(source: courrier international)
Quand la guerre fit irruption au Country Club de Mogadiscio [le 14 juin dernier], les entrées venaient d’être servies. Cinquante personnes, hommes d’affaires et membres du gouvernement, étaient attablées à de longues tables couvertes de mets : ragoût de dromadaire, viande de chevreau, homard et espadon. Soudain, une camionnette piégée a explosé devant le portail, pulvérisant des parties entières du mur de protection, ainsi que l’étage supérieur de la villa, et détruisant toute la façade avant.Puis quatre assaillants armés de fusils d’assaut ont tiré sur les gardes de sécurité de ce club, et pris d’assaut un restaurant situé en face. Douze heures plus tard, quand le dernier combattant fut enfin abattu, 3 gardes de sécurité et 16 clients étaient morts.
Six semaines plus tard, il ne reste plus une trace de l’attaque. En ce lundi matin, Manar Moalin attend ses clients. Elle se tient sur une tourelle à l’entrée de son établissement. Cette femme de 33 ans, du rouge aux lèvres et du fard doré aux paupières, observe un véhicule blindé en train de contourner les barrières en béton et les gardes de sécurité lourdement armés qui se reposent à l’ombre et mâchent [des feuilles de] khat [plante aux effets euphorisants] devant son Country Club.
Un mur de sable et de ciment de 2,5 mètres d’épaisseur protège à présent le club. La villa, fraîchement repeinte en blanc, est de nouveau resplendissante. Des cocotiers et des caoutchoucs entourent deux huttes ouvertes coiffées de feuilles de palme.
Le Country club de Mogadiscio est un espace entre le palais, la forteresse et la cabane en bois, mais c’est avant tout un refuge pour les hauts membres du gouvernement, un lieu de rendez-vous pour les hommes d’affaires et les riches de la ville. Et c’est peut-être le lieu le plus étrange de Mogadiscio, la capitale de l’État le plus en faillite de tous les États. Cela fait 27 ans qu’il n’a pas de gouvernement capable de contrôler toutes les régions du territoire, cela fait 30 ans qu’il est en guerre.
Ici, ce sont les seigneurs de guerre et les hommes d’affaires douteux qui règnent, et bien sûr les chebabs, ces alliés d’Al-Qaida, qui ont à leur actif plus de 4 200 morts rien qu’au cours de l’année passée. Le récent attentat du 14 octobre, qui a fait au moins 358 morts, est aussi attribué au groupe terroriste islamiste [même si ce dernier ne l’a pas revendiqué]. Et pourtant Mogadiscio est en plein boom. Mogadiscio est la capitale de la peur, et son modèle économique est le chaos.
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Photo Christian Werner/Der Spiegel