Par le Général Gaviard

*** Cet article, diffusé ci-dessous avec l’autorisation de son auteur, a fait l’objet d’une publication préalable par le magazine DSI.

C2Crédit photo : C2ISR/CAOC, Air Force Network Integration Center, USAF
(www.afnic.af.mil)

Après avoir décrit dans un premier temps le fonctionnement « classique » des centres de commandement et de contrôle Air (C2) d’hier et d’aujourd’hui, il sera développé dans un deuxième temps une vision plus prospective des C2 du futur. Cette vision s’inscrira dans un cadre de travail plus transverse et donc plus interarmées et interministériels mettant en exergue les capacités plus spécifiques de la puissance aérienne. Enfin, une dernière partie sera consacrée aux hommes qui resteront bien évidemment au cœur du dispositif des C2 de demain.

Le fonctionnement des C2 « traditionnels »
Pendant la célèbre « Bataille d’Angleterre », l’Air Marshall Sir Hugh Dowding commandait et contrôlait les opérations aériennes depuis son centre de Stanmore situé au nord de Londres en faisant « tourner », sans le savoir, la fameuse boucle : « Observation, Orientation, Décision, Action » (« OODA ») qui sera modélisée bien plus tard par le Colonel Boyd de l’USAF, et qui prévaut toujours dans le fonctionnement des centres actuels.

Pendant la Seconde guerre mondiale, « les officiers et sous-officiers, en place dans le C2 de Stanmore « observaient » dans un premier temps les éléments en provenance des différents guets aériens postés sur la côte anglaise et des radars (…). Cette phase permettait de mettre en alerte les  pilotes des célèbres Spitfire et les canons anti- aériens concernés par l’attaque à venir. » (Crédit photo : The Philip Alexander Air, Sea, Land & Fantasy Art Exhibit, www.rb-29.net)

Pendant la Seconde guerre mondiale, « les officiers et sous-officiers, en place dans le C2 de Stanmore « observaient » dans un premier temps les éléments en provenance des différents guets aériens postés sur la côte anglaise et des radars (…). Cette phase permettait de mettre en alerte les pilotes des célèbres Spitfire et les canons anti- aériens concernés par l’attaque à venir. » (Crédit photo : The Philip Alexander Air, Sea, Land & Fantasy Art Exhibit, www.rb-29.net)

Ainsi, les officiers et sous-officiers, en particulier féminin (les WAAF), en place dans le C2 de Stanmore « observaient » dans un premier temps les éléments en provenance des différents guets aériens postés sur la côte anglaise et des radars dont on ne dira jamais assez le rôle essentiel dans le succès de cette bataille aérienne. A partir de ces observations, les responsables pouvaient « orienter » l’action à venir puis « décider » du plan d’engagement. Plus précisément cette phase permettait de mettre en alerte les pilotes des célèbres Spitfire et les canons anti- aériens concernés par l’attaque à venir, ainsi que de prévenir les unités chargées de déployer les ballons dont le rôle consistait à gêner les tirs des bombardiers allemands sur Londres. Enfin, les ordres de commandement correspondant à la phase « action » étaient lancés pour stopper les raids aériens détectés préalablement. Chacun se souvient du « scramble » ou décollage sur alerte des valeureux et très jeunes pilotes de chasse britanniques auxquels Winston Churchill rendra un hommage appuyé et émouvant, à la fin de cette bataille aérienne historique. En résumé, la boucle « OODA » tournait globalement comme nous la faisons tourner aujourd’hui dans les C2 modernes. On comprend également le rôle fondamental joué par le centre de commandement dans cette bataille, Bien que, traditionnellement, la réussite en demeure attribuée plutôt aux pilotes de Spitfire qu’à son vaillant chef d’orchestre, l’Air Marshall H. Dowding. Air Marshall qui fut d’ailleurs limogé quelques mois plus tard, pour des raisons de rivalités internes au Haut Commandement britannique. Aujourd’hui, juste retour des choses, le Centre de Stanmore a été ouvert au public pour rendre hommage à Sir Dowding et au C2 de la bataille d’Angleterre.

Les principes fondamentaux de fonctionnement des C2 persistent. Toutefois, aujourd’hui face à la guerre asymétrique, trois facteurs nouveaux doivent être pris en compte : l’approche globale interarmées et interministérielle, l’accélération du tempo des opérations, les dommages collatéraux.

