Entretien avec Jess Plaiter, CEO de MP-SEC France / Propos recueillis par Murielle Delaporte
Voici déjà six ans nous interviewions Jess Plaiter, directeur et fondateur de MP-SEC France depuis 2007, et publiions un article dans le numéro 37 de cette revue intitulé « Toujours s’adapter…»1. Cette seconde interview fait le bilan d’une évolution riche en développements depuis 2017, confirmant la capacité de MP-SEC et de ses équipes à conserver, sous le leadership de leur charismatique CEO, cette capacité d’adaptation et agilité qui en font le succès pérenne.
En six ans, MP-SEC a en effet connu une « évolution très positive, passant de seize à vingt-six millions d’Euros de chiffre d’affaires et continuant à s’agrandir avec l’acquisition de deux nouveaux bâtiments, respectivement de deux mille et six cents mètres carrés, et peut-être prochainement d’un troisième de cinq mille mètres carrés si la croissance le permet », explique Jess Plaiter. Au fil de cet entretien, ce qui ressort est à quel point l’adaptation de cette société, dont l’activité repose sur trois axes distincts mais complémentaires – à savoir les marchés publics (qui représentent cinquante pour cent du chiffre d’affaires de l’entreprise), le réseau revendeur (qui couvre quelques trente mille références de produits différents) et le « B-to-C » [Business To
Consumer] (qui inclut deux magasins et deux sites internet) -, reflète les séismes internationaux et les évènements ayant marqué le paysage de la défense et de la sécurité en France ces dernières années. Parmi ceux-ci, nous avons ainsi relevé trois jalons majeurs auxquels correspondent trois caractéristiques et tendances lourdes du marché de la défense et de la sécurité actuel.
La montée de l’insécurité et du terrorisme : l’effet Bataclan
« Si MP-SEC a commencé par le textile et est surtout connu pour cela, nous avons pris un premier virage voici quelques années vers le secteur de l’armement nécessitant d’obtenir les licences de commerce de métiers de guerre et en commençant à commercialiser différents produits destinés aux forces de l’ordre, de type bâton télescopique ou spray défensif. Ce premier tournant a été suivi par un second dans le domaine médical, lequel a depuis 2017 changé de nature avec l’introduction d’une partie formation délivrée en ligne par Claude Brunet »2, explique Jess Plaiter [Voir photo dans le diaporama ci-dessus]
Ces cours en ligne sont très cadrés et s’adressent notamment aux professionnels de sécurité privée, à des agents du service public (personnel d’ADP, ministère des affaires étrangères, etc…), des personnels déployés dans des postes isolés, ou des tireurs sportifs et chasseurs par exemple. Mais ce que note Jess Plaiter est l’intérêt qui s’est développé à titre individuel au sein de la population civile pour non seulement acquérir un « fond de sac à dos » avec un matériel de premiers soins minimum, mais aussi pour les connaissances minimales permettant de « réagir n’importe où, n’importe quand (…) On a assisté à une véritable prise de conscience depuis les attentats terroristes du Bataclan, qui va bien au-delà du simple effet de mode, lequel s’estompe normalement au bout de deux ans. Cet intérêt-là ne disparaît pas et la conscience de devoir compter sur du matériel individuel et pas seulement sur la pharmacie de proximité est réellement entrée dans l’esprit des gens. »
La composition des trousses de premiers soins et donc les procédures d’emploi ont-elles aussi beaucoup évolué depuis dix ans affectant bien-sûr l’offre de MPSEC dans ce secteur d’activité. Basée sur la trousse d’urgence américaine IFAK (« Individual First Aid Kit»), la trousse « secours attentat pour secouriste » inclut ainsi dorénavant par exemple un garrot tourniquet, un pansement pneumothorax à valve ou encore un compressif hémostatique d’urgence, connu sous le nom de « pansement Israélien ». Ce dernier figurait déjà dans les TIC (trousse individuelle du combattant) de l’armée française en Afghanistan. MP-SEC représente de fait une société israélienne commercialisant ce pansement hémostatique et les évènements récents – que ce soit la guerre en Ukraine ou l’attaque du Hamas contre Israël – ont bien évidemment un impact direct sur une demande accrue de ce type de produits de première nécessité dès lors qu’un théâtre est sous le feu.
