Par Murielle Delaporte – Si la plupart des médias tendent à se cristalliser sur la polarisation des deux partis politiques américains en lice pour la course à la Maison Blanche, il est un phénomène qui apparaît en filigrane de cette période riche en rebondissements électoraux, à savoir l’émergence d’une nouvelle génération de personnalités politiques issue du « 11 septembre ».
Cette « Génération du 11 septembre » (« 9/11 Generation ») comme nous avons en France notre « Génération Bataclan » correspond en particulier au sein des forces armées américaines aux vétérans de la « Génération Afgha » (notre « Génération OPEX » en France).
Si le Parti démocrate n’a pas encore entamé de véritable bataille de succession pour succéder à Joe Biden ou à Kamala Harris, l’annonce par Donald Trump qu’il ne se représenterait pas en 2028, et surtout le choix de JD Vance comme vice-président, ont ainsi ouvert le champ des possibles pour une véritable transition générationnelle au sein du parti républicain permettant aux forces armées et à leurs anciens combattants de faire davantage entendre leur voix.
La fin des politiciens de la Grande guerre
Si Joe Biden et Donald Trump – et même Kamala Harris et son vice-président Tim Waltz, tous les deux d’une vingtaine d’années plus jeunes mais ayant grandi pour une grande part dans l’ambiance de la Guerre froide – s’inscrivent encore en termes de générations dans l’héritage des équipes présidentielles de la Grande guerre – c’est-à-dire la Seconde guerre mondiale et à moindre degré de la guerre du Vietnam (avec feu John McCain) -, il n’en est rien du Sénateur de l’Ohio JD Vance.
Ce dernier terminait en effet sa scolarité lorsque les attentats du 11 septembre se produisirent entraînant dans son sillage une ferveur patriotique unanime dans tout le pays et incitant le jeune bachelier à s’engager dans les Marines où il servit de 2003 à 2007 notamment comme officier de communication au sein de la 2nd MAW (« 2nd Marine Aircraft Wing »). C’est dans ce cadre qu’il fut déployé en Irak six mois, conflit qu’il critiquera ultérieurement lorsqu’il deviendra sénateur, estimant que l’intervention américaine avait été construite sur un mensonge et avait conduit à de nombreuses pertes humaines irakiennes et américaines pour rien1.
JD Vance exprime ainsi un sentiment de trahison par rapport au bien-fondé de décisions militaires prises par certains responsables de la politique étrangère américaine et une aversion pour les guerres longues – « The Long Wars » telles que l’on appelle les guerres d’Irak et d’Afghanistan aux Etats-Unis -.
La chute de Kaboul le 15 août 2021 et le départ précipité des troupes américaines d’Afghanistan n’ont fait que renforcer ce sentiment de gâchis chez Vance et nombre de militaires appartenant à cette génération de combattants, ainsi qu’au sein d’une grande partie de l’opinion publique ayant encore en mémoire la chute de Saïgon.
L’Afghanistan, Vietnam du XXIème siècle ?
Si les évènements du 6 janvier 2021 reviennent comme un leitmotiv dans la campagne menée par les Démocrates pour discréditer Donald Trump, l’abandon de l’Afghanistan est régulièrement évoqué par les Républicains comme la plus grosse erreur du gouvernement Biden, ayant conduit à la mort de treize militaires américains.
Les rapports qui ont suivi le retrait américain d’Afghanistan montrent en effet que les autorités américaines auraient dû organiser les évacuations dites « non combattantes » (NEO pour « Non-combattant Evacuation Operation ») beaucoup plus en amont de la date de départ de l’ensemble des personnels militaires américains qui avait été officiellement annoncée2 : malgré des opérations d’exfiltration organisées en catastrophe par le Pentagone et de façon volontaire par nombre de vétérans (telles l’opération Pienapple Express3), nombreux sont ainsi les ressortissants afghans, ayant travaillé aux côtés des Etats-Unis et de leurs alliés pour lutter contre le terrorisme pendant vingt ans, qui ont été laissés aux mains des Talibans.
Même si les Républicains ne remettent pas en cause la question du retrait en lui-même – d’ailleurs initié par Donald Trump avec les accords de Doha signés un an avant avec les Talibans -, ils reprochent à l’administration démocrate la façon dont ce dernier s’est passé en laissant dans leur sillage non seulement des familles condamnées à une mort certaine, mais aussi des documents de renseignement et matériels militaires en pagaille. Ils mettent en avant un retour à la case départ avec la reconstitution en Afghanistan d’un sanctuaire d’entraînement de terroristes dont la motivation d’un califat mondial est aujourd’hui décuplée4.