Depuis le 11 septembre 2001 les C2 chargés de la « défense aérienne » au dessus du territoire national se sont concentrés prioritairement sur la menace de type terroriste qualifiée de « renegade » par l’OTAN. Ainsi, le renseignement devenu primordial dans cette nouvelle guerre anti-terroriste nécessite un travail plus transverse, c’est-à-dire plus interministériel. Au sein du Centre National des Opérations Aériennes (CNOA) de Lyon Mont Verdun, par exemple, des représentants du Ministère de l’Intérieur et de la Délégation Générale à l’Aviation Civile (DGAC) sont chargés de jouer l’interface avec leur ministère de tutelle pour accroître la synergie interministérielle.

Ce travail transverse permet d’insérer tous les acteurs étatiques chargés de la lutte contre le terrorisme dans la même boucle informative et d’agir plus efficacement. La « police du ciel », plus spécifiquement, nécessite d’anticiper les actions compte tenu de la vitesse des avions et de la fugacité de la menace, d’engager les moyens à temps et de renseigner le décideur politique national qui, dans ce cas, demeure le seul juge de l’ouverture du feu, si besoin. Dans ce cadre, des accords bilatéraux avec les pays contigus à La France ont été signés pour accroître cette indispensable anticipation d’action.

Parallèlement, dans les C2 chargés des opérations aériennes sur des théâtres extérieurs, particulièrement, en Afghanistan la guerre asymétrique se traduit aujourd‘hui par une accélération du tempo des opérations. Les principes d’observation renforcés au moyen de systèmes ISR évolués conservent ici toute leur pertinence. Par ailleurs, des capacités de ciblage plus pertinentes couplés à des échanges d’informations à base de système Rover, par exemple, entre les composantes terrestres et aériennes permettent d’agir avec plus de précision tout en intégrant les rayons de létalité des armements embarqués. Il faut, en effet, savoir prendre en compte les dommages collatéraux qui sont systématiquement utilisés par les adversaires via les médias pour peser sur l’opinion publique. Ainsi, dans certains cas, le contrôleur tactique air au contact des troupes au sol (JTAC) peut repréciser les coordonnées des cibles voire, compte tenu de l’environnement, annuler le tir envisagé initialement et choisir des modes d’action plus adaptés, non létaux, comme les «démonstrations de force » (« show of force »), par exemple.

Mais ce travail marqué par la conduite en temps réel ne suffit plus. Il faut désormais « observer » encore plus rapidement et plus intelligemment pour être capable de dégager du temps afin «d’orienter » et « décider » c’est-à-dire planifier et anticiper pour « agir » plus précisément et donc plus efficacement dans le temps et l’espace.

Le Général Marshall pendant la deuxième mondiale admettait que si « 40% de l’art du commandement reposait sur la capacité d’improviser », il soulignait aussi que « 60% résidait dans la capacité d’anticiper ».

Les C2 du futur
Les opérations actuelles conjuguent les modes d’actions interarmées via des effets à produire décidés par le commandant de théâtre (« Joint Task Force », JTF). Dans ce cadre de plus en plus interarmées, on peut tenter de catégoriser les différents types de missions assignées à la puissance aérienne. Cette catégorisation permet de mieux appréhender le rôle de « soutenant » et « soutenu » (« supported », « supporting ») joué par le commandant air (« Air Component Commander » : « ACC ») auprès des autres commandeurs, en fonction des effets désirés par le JTF. Ces différentes catégories peuvent être décrites, par exemple, dans l’ordre décroissant de leur niveau d’intégration interarmées. Si cette hypothèse est retenue, on peut alors distinguer trois catégories de missions dévolues à la puissance aérienne en allant de la mission la plus interarmées vers la plus spécifiquement air :

  • les opérations d’appui interarmées
  • la maîtrise de la troisième dimension
  • les opérations dans la profondeur.

Les opérations d’appui interarmées sont aujourd’hui au centre des missions dévolues à la puissance aérienne en Afghanistan. Dans ce domaine, Il faut améliorer nettement les procédures de travail très centralisées entre les composantes terre et air pour anticiper les actions futures.

Les opérations aériennes ont, depuis la fin de la première guerre mondiale, été principalement conçues et contrôlées d’une manière centralisée et exécutée d’une manière décentralisée.