La fin de la globalisation : les effets Brexit, Covid et Ukraine
La guerre en Ukraine a également eu pour effet de confirmer la tendance mise en avant quelques mois auparavant par la survenue de la pandémie, à savoir la nécessité de repenser les flux logistiques et les dépendances extérieures en matière d’importation de biens stratégiques et de matériaux critiques. MPSEC dispose à cet égard de plusieurs atouts construits patiemment depuis une quinzaine d’années, à commencer par sa réputation de sérieux et de fiabilité : « lorsque la guerre en Ukraine a éclaté et comme à chaque fois qu’un conflit a lieu, nombre de contrefaçons de matériel militaire et de faux « end-users » ont proliféré. C’est la raison pour laquelle la Pologne, passage des livraisons vers l’Ukraine, a gelé les exportations et remis à plat les flux. MP-SEC n’a eu aucun problème pour livrer des équipements de protection individuelle via la Pologne », raconte Jess Plaiter.
Bureau de recherche et développement, tests en laboratoire, fiabilité des réseaux de fournisseurs et expertise des « commerciaux-terrain » en interne expliquent notamment cette résilience, mais aussi la nature du métier de distributeur imposant une
diffusion efficace nécessitant non seulement des stocks importants, mais aussi une capacité d’entretien et de réparation sur ces derniers. « Même si ce n’est pas rentable financièrement, il n’est pas possible d’offrir un service correct sans stock. Lorsque la société américaine ASP, spécialisée dans la production de matériel de maintien de l’ordre (bâton téléscopique, lampes, etc), nous a demandé de les représenter comme « stock Europe » en 2017, il nous a fallu accélérer nos méthodes de diffusion pour être en mesure de livrer des petites quantités sous quarante-huit heures. Dans ce métier de re-distribution, il nous faut être le plus utile possible, sinon nous ne servons à rien. Nous avons donc constitué un centre de distribution et un centre de réparation pour ASP et quelques autres fournisseurs. Plus MP-SEC peut gérer un nombre croissant de stocks européens, plus nous sommes utiles… »
Etant donné la remise en question du zéro stock et et du « just in time » en matière de logistique opérationnelle, cette faculté de constituer et d’entretenir des stocks s’avère de fait directement utile pour l’ensemble de la base industrielle de défense de la nation. Mais si MP-SEC s’équipe constamment pour répondre à la demande, avec notamment un troisième bâtiment consacré au stockage et à la préparation des grands marchés ainsi qu’une toute nouvelle organisation du travail fruit de deux ans d’audit, son CEO met en garde sur les coûts associés à un retour à une politique de stocks importants et le besoin de moyens que cela nécessite. « Chiffrer le coût de stockage journalier par produit n’est pas exercice aisé, mais si l’on inclut la totalité des frais, y
compris les assurances, la manutention, les préparations de commandes, etc, les montants grimpent rapidement. Nous disposons déjà de cinq à six millions d’Euros de stocks et la difficulté à ce stade est de savoir quels types de stocks il faudrait acquérir ou augmenter. Comment anticiper sur le prochain conflit? Comment prévoir le « juste besoin », alors que nous sommes prisonniers de dates de péremption sur de très nombreux produits. Même les casques et plaques balistiques sont sous contrainte d’un délai de validité de cinq ans à leur sortie de production. »
Il existe certes des modes de vérification de type scanner permettant de juger de l’état des matériels et d’en proroger les dates de péremption, mais il est clair que la gestion de vastes stocks dans la perspective d’un conflit de haute intensité s’avère particulièrement complexe, ne serait-ce que par manque de visibilité. Il existe en revanche un facteur inattendu favorisant le retour des stocks en ce qui concerne MP-SEC, dont la majorité des produits proviennent des Etats-Unis et du Royaume- Uni (et à moindre degré d’Italie et de Serbie) : il s’agit du Brexit, qui a sérieusement compliqué les flux de produits entre le Royaume Uni et le continent européen en raison des contraintes douanières en particulier. « Nombreuses sont les sociétés britanniques qui aimeraient constituer des stocks en Europe, de façon à faciliter la distribution de leurs produits. C’est pour cette raison que l’acquisition d’un nouveau bâtiment de cinq mille mètres carrés, lequel serait dédié au stockage, fait actuellement partie des perspectives de développement de MP-SEC », souligne Jess Plaiter.
