Par Laure Singla – La gestion raisonnée des risques sanitaires majeurs à l’aune du principe de sécurité juridique : plaidoyer pour une vision bio-responsable mondiale des risques sanitaires environnementaux et leur régulation
Laure Singla est commandant de réserve citoyenne dans l’armée de terre. Docteur en droit et spécialiste des questions en stratégie sécuritaire, elle a fondé et dirige le cabinet Juris Eco Conseil. Elle est également observateur international CIDCE près du Groupe de l’Environnement des Nations-Unies, expert près la Cour d’Appel de Montpellier – spécialités D-04.05 Stratégie et politique générale d’entreprise, D-05 conflits sociaux, E-03.01 Pollution Air, E-08 Transport aérien (usage usagers) -, membre CNEJE et médiateur Près les juridictions judiciaires et administratives.
Dans cette série de six articles, elle nous propose d’aborder la crise du Covid-19 sous l’angle juridique en mettant en avant les structures existantes et les aspects méritant d’être améliorés en vue de faire face à toute crise sécuritaire ultérieure. En voici la cinquième partie.
Plaidoyer pour une stratégie bio-sécuritaire transversale à l’aune du principe de sécurité juridique
Le constat étant dressé, que retenir si ce n’est que la France comme le reste du monde ne dispose pas en 2020 de plan de prévention et d’alerte sécuritaire des risques sanitaires majeurs accidentels. Ce constat reste identique en droit interne comme international et en totale contradiction, à l’heure de la mondialisation, avec l’accélération des modes de transports, des modes de productions, et de la société numérique. Plusieurs propositions peuvent être retenues, notamment en suggérant par le dialogue de repenser transversalement les risques en plaidant pour une approche réellement sécuritaire fondée sur une itérativité nouvelle et axée sur les enjeux endémiques.
Suggestions de stratégies structurelles reposant sur une vision juridique bio-responsable
- Suggestions en vue d’une autre stratégie d’interconnexion opérationnelle itérative
Rappelons que la question de l’identification du risque d’un préjudice environnemental générateur de risque de préjudice sanitaire posée en 1994 restait liée au degré de dangerosité [1]. Or trois problématiques résident aujourd’hui pour permettre une amorce juridique véritable, cohérente et adaptée. La première est liée aux absences de synergies entre les divers agents territoriaux et les institutions locales, vecteurs de blocages portant sur la complétude administrative et les rivalités inter-services. La seconde découle de la première et reste liée à la notion d’intérêt général mal établie qui nécessiterait d’être redéfinie. La dernière reste judiciaire, car, pour citer l’ancien vice-président de la Cour Internationale de Justice Christopher Weeramantry, « la justice manque parfois de vision » [2].
La première suggestion porte donc sur une logistique opérationnelle itérative en terme de transports adaptable en cas de pandémie, intentionnelle comme accidentelle, pouvant représenter un risque de propagation d’une pandémie. Ici, le souverainisme pourrait être logiquement l’un des grands « gagnants » d’une pandémie, au sens où on maîtriserait les flux des frontières ; on recentrerait alors la stratégie sous deux angles : un premier angle économique autour d’une agriculture locale et d’une protection des pôles économiques. Un second angle hospitalier autour d’une organisation sanitaire d’urgence solidaire au travers du renforcement et l’élargissement de systèmes comme par exemple celui du « Know Your Patient » pouvant contribuer à diminuer l’absence de pénurie de matériel en cas de menace pandémique majeure [3].