Pour des raisons liées principalement à leurs caractéristiques propres et aux cibles qui leurs sont allouées par le commandant de théâtre, les opérations aériennes sont planifiées aujourd’hui d’une façon très centralisée. La polyvalence des vecteurs aériens modernes renforce encore cette centralisation. Ainsi, en 2003, les forces américaines utilisaient souvent les mêmes appareils F15E et F16 basés dans les émirats du Golfe pour agir en Irak et en Afghanistan. C’est pour cette raison historique que les opérations aériennes correspondant aux opérations Iraqi Freedom et de l’Isaf en Afghanistan sont toujours menées depuis un C2 unique situé sur la base aérienne d’Al Udeid au Qatar.

les opérations aériennes correspondant aux opérations Iraqi Freedom  et de l’Isaf en Afghanistan sont toujours menées depuis un C2 unique situé sur la base aérienne d’Al Udeid au Qatar." (crédit photo : http://gc.nautilus.org)“Les opérations aériennes correspondant aux opérations Iraqi Freedom
et de l’Isaf en Afghanistan sont toujours menées depuis un C2 unique
situé sur la base aérienne d’Al Udeid au Qatar.”
(crédit photo : base d’Al Udeid, http://gc.nautilus.org)

Toutefois cette hypercentralisation peut se révéler nettement insuffisante quand il s’agit de missions d’appui direct aux forces terrestres. Ces missions sont actuellement planifiées en « série » par les responsables terre d’abord puis air ensuite et non d’une manière intégrée. Ainsi, la coordination air sol en Afghanistan repose principalement sur les « épaules » d’un contrôleur tactique air (JTAC) qui doit en cas de demande d’urgence décrire finement, sous le feu, la situation complexe sur le terrain aux pilotes venus les assister avec toutes les difficultés inhérentes que l’on peut imaginer y compris de tir fratricide. On peut toutefois imaginer résoudre ce problème difficile de manière plus efficace par un travail collaboratif de planification intégrée effectuée bien en amont entre les unités tactiques air et terre concernées. Cette planification décentralisée et plus adaptée ne pourra être réalisée que si les responsables tactiques concernés disposent d’outils de travail collaboratifs et d’une « appréciation de situation » terrestre et air pertinente qui aujourd’hui se trouve au niveau des C2 centraux afin d’agir en toute connaissance de cause. On peut imaginer aisément que grâce aux moyens modernes de communication, on pourra prochainement « acheminer » cette appréciation de situation au niveau tactique et ainsi « décentraliser » la planification de certaines missions aériennes d’appui interarmées. Toutefois, le commandeur air pourra bien évidemment « reprendre la main » si la situation l’exigeait pour redistribuer les missions en fonction de nouveaux effets recherchés. Les responsabilités du commandeur air seraient donc, dans ce cas, d’avantage tournées vers de la « supervision »(“monitoring“) que du contrôle strict au sens du « commandement et contrôle », lui permettant ainsi de prendre du recul sur les événements en temps réel, au niveau tactique.

La maîtrise de la troisième dimension est totale en Afghanistan. Il ne faut pas, toutefois, en déduire des conséquences trop hâtives concernant les opérations futures. Chacun se souvient du tragique bombardement effectué en 2004 contre les forces françaises à Bouaké. La maîtrise de cette troisième dimension voire aérospatiale est souvent oubliée à tort. Or, sans la maîtrise du ciel, il n’existe pas de « liberté d’action » pour les autres forces, principalement terrestres. On peut imaginer aisément ce que pourraient être des opérations en Afghanistan sans la maîtrise totale du ciel dont disposent les forces de la coalition aujourd’hui. S’agissant de la maîtrise de l’espace aérien proprement dit, il est clair que le commandant air possède dans ce domaine une expertise reconnue. En effet, dans la plupart des opérations, le commandant de théâtre interarmées confie d’emblée cette responsabilité au commandeur air. Par delà cette responsabilité pleine et entière, il faut également comprendre la nécessité de coordonner dans le même espace aérien les moyens utilisés par les autres composantes et en particulier les hélicoptères et les drones. Il ne s’agit pas là d’interférer avec les missions assignées par un autre commandement mais bien de coordonner les actions dans la 3ème dimension dans un but principalement de sécurité et plus particulièrement d’anti-collision.

citation General Gaviard

Enfin, demain les C2 dévolus à la défense anti-missiles balistiques (DAMB) devront agir en parfaite continuité (« seamless ») avec les C2 chargés de la défense aérienne pour coordonner les différents effets aérospatiaux à produire. Il existe, de fait, clairement un « ADN » commun entre ces deux C2.

