spécialistes aptes à dialoguer avec la SNCF. Le CMT met déjà en œuvre des acheminements par voie de surface, comme ce fut le cas pour une partie du désengagement d’Afghanistan via le Tadjikistan ;
➜ une nouvelle fonction autour du bureau « Effectifs projetés » : jusqu’à présent les armées, et notamment l’armée de terre, étaient responsables de la mise en route et de la relève de leurs personnels. Le CSOA prend cette nouvelle mission en compte, de façon à devenir le seul interlocuteur des armées, directions et services et à assurer la cohérence globale de gestion des effectifs déployés en opération par les cinématiques de relève et le renfort des spécialistes du soutien.
➜ Les marchés d’externalisation de certaines sous-fonctions logistiques.
En termes d’effectifs, le CSOA comptera un total de 183 personnes.
Le CSOA, un organisme conforté par les enseignements OPEX
En plus de l’héritage des sept années consécutives au Rapport Wirth, le CSOA est le fruit de toutes les expé- riences acquises dans les opérations extérieures récentes, qu’il s’agisse de l’Afghanistan, d’Harmattan, de Ser- val ou de Sangaris aujourd’hui. C’est le moment opportun pour mettre en œuvre les leçons apprises.
• Premier RETEX : fluidifier les procédures d’aide à la projection
Conséquence directe de l’ensei- gnement de l’opération Serval, le CSOA aura dorénavant une autorité fonctionnelle sur le dispositif interarmées d’aide à la projection (DIAP). En effet, au cours de l’opération, nous avons dû mettre très rapidement en place un dispositif complexe, dans un temps très court et avec des points d’enlevée des différentes composantes (jusqu’à huit points sur le territoire national). Ceci nous a conduits à prévoir un dispositif spécifique afin de coordonner au mieux les nombreux déplacements entre les garnisons, les zones de regroupement et les zones de d’embarquement aériennes et maritimes. En application des directives opérationnelles du CPCO et notamment du plan de projection, nous activerons le DIAP qui s’appuiera sur des zones et des personnels clairement identifiés. Notre rôle sera de veiller à ce que les unités déployées ainsi que la logistique nécessaire au soutien de cette force soient effectivement projetées conformément aux priorités annoncées et en optimisant au mieux les modes d’acheminement disponibles. C’est ce que nous définissons comme l’économie générale des flux logistiques (EGFL).
• Deuxième RETEX : améliorer la traçabilité de la ressource
Un autre enseignement acquis de- puis des années est que la ressource devient rare, coûteuse, à partager entre de nombreux acteurs et qu’il est indispensable de la renouveler (acquisition nouvelle) ou de la régénérer (réparation). Il est donc nécessaire de mettre en place une capacité nouvelle à suivre la ressource disponible ainsi que la ressource indisponible pour que celle-ci soit régénérée (concept de reverse logistics). Notre capacité à suivre la ressource expédiée, faire en sorte qu’elle soit régénérée au bon moment constitue de fait le fil rouge de toutes nos opérations.
Pour y parvenir, une coordination étroite avec un large panel de partenaires est indispensable :
– Au niveau des théâtres
Dans le cadre d’une opération, notre partenaire principal est l’Adjoint soutien interarmées (ASIA), qui est le conseiller soutien auprès du commandant de la force. Nous travaillons également avec les Commandants des forces de souveraineté et/ou de présence. A tout moment en effet, une force prépositionnée ou une force de souveraineté peut devenir la base avancée logistique d’une opération. Il est donc nécessaire que nous connaissions les ressources déjà détenues localement. Si nous pouvons suivre les flux de matériels, il appartient bien à l’ASIA et à ses adjoints maintenance (terre, Air, ALAT) de tenir à jour l’évolution du parc des matériels. Cette coordination entre le CSOA et le théâtre est rendu possible grâce à un dialogue permanent rythmé par des vidéo-conférences hebdomadaires.
– Au niveau des services interarmées
Nous travaillons de façon étroite avec les directions de tous les ser- vices interarmées du soutien, qu’il s’agisse du Service de soutien de la flotte (SSF), de la Structure interarmées de maintenance des matériels terrestres (SIMMT) ou de la Structure interarmées de maintenance des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD), du Service interarmées de la défense (SID), du Service des essences des armées (SEA), du Service de santé des armées (SSA), mais aussi du Service du commissariat des armées (SCA), lequel prend un nouvel essor avec la gestion des GSBdD (Groupement de soutien des bases de défense). Avec le SSA, nous définissons nos périmètres respectifs de responsabilités pour une action concertée où nous jouons le rôle de facilitateur. C’est le CMT qui gérait les Medevac Falcon et Morphée : cela ne changera pas avec le CSOA et va se faire en étroite collaboration et coordination avec le SSA qui reste maître du soutien santé des opérations, son état-major de mise en œuvre (EMO) étant en dialogue permanent avec notre centre opérationnel.
En ce qui concerne le SEA, nous raisonnons en termes d’effet à obtenir en cas de déploiement de telle force à tel endroit, la gestion des contrats d’approvisionnement étant de leur ressort. De fait, nous avons chez nous des experts venant des dix sous-fonctions du soutien permettant un dialogue permanent. L’interface est quotidienne et ces experts travaillent depuis sept ans au profit des équipes qui suivent les théâtres. En cas de question, ces experts peuvent appeler leur direction centrale pour obtenir le renseignement adéquat. Le SCA est également un partenaire privilégié non seulement dans son rôle d’interface en matière de soutien du combattant, mais aussi en matière de passation de contrats, puisque nous bénéficions de l’expertise du Soutien spécialisé de la logistique et du transport (SSLT) qui en dépend. Le SSLT a toujours travaillé avec le CMT pour la contractualisation des marchés de transports multimodaux et va de- meurer le service expert du CSOA notamment dans la vérification des offres d’externalisation.
