Par Laure Singla – La gestion raisonnée des risques sanitaires majeurs à l’aune du principe de sécurité juridique : plaidoyer pour une vision bio-responsable mondiale des risques sanitaires environnementaux et leur régulation
Laure Singla est commandant de réserve citoyenne dans l’armée de terre. Docteur en droit et spécialiste des questions en stratégie sécuritaire, elle a fondé et dirige le cabinet Juris Eco Conseil. Elle est également observateur international CIDCE près du Groupe de l’Environnement des Nations-Unies, expert près la Cour d’Appel de Montpellier – spécialités D-04.05 Stratégie et politique générale d’entreprise, D-05 conflits sociaux, E-03.01 Pollution Air, E-08 Transport aérien (usage usagers) -, membre CNEJE et médiateur Près les juridictions judiciaires et administratives.
Dans cette série de six articles, elle nous propose d’aborder la crise du Covid-19 sous l’angle juridique en mettant en avant les structures existantes et les aspects méritant d’être améliorés en vue de faire face à toute crise sécuritaire ultérieure. En voici la quatrième partie.
Failles des dispositifs existants en cas de pandémie sanitaire majeure intentionnelle
Sans faire un descriptif fastidieux, il convient de rappeler qu’une pandémie sanitaire majeure d’ordre accidentel reste une menace non intentionnelle ne déclenchant pas sur le plan international comme en droit interne le dispositif NBC seulement applicable en cas de menaces intentionnelles (actes de terrorisme) d’ordre nucléaire, radiologique, biologique ou chimique. Pourtant pour ces derniers, la France a démontré qu’elle était en mesure de porter une « doctrine nationale d’emploi des moyens » de secours, notamment en matière de risques majeurs chimiques [1].
Dans le cadre de ce dispositif apparaît ainsi depuis 2014 le Centre national civil et militaire de formation et d’entraînement aux événements de nature nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosive (CNCMFE)[2]*** . Basé à Aix en Provence, ce dernier a pour objectif depuis six ans de « participer à la définition de la politique interministérielle de formation et d’entraînement dans les domaines NRBC-e, d’élaborer une pédagogie permettant la mise en œuvre de procédures conjointes ..[…], mettre en œuvre la formation interministérielle des responsables de haut niveau ainsi que des référents ministériels des zones de défense et de sécurité, mettre en œuvre l’entraînement interministériel ..[…], mettre en place une veille technologique et réalise des études et expérimentations à caractère technique et opérationnel, contribuer à l’expertise européenne et internationale en matière de formation dans le domaine de sa compétence [3] ». Ce centre finance des entraînements (EIZ) communs, pour les sept zones de défense. Et travaille à des sessions partagées avec des spécialistes de médecine de catastrophe comme la Société Française de Médecine de Catastrophe (SFMC) et l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (ENSOSP) [4] .
Trois constats s’imposent à la lumière de la crise Covid :
1) Le manque de moyens fait regretter à nombre d’observateurs de trop rares exercices communs qui pourraient permettre un meilleur décloisonnement du dispositif [5].
2) Le second pose la question de l’absence d’appel à ces spécialistes avec la pandémie du covid-19 : le comité scientifique institué depuis le 11 mars dernier n’est pas doté de spécialistes de terrain en médecine de catastrophes, ou de spécialistes civils et militaires NRBC, ou en risques majeurs.
3) Le troisième repose sur ses limites propres, notamment en termes de logistique et de matériel, sachant que ce dispositif interarmées, interministériel et interallié est doté de moyens sophistiqués de détection, de prélèvement, de reconnaissance et de moyens de modélisation et de décontamination.
En 2013 et corollairement au Centre national civil et militaire de formation et d’entraînement aux événements de nature nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosive (CNCMFE), le Centre Interarmées de la Défense Nucléaire, Radiologique, Biologique et Chimique (CIA NRBC), localisé à Saumur a été créé avec mission principale de garantir aux armées la maîtrise des capacités de défense NRBC, et ce, en qualité d’expert référent NRBC auprès des armées [6]. Ce centre apporte donc depuis six ans son expertise dans l’évaluation du niveau de préparation opérationnelle des unités de la défense NRBC spécialisée. La Direction générale de l’armement (DGA) quant à elle assure la « maîtrise NRBC », c’est-à-dire l’expertise dans le domaine des risques biologique (B) et chimique (C), l’expertise et l’évaluation des systèmes de défense NRBC, l’expertise et l’évaluation du durcissement B et C des équipements, l’expertise dans le domaine de la lutte contre la prolifération des armes B et C et l’expertise dans le domaine de la dépollution et destruction des armes chimiques.
