(Histoire) – Irlande du Nord 1969-2007, un conflit au cœur des enjeux de sécurité globale

 

La stratégie du chaos

Cherchant à faire de l’armée britannique l’ennemi de tout irlandais du nord, la PIRA met en place une stratégie du chaos qui vise à pousser les soldats britanniques à l’erreur en permanence en même temps qu’elle les terrorise dans leur action quotidienne. Dans cette logique du pire clairement assumée, le harcèlement des troupes britanniques s’effectue par le recours à des snipers, à l’emploi de mortiers ou aux engins, explosifs, improvisés (EEI), l’objectif de la PIRA étant de mener des actions quotidiennes sur le territoire nord irlandais et ponctuellement sur le territoire britannique. On assiste alors à la généralisation de techniques de guérilla sous la forme de « hit and run » (littéralement frappe et fuite).

Par ailleurs, la PIRA obtiendra le soutien d’autres organisations armées comme l’ETA et se verra ravitaillée par les forces libyennes de Kadhafi notamment en armement de type lance-roquettes RPG 7 et missiles anti aériens SA-7. Face à cette stratégie du chaos, le gouvernement britannique va revoir sa stratégie en agissant de plus en plus dans le sens de la lutte antisubversive puis dans celui de la lutte anti-terroriste notamment dans les zones dites de non-droit que sont devenues les quartiers catholiques de Derry et de Belfast. Quadrillage, méthodes de guerre contre-insurrectionnelle, arrestations sélectives, action psychologique, contrôles des populations, il est fait dès lors usage de tous les moyens possibles pour endiguer la montée en puissance de la PIRA. L’armée britannique s’installe alors bien malgré elle dans ce qui sera appelé The Long War.

L’adoption d’une approche globale du conflit

C’est dans ce contexte qu’une mise en place de structure de commandement unique, regroupant policiers et militaires, va voir le jour. A sa tête, le général Kitson va promouvoir une approche civilo-militaire de la gestion du conflit. Il s’agit notamment de centraliser le renseignement et de mettre en place une action psychologique commune afin de contrer la propagande de la PIRA. Il s’agit pour les britanniques de faire un usage ciblé de la force via notamment des actions spéciales et qui s’appuie sur un renseignement de qualité. Ainsi le MI-5, le MI-6 et les services secrets britanniques vont-ils être mis à contribution dans la conduite du conflit. Kitson est un lecteur attentif du colonel Trinquier (voir notre série sur la guerre d’Algérie et actions militaires d’influence) et prône une collecte du renseignement au plus près de l’ennemi. En fait, tout le panel des techniques du renseignement d’origine humaine (ROHUM) et du renseignement d’origine image (ROIM) va être mis à contribution durant The Long War, l’obsession de Kitson étant bien de gagner, in fine, la « bataille des cœurs et des esprits ». A ce titre, les techniques de propagandes blanche (visant à promouvoir l’action du gouvernement britannique auprès de la communauté catholique) et noire (visant à discréditer l’action de la PIRA) vont être également abondamment utilisées.

Durant ces 38 ans de conflit, 300 000 soldats auront été engagés en Irlande du Nord. Cette durée aura un impact pluriel pour l’armée britannique non seulement en termes d’adaptation à la menace, qui se révélera évolutive à tous niveaux, mais aussi en termes de recrutement, l’image de l’armée étant mise à mal dans les opérations menées en Irlande du Nord. De même, le besoin d’adaptation à la menace va conduire l’armée britannique à former ses recrues aux spécificités du conflit nord irlandais afin de faire face à la menace de la manière la plus juste possible.

La sortie de crise

Il faudra attendre le début des années 1990 pour que les négociations de paix puissent commencer la population dans son ensemble étant épuisée par ces années de conflit et de lutte. L’armée va donc passer d’un contexte de contre-insurrection à celui d’imposition de la paix jusqu’à la signature du Good Friday Agreement du 10 avril 1998. Dans la lignée de la signature de cet accord, l’armée a progressivement réduit sa présence en Irlande du Nord jusqu’à abandonner toute mission de maintien de l’ordre en 2007.

Si la situation est devenue plus sûre et prospère en Irlande du Nord depuis plus de dix ans, c’est notamment grâce aux aides régionales fournies par l’Union Européenne. La récente proclamation du Brexit va inévitablement avoir des conséquences majeures pour le devenir de cette contrée en laquelle subsistent de nombreux maux comme en témoigne notamment l’existence du Peace Wall qui sépare les quartiers communautaires de Shankill et de The Falls à Belfast. Par ailleurs, la province demeure toujours soumise aux risques d’embrasements sous la pression de groupuscules extrémistes tels ceux nés dans les années 1990 comme la Real IRA et la Continuity IRA…

 

Références bibliographiques

  • Jean Guiffan, La Question d’Irlande, Editions complexe, 2006
  • Paul Brennan, The Conflict in Northern Ireland, Longman University, 2005
  • Gérard Challiand, Les Guerres irrégulières, Paris, Gallimard, 2008
  • Aaron Edwards, The Northern Ireland Trubles, Operation Banner, 1969-2007, Osprey Publishing, 2011
  • Christian Casteran Guerre civile en Ireland mercure de France 1970

Illustration telle que reproduite sur le site: https://www.lexpress.fr/archives/2019/10/20/