Retours de terrain : modernisation et imbrication croissantes du soutien des forces armées et de sécurité
A la question de savoir de quelle façon la demande a évolué au fil des années dans ce segment de marché tellement particulier, Jess Plaiter note en premier lieu la chute de la demande en matière de paquetage militaire : « il y a vingt ans les sacs à dos CamelBak se vendaient à la pelle et nombreux étaient les combattants des armées françaises qui achetaient leur paquetage en entier, en raison d’un soutien de l’homme qui laissait à désirer. Aujourd’hui, fort heureusement et au gré des retours d’expérience des opérations, le retard a été rattrapé et, signe des temps, le militaire achète aujourd’hui un « petit plus », mais c’est tout, ce qui est une excellente chose. » MP-SEC continue cependant à équiper le soldat français par un autre biais, à savoir via des contrats classiques – notamment avec le CIEC (Centre interarmées du soutien équipements Commissariat) – et des accords-cadres avec les forces spéciales.
A noter que la modernisation des forces armées et de sécurité concerne également les procédures d’acquisition. L’initiative de la SIMMT (Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres) concernant la création d’un catalogue électronique d’achat direct d’équipements du combattant a par exemple fondamentalement changé les pratiques au profit des forces spéciales. MP-SEC a participé à l’appel d’offre de ce contrat de sept ans (dénommé Mercure), lancé en mars 2021 et conclu en novembre 2022, au sein d’un groupement (Olympe) représentant quatre-vingt des marques inclues dans le catalogue : « nous n’avons pas remporté l’appel d’offres, mais ce fut un bon moyen de nous positionner et de devenir un partenaire majeur pour le tandem gagnant NSE-Sofema.» Un changement de pratique et une nouveauté dans le monde des marchés publics qui concernent également les forces de l’ordre (avec Paul Boyé) et qui pourraient s’étendre au reste des armées si le résultat s’avère probant …
Autre volet particulièrement dynamique de l’évolution de l’offre MP-SEC face à la transformation du champ de bataille et des problématiques sécuritaires, l’innovation technologique a bien-sûr toujours été le moteur de l’activité de la société, qui, très tôt, a mis en place un bureau de recherche et développement permettant de mieux coller à la demande des clients. MP-SEC vient cependant de franchir une nouvelle étape de développement en la matière en se lançant d’une part dans un nouveau domaine, à savoir la robotique, et en procédant à l’intégration de plusieurs disciplines : « jusqu’à présent j’avais toujours repoussé l’idée d’ajouter drones et robots à nos services, lesquels nécessitent une grande expertise. Mais le timing est aujourd’hui bon et nous travaillons dorénavant avec Ghost Robotics, entreprise américaine qui conçoit des robots quadrupèdes, lesquels peuvent être mis à contribution dans des dizaines de fonctions (EOD ; observation ; etc). Ce qui est intéressant est que nous travaillons en coopération deux centres de recherches robotique situés en France et en Espagne, mais aussi avec différentes sociétés de télécommunication qui ont mis au point un système de transfert d’images et de vidéos par radio. »
Intégrer optique, radio et robotique ouvre la voie à toutes sortes de possibilités en matière d’investigation, de déminage, etc., et ce, tant pour les forces armées que pour les forces de sécurité. De fait, Jess Plaiter souligne une imbrication croissante de l’expression des besoins entre défense et sécurité : « MP-SEC propose par exemple des formations de tir simulé et la mise en oeuvre d’un système de simulation et formation mobile qui intéressent autant les militaires que la police et les personnels pénitentiaires. » Une évolution symptomatique de l’hybridation de la menace et donc des moyens nécessaires pour la combattre que MP-SEC a là encore su capter efficacement pour demeurer « le plus utile possible » selon le souhait de son CEO.
Notes de bas de page :
1 Toujours s’adapter…, un entretien avec Jess Plaiter, Opérationnels SLDS # 37, Paris, automne 2017 (accessible en ligne >>> https:// operationnels.com/2017/11/01/jess-plaiter-toujours-sadapter/)
2 Voir « La guerre au coeur de la Cité » Du sauvetage au combat au secourisme opérationnel, entretien avec Claude Brunet / Par Franck Rossi, publié dans notre numéro # 53/54, automne 2021
Photo 1 © MP-SEC France
Lire l’article en PDF >>> OPERATIONNELS SLDS 59 60 ENTRETIEN JESS PLAITER MP-SEC