Là encore, en mars 2017, le colonel Laurent Giot, commandant le CIA–NRBC déplorait lui aussi le manque de matériels ainsi que les difficultés de coordination des services : « L’un des points de RETEX NRBC TTA négatif le plus fréquent concerne les équipements de protection : outre des difficultés de gestion récurrentes, ils sont jugés moins prioritaires que d’autres équipements et de ce fait, même les masques ne bénéficient pas systématiquement d’un transport par voie aérienne et sont alors acheminés par bateau, pouvant ainsi arriver plusieurs semaines après le personnel qu’ils peuvent protéger et repartant bien avant eux ». Evoquant le dispositif Sentinelle déployé au lendemain de l’État d’urgence de 2015 au lendemain des attentats de Paris, il précisait alors : « Depuis le déclenchement de l’opération Sentinelle, les primo-intervenants sur un événement NRBC dans une grande agglomération, c’est potentiellement toute unité de l’armée de Terre. Cette assertion va à l’encontre de tout ce que l’on enseigne en interministériel où les primo-intervenants sont les pompiers et les forces de sécurité intérieures (FSI) ; l’appel aux armées n’arrivant que plus tard, en dernier recours, lorsque la « règle des 4 i »3 s’applique. Avec Sentinelle, la configuration est différente et les soldats de l’armée de Terre peuvent se retrouver primo-arrivants sur le lieu d’un attentat ayant une dimension NRBC. En outre, dans un tel cas, ils feraient partie des rares intervenants disposant rapidement au minimum d’un masque, voire d’une tenue de protection NRBC complète et seraient parmi les encore plus rares intervenants formés et entraînés. [7] »
Même situation pour la Gendarmerie nationale et la Police nationale : si une certification NRBC (nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique) de la Réserve volontaire européenne a été créée et si seule la France dispose depuis 2017 d’une cellule certifiée permettant de disposer de moyens performants et de venir en aide aux populations de façon optimale, le dispositif souffre de l’absence d’une logistique de transport adaptable en temps de crise [8].
La gestion des risques majeurs pour la France repose sur trois phases : phase de préparation (planification, entraînement, anticipation), phase opérationnelle et phase retour à la normale (retour d’expérience, soutien des populations…). Des documents relatifs à l’organisation de réponse de Sécurité civile (ORSEC), au plan particulier d’intervention (PPI), au plan communal de sauvegarde (PCS) et aux exercices et au retours d’expérience sont en ligne. Dans la mesure où une pandémie sanitaire majeure n’a pas été retenue comme étant un risque naturel majeur, il n’existe cependant pas de plan ORSEC-Pandémie sanitaire (contrairement par exemple aux incendies qui sont depuis 1987 retenus par les législateurs comme risques majeurs avant d’instaurer en 1995 des plans de préventions des risques (PPR) naturels et technologiques) [9]. Ce constat est d’autant alarmant que malgré les M.O.T introduits dans le code de la santé publique depuis 2001, aucune disposition propre aux risques sanitaires majeurs n’a pu transparaître en dix-neuf ans dans le code de l’environnement [10]. Ainsi L’article L561-1 ne dispose toujours pas d’alinéa consacré à ce risque et l’article L562-1, alinéa I pourtant modifié en 2012 n’a retenu que « l’Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones. [11] »
Ces failles systémiques traduisent donc une sous-estimation des risques environnementaux notamment sanitaires face auxquels l’expérience du Covid-19 devrait faire réagir pour entrevoir de nouvelles stratégies.
(A suivre)
*** Note de l’éditeur : pour en savoir plus sur le CNCMFE, voir notre interview réalisée en 2018 et publiée dans notre numéro 40/41 >>> « Dépasser la couleur de l’uniforme », Entretien avec le Colonel Marc Caudrillier, Directeur du CNCMFE NRBC-E (propos recueillis par Murielle Delaporte – [VERSION PDF >>> Article CNCMFE NRBCE-E # 40 41 Operationnels double Printemps 2018]
Illustration © http://crd.ensosp.fr/
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Notes de bas de page
[1]Circulaire n° 700/SGDSN/PSE/PSN du 2 octobre 2018 relative à la doctrine nationale d’emploi des moyens de secours et de soins face à une action terroriste mettant en œuvre des matières chimiques
[2] Décret n° 2014-338 du 14 mars 2014
[3] https://www.missionnrbc-zoneouest.fr/formation-entrainement/entrainements-exercices/entrainement-interministeriel-zonal/
[4] https://www.sfmc.eu/evenement/session-nrbc-ensosp-cncmfe-et-sfmc-aix-en-povence/
[5] Exemple entraînement interministériel NRBC zone sud ouest des 27 et 28 septembre 2017 sur la base aérienne (BA) 120 de Cazaux ayant pour objectif principal de permettre aux services des différents ministères concourant à la protection et à la sécurité des populations (gendarmerie et police nationales, pompiers des services départementaux d’incendie et de secours, SAMU et armées)
[6] Voir : décision n°10066/DEF/EMA/MA/DNBC du 7 août 2013 ; INSTRUCTION N° 505287/DEF/EMAT/PP/B.PLANS/NRBC relative aux attributions et à l’organisation du centre interarmées de la défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique
[7] colonel Laurent GIOT, commandant le CIA2–NRBC- CDEC/DDO – LETTRE DU RETEX–OPÉRATIONS n° 32 – Mars 2017
[8] Unité sapeurs sauveteurs militaires de l’Unité d’instruction et d’intervention de la Sécurité civile 1 (UIISC 1 – Nogent Le Rotrou) de l’armée de Terre
[9] Loi n° 87-565 du 22/07/87 relative à l’organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l’incendie et à la prévention des risques majeurs
[10] Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement
[11] LOI n°2012-1460 du 27 décembre 2012 – art. 6