Le traumatisme et l’amertume ressentis au sein de cette génération de militaires américains trouvent un écho au travers des discours de JD Vance et d’autres politiciens ayant rejoint l’équipe de Trump, tels Tulsi Gabbard, député d’Hawaï de 2013 à 2021 et ancienne candidate démocrate aux élections de 2020. Gabbard est lieutenant-colonel de réserve dans l’armée de Terre et fut également déployée en Iraq.
Cette plaie ouverte n’est pas sans rappeler celle des « anciens du Vietnam », ou, en France, celle des « anciens d’Indochine et d’Algérie », mais aussi des « guerres orphelines » dont parle Hélie de Saint Marc dans « Sentinelles du soir » de la façon suivante :
« Après l’Indochine et l’Algérie, avec moins d’intensité bien sûr, mais avec peut-être autant de gravité, je vois revenir le temps des guerres orphelines, celles dont personne n’assume la paternité, où l’enjeu disparaît sous les polémiques et la manipulation médiatique. (…)
La stratégie militaire est désormais subordonnée à des impératifs diplomatiques ou médiatiques qui s’imposent aux réalités militaires. Les troupes se retrouvent au bout de la chaîne de décision, dans des situations terribles, désarmées ou à contre-courant. »5
La différence aujourd’hui est que cette « Génération du 11 septembre » est dorénavant représentée pour la première fois au sein d’une liste électorale présidentielle et peut faire entendre sa voix pour ne plus être justement « au bout de la chaîne de décision » (autre phénomène intéressant de cette campagne : la migration des Néo-conservateurs vers le parti démocrate illustre de fait cette divergence d’approche). La question traditionnelle des soins médicaux à leur retour dans la vie civile – et notamment la prise en compte de l’état de stress post traumatique conduisant un taux de suicide extrêmement important au sein de cette communauté6 – font partie des thèmes abordés de façon croissante dans les débats publics.
Que ce soit Donald Trump ou Kamala Harris qui gagne cette présidentielle ne change rien à la tendance de fond qui se fait entendre en ce moment au travers des voix de Vance ou de Gabbard, à savoir le rejet d’engagements militaires « inutiles » pour lesquels les troupes américaines « servent de chair à canon »7.
La tâche des prochains chefs du Pentagone et du VA (« Department of Veterans Affairs ») va consister à regagner cette confiance perdue au sein d’une partie de la population américaine, une perte de confiance à l’origine des difficultés de recrutement et de rétention dont souffrent les forces armées américaines depuis quelques années…
Notes de bas de page :
1 “I believed the propaganda of the George W. Bush administration that we needed to invade Iraq, that it was a war for freedom and democracy, that those who were appeasing Saddam Hussein were inviting a broader regional conflict (…) I served my country honorably, and I saw when I went to Iraq that I had been lied to, that the promises of the foreign policy establishment of this country were a complete joke”, déclaration parlementaire de JD Vance telle que citée dans >>> https://www.military.com/daily-news/2024/07/16/jd-vances-marine-corps-service-would-set-him-apart-most-vice-presidents.html
2 Voir par exemple les rapports parlementaires suivants :
- https://www.foreign.senate.gov/imo/media/doc/Risch%20Afghanistan%20Report%202022.pdf
- https://foreignaffairs.house.gov/wp-content/uploads/2024/09/WILLFULL-BLINDNESS-An-Assessment-of-the-Biden-Harris%20Administrations-Withdrawal-from-Afghanistan-and-the-Chaos-that-Followed.pd
- https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IN/IN11726
3 Cette opération a fait l’objet d’un livre publié en novembre 2023 : Operation Pineapple Express, lt. Col. Scott Mann (Ret.), Simon and Schuster, New York, 2023.
4 Voir par exemple sur ce sujet : Al-Qaeda 2.0 : The Upcoming Attack On the United States and Europe Unveiled, William Harcher, The Transatlantic Intelligence Consortium, 2024
5 Hélie de Saint Marc, Les sentinelles du soir, Les Arènes, Paris, 1999 page 113.
6 En France la prise en charge de l’ESPT est beaucoup plus organisée depuis deja un certain nombre d’années, tant au sein des armées que grâce au système médical national permettant aux médecins généralistes d’être sensibilisés à cette question. Voir par exemple sur ce sujet >>> https://www.defense.gouv.fr/sante/nos-missions/dossier-traumatismes-psychiques/dossier-espt-savoir-lespt
7 Déclaration de Tulsi Gabbard pendant un meeting de campagne électorale destiné aux anciens combattants, Pensylvannie, 30 octobre 2024
Voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=ZCf3gz3X3yc