– Au niveau des services externalisés
Nous avons, de fait reçu un mandat d’étude d’externalisation de certaines fonctions logistiques à partir de 2015. L’Economat des armées (EDA) jouera un rôle majeur dans ce travail en qualité d’expert pour dialoguer avec les sociétés et les industries qui peuvent nous rendre ces services. Il existera toujours une capacité patrimoniale en matière de soutien interarmées des opérations, mais nous sommes dans une logique de recherche de performance et partout où nous pourrons faire autrement, nous le ferons. Nous avons déjà sur certains théâtres des expériences tout à fait positives d’externalisation grâce à l’EDA. Au Mali notamment, nous avons été capables d’avoir de l’eau embouteillée au bout de trois jours par le biais de contrats déjà mis en œuvre par l’EDA. Il y aura toujours une phase d’entrée en théâtre, spécialement quand le tempo est très rapide, pendant laquelle nous conserverons une capacité patrimoniale, mais très rapidement nous trouverons des solutions plus pérennes, plus stables et plus performantes. C’est le but de ce mandat post-2015 et nous travaillons déjà efficacement avec un partenariat Sodexo-La Poste prenant progressivement la relève de l’ancien service postal interarmées. Demain d’autres entreprises se positionneront dès lors que les cahiers de spécifications seront effectués et que les appels d’offre seront lancés. Un équilibre est bien sûr à conserver entre ce qui peut être externalisé et ce qui doit être maintenu en moyen patrimonial pour conserver notre autonomie. Tout est question de tempo, car un tempo rapide nous met hors des capacités de réaction du milieu civil.
• Troisième RETEX : mieux anticiper la criticité de la ressource et pouvoir alerter
Nous sommes en fait la plateforme vers laquelle converge l’ensemble des renseignements qu’ils viennent des armées, des directions des services ou des théâtres. En tant que plateforme de synthèse, nous sommes amenés à renseigner et proposer des options au commandement dans l’esprit du suivi de la ressource et de la cohérence des actions concourant à la satisfaction des besoins logis- tiques des engagements. Bénéficiant d’une expérience acquise au fil des opérations, l’objectif est d’identifier les risques de rupture potentiels et de hiérarchiser les priorités en termes d’acheminement des ressources, en fonction de leur criticité, laquelle varie à chaque opération et peut évoluer rapidement. D’où ce besoin de dialogue permanent avec les théâtres et les détenteurs, ou fournisseurs de ressources. Cette intégration des informations se fait en collaboration et sur la base d’échanges très ouverts avec nos partenaires, car chacun se sait et se sent interdépendant des autres. C’est vrai pour le soutien en OPEX, mais aussi sur le plan inté- rieur dans le cadre du soutien d’un plan d’urgence. Il existe donc un vrai besoin reconnu de coordination et d’anticipation et le CSOA contribuera à la planification et jouera un rôle de « sentinelle ». C’est une très belle mission et nos partenaires comptent sur nous.
« Le CSOA doit également jouer un rôle de sentinelle par rapport à la ressource considérée comme critique »
• Quatrième RETEX : multiplier les partenariats alliés
L’expérience des opérations récentes démontre que nous avons intérêt à multiplier les partenariats avec nos alliés et à travailler avec l’OTAN et le Commandement européen du transport aérien (EATC) en matière de vecteurs stratégiques, car il nous est difficile d’acquérir certains d’entre eux comme moyens patrimoniaux. L’Afghanistan a été le catalyseur de ces rapprochements, en raison des disparités de moyens longue distance et de la démarche commune de nombre d’alliés d’aller vers le strict besoin en vecteurs. L’arrivée de l’A400M a de ce point de vue un double intérêt : lorsque la plateforme aura atteint son régime de croisière et son opérationnalité complète, ce vecteur permettra le retour à une certaine forme d’autonomie, et offrira une capacité d’échange de services et de prestations supplémentaires susceptibles d’être proposés à nos alliés.
Faire mieux sans rupture
L’objectif premier inhérent à la création de ce nouvel organisme est donc de « faire mieux, plus vite et de manière plus fluide » au bénéfice des armées sur la base de deux structures déjà existantes et l’appui de forces spécialisées. Ce rapprochement doit permettre une harmonisation et une fluidification de nos procédures et rendre le système plus performant. Le CSOA doit également jouer un rôle de sentinelle par rapport à la ressource considérée comme critique, en mettant en garde et proposant des solutions. Notre ambition est qu’au niveau des théâtres, il y ait un sentiment de prise en compte des préoccupations et une réponse rapide. Même si cette réponse peut être parfois négative, l’essence même du CSOA est de donner des priorités, des choix, des options sur la base d’un dialogue constructif. Etre l’intégrateur du soutien interarmées, afin d’anticiper les besoins ou les risques de rupture d’approvisionnement, constitue pour nous le fil rouge de la mission du CSOA.
Cette fusion se fait actuellement sans rupture avec le déménagement des 85 personnels du CICLO auprès du CMT sur la base aérienne 107 de Villacoublay réalisé dès janvier dernier. A aucun moment, les théâtres n’en ont ressenti un quelconque effet ; il en va de même avec la création actuelle du CSOA et la colocalisation de nouvelles équipes de conduite de coordination des flux regroupant ceux qui trouvent les ressources et ceux qui les acheminent dans une même pièce. Etant tous passés par les théâtres d’opération, nous travaillons en prise directe avec les théâtres : même si nous sommes assis derrière un bureau, nous faisons ici peu de virtualité, et beaucoup de réalité, et notre ambition est de contribuer à améliorer la réalité des forces au quotidien.
Articlement paru dans Opérationnels SLDS numéro 20 :