Par le chef d’escadron Jérôme Guilbert, Officier de la 32e promotion de l’Ecole de guerre – Ces réflexions sont issues d’une thèse professionnelle soutenue en juillet 2024 par l’auteur et portant sur la préservation du soutien direct à l’engagement de l’armée de Terre engagée en haute intensité, autrement dit les conditions et la manière dont les soutiens peuvent être intégrés.

Elles sont ici publiées sous forme d’une série de trois parties chronologiques :

  • Partie I : Au cœur de la Guerre froide (1970 – 2000)
  • Partie II : L’ère des OPEX ( 2000-2023)
  • Partie III : Vers un retour de la haute intensité (2023 – ?)

 

Trop souvent méconnu ou évité, tant il peut être aride et complexe, le thème de l’organisation des soutiens de l’armée de Terre mérite pourtant d’être étudié. Quel chef responsable peut refuser de s’interroger sur la provenance de son soutien santé, des ressources élémentaires en vivres, eau ou habillement de ses combattants, du carburant, des munitions, de l’acheminement de ces ressources, du maintien en condition de son matériel ou des infrastructures essentielles au déploiement ?

Cet article établit une chronologie de l’évolution organisationnelle du soutien de l’armée de Terre lors des cinquante dernières années1. Instable, issue d’un processus vivant et dynamique, cette évolution explique pourquoi le « fait soutien » n’est désormais plus maîtrisé par nombre de chefs tactiques interarmes. L’externalisation et la mutualisation, parce qu’elles ont modifié le command and control (C2) logistique et l’ont porté au niveau interarmées, les ont éloignés des problématiques liées au « fait soutien ». Pourtant, c’est seulement en comprenant ces évolutions que l’on peut se réapproprier ces questions et donc mieux intégrer ce dernier.

 

Partie I : Au cœur de la Guerre froide (1970 -2000)

On peut discerner trois phases majeures dans le domaine du soutien logistique :

  • 1970 – 1983 : contexte de guerre froide et changement de doctrine

A l’aube des années 1970, les divisions « 67 » disposent chacune de régiments de soutien et les brigades de bataillons de commandement et de soutien (BCS) organiques. La doctrine de dissuasion nucléaire fait alors apparaître les divisions « 77 », et disparaître les brigades.

Naissent les régiments de commandement et de soutien (RCS), la 1ère brigade logistique et de commandements du Train de zones de défense. Les brigades logistiques disposent ainsi de capacités issues des services (compagnie mixte des essences, groupe de soutien logistique du commissariat de l’armée de Terre, régiment médical).

  • 1983 – 1989 : hypothèse de crises intermédiaires et création de la FAR

La création de la Force d’Action Rapide (FAR) en 1983 et la réforme de 1984 redistribuent les soutiens, notamment le soutien santé et de l’infanterie, tout en centralisant l’organisation et la conduite de la logistique opérationnelle terrestre. Jusqu’en 1998, le centre opérationnel interarmées (COIA) conduit les opérations.

La planification (de niveau opératif) est conduite au sein de la 1e Armée et de la FAR. L’armée de Terre dispose de ses propres services (direction centrale du matériel – DCMAT et direction centrale du commissariat – DCCAT) et est soutenue par deux services interarmées : la direction centrale du service de santé des armées – DCSSA et du service des essences des armées – DCSEA.

  • 1989 – 2000 : choix de la stricte suffisance des moyens

Le « plan armées 2000 » et la professionnalisation des armées donnent la priorité aux structures opérationnelles et à la collaboration interarmées, entraînant une réduction drastique des effectifs et du nombre d’états-majors2. Ce plan émerge juste avant la prise de conscience du besoin d’un niveau opératif, mis en exergue par la guerre du Golfe, puis rendu indispensable par la mutualisation des soutiens.

L’intervention dans les Balkans (1992 – 1995) rappelle à la France la réalité du soutien dans le cadre de conflits longs et violents3. Cette période charnière est caractérisée par une armée de Terre qui dispose encore d’une grande variété de fonctions logistiques, quoique la ressource humaine et matérielle soit réduite, tandis que commence à mûrir la question d’une centralisation interarmées.

Notes :

(1) Etat des lieux élaboré notamment à partir de l’ouvrage le Train, histoire et traditions, du colonel Labbé Daniel ainsi que les travaux du colonel Pinczon du Sel Dominique (COM-LOG) en janvier 2023, suite à une série d’entretiens avec le général de corps d’armée Bacquet Jean-Marc, commandant en second du CFT (2019-2020) et commandant la logistique des forces (2016-2019).

(2) Chevènement Jean-Pierre. Mise en place du plan « armées 2000 » de réorganisation des armées. Discours prononcé le 22 août 1990 au conseil des Ministres.

(3) Pour rappel, la France accepte d’assurer la responsabilité logistique de la Force de protection des Nations-Unies (FORPRONU) pour le maintien de la paix en Croatie puis en Bosnie-Herzégovine dès 1992. S’il n’existe pas de bilan chiffré incontesté, la guerre se solde en Croatie par un bilan officiel croate de 13 000 morts et 40 000 blessés. La guerre en Bosnie, la plus sanglante, aurait fait plus de 200 000 morts.

Photo © guerre des Balkans, Kosovo, ECPAD