Cette première stratégie serait donc interactive sur le plan opérationnel et ainsi anticipative, transversale (prive-public) et itérative (civil-militaire). Elle éviterait qu’on tombe dans le piège des scénarios catastrophes type S.A.R.R.A, où la supervision artificielle dirigerait les opérations en lieu et place de l’intelligence humaine collective [4]. Elle éviterait aussi qu’on tombe dans celui du Tracking systématique où les libertés individuelles seraient mises en mal ou perçues comme telles. Pour autant, il convient de rester humble car le défi demeure grand pour la mise en place d’un tel dispositif. Et prudent, en ce sens qu’il n’est pas déraisonnable de penser qu’aucun État ne peut aujourd’hui comme demain se prévaloir d’être à l’abri d’autre scenario catastrophe. Et qu’il doit tirer une leçon du Covid-19. - Suggestion d’une autre stratégie transversale d’interconnexion sécuritaire
A la première suggestion s’ajoute une seconde stratégie d’interconnexion sécuritaire qui ne doit pas reposer sur un renforcement irrationnel de l’État, comme dans toute crise sécuritaire – guerre, terrorisme, épidémie –dont le rôle serait valorisé pour le contrôle des populations, l’intervention économique, la santé et la sécurité. Mais sur le principe de sécurité juridique. Pour tendre en douceur vers une bio-civilisation qui n’existe pas encore. Car après la crise actuelle, nul doute qu’on risque d’assister à l’affrontement national et international entre quatre catégories de population : la première regroupe ceux qui plaident les risques dans leurs revers fatalistes les plus négatifs. La deuxième regroupe ceux qui les contrent. La troisième regroupe enfin ceux qui vont vivre « cloisonnés » au travers d’outils comme le télétravail, la télémédecine, la télé-éducation. La quatrième regroupera tous ceux qui n’adhèrent pas aux trois premières. La première catégorie s’est faite remarquée, notamment aux États-Unis fin mars 2020, au travers de l’explosion des ventes d’armes et de munitions. La seconde catégorie aussi en prônant le retour à l’autosuffisance individuelle. La troisième a vu ses privilèges partagés au profit de la quatrième.
Face à ce constat, il convient de réfléchir autrement pour permettre la bascule de la société actuelle vers une bio-civilisation responsable. Ici, cette stratégie reposerait sur une interconnexion sécuritaire raisonnée reposant sur la reconnaissance d’un nouveau type de libéralisme : le bio-libéralisme. Plaçant l’Humain et la Nature au centre de l’économie des États et constituant un cercle de gouvernance bio-responsable. Nous sommes donc dans une approche de bio-civilisation responsable où la démocratie environnementale est au centre et où les outils de dialogue comme la médiation vont avoir un grand rôle à jouer [5]. La France pourrait être précurseur dans cette nouvelle stratégie sécuritaire bio-responsable, pouvant de fait s’allier avec la stratégie américaine validée par le président Trump en avril 2020, dite « stratégie du choc », laquelle repose sur les limites du néolibéralisme en mettant en avant des acquis des civilisations, valeurs politiques et culturelles pour contrer les tentatives capitalistes d’utiliser les catastrophes naturelles, crises et désastres pour imposer de nouvelles contraintes [6].
Illustration © https://pixabay.com (as published by >>> https://bratsk.irk.today/2020/05/08/271-sluchaj-koronavirusa-zaregistrirovan-v-irkutskoj-oblasti-na-8-maja/)
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Notes de bas de page
[1] Recommandations OCDE, C(74) 215 du 14 nov 1974 sur l’évaluation des effets potentiels des composés chimiques sur l’environnement
[2] Christopher WEERAMANTRY, La justice manque parfois de vision, 32 pages, page 7, 8 septembre 2008, http://www.ourplanet.com
[3] https://www.jouve.com/news/know-your-patient-la-nouvelle-offre-sante-de-jouve-pour-lhopital/
[4] « S.A.R.R.A », David Gruson, Editions Beta Publisher, Tome I publié en 2018, Tome II publié en 2019
[5] Laure SINGLA, Régulation des conflits environnementaux et médiation au XXIème siècle : plaidoyer pour une vision juridique bio-responsable, éditions PUP, 2020
[6] Naomi KLEIN, la stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, traduit en français, 2008, éditions Actes Sud