Les opérations dans la profondeur qui caractérisent d’une manière unique la puissance aérospatiale. En effet, seule la puissance aérospatiale peut fournir aux décideurs politiques des renseignements stratégiques, peser sur l’adversaire,et délivrer des effets en quelques heures en tout point du globe avec une empreinte au sol minimale voir nulle. Les exercices à longues distances dénommés « Iroquois », menés par le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) au moyen de Rafales équipés du missile de croisière accompagnés par un Awacs, des ravitailleurs et dotés de moyens de communication à longue distance illustrent bien cette capacité stratégique unique. En effet, ce dispositif non seulement peut se diriger vers sa destination programmée initialement mais peut être rappelé ou dérouté en vol à tout moment en fonction des effets stratégiques souhaités par le décideur politique.

D’une manière plus prospective, les travaux menés par le commandement de la transformation de l’OTAN (SACT) de Norfolk concernant les C2 air futurs mettent en exergue la nécessité de développer le travail collaboratif avec les autres composantes voire avec des agences interministérielles voire des organisations non gouvernementales (ONG). Cette collaboration pourra être obtenue en s’appuyant sur des réseaux de communication robustes et maillés permettant de créer « une constellation de C2 » disposant de l’appréciation de situation nécessaire pour planifier au niveau requis et d’une manière transverses les missions avec les autres composantes, les autres ministères, voire les ONG si besoin, comme cela a été présenté précédemment.

Sur un autre plan, la gestion de capacités « rares » entre plusieurs théâtres d’opérations se fait jour également. Le transport stratégique, la cyberdéfense, l’utilisation de drones de type MALE, la défense anti missile balistique, les satellites font partie de ces capacités qui dépassent le strict cadre régional par essence. Ces capacités sont hautement stratégiques et resteront vraisemblablement sous le commandement et le contrôle des pays qui fourniront ces moyens au profit de l’Alliance. En corollaire, elles ne pourront donc probablement être mises sous le commandement ou le contrôle direct d’un C2 OTAN. C’est pourquoi il convient d’envisager un nouveau principe fondamental, d’unité d’effets. Dans ce cadre, le « C2 air, inter théâtres » aura alors pour responsabilité de gérer et coordonner ces moyens stratégiques sans toutefois en avoir le contrôle direct.

En résumé, on comprend que si le commandement garde tout de sa pertinence via les effets à produire, le contrôle évolue au profit d’une vision plus collaborative. On notera que le Général Mattis, prédécesseur du Général Abrial à la tête de l’Etat major de la Transformation de l’Otan à Norfolk, préférait d’ailleurs employer le terme de « retour d’informations » (« feed back ») que celui de « contrôle ». L’acronyme C2 pourrait donc évoluer progressivement du terme « commandement et contrôle » vers « commandement et coordination » puis vers « commandement et collaboration ». On notera, enfin, que les travaux actuels centrés sur les nouveaux concepts de C2 air auront, sans nul doute, des conséquences directes sur les organisations des C2 terre et mer et bien évidemment interarmées.

CASPOA

Les Hommes : Vers un CASPOA NG
Par delà tous ces aspects conceptuels et les progrès exponentiels de la technologie de l’information il convient de garder à l’esprit que l’homme est et restera au centre du dispositif. Le Général Montgomery insistait sur ce point en définissant le commandement comme : « la capacité et la volonté de rallier les hommes et les femmes autour d’un objectif commun ». Le changement culturel et l’entraînement demeureront donc centraux pour conduire ces transformations. Les C2 sont de réels systèmes d’armes et doivent donc bénéficier de moyens d’entraînement adaptés, ce qu’avaient parfaitement compris les responsables de l’armée de l’air qui avaient créés il y a déjà plus de quinze ans le Centre d’Analyse, de Simulation et de Planification des Opérations Aériennes (« CASPOA ») dédié à la formation de tous les personnels affectés dans les C2 air.

Afin d’anticiper les avancées en termes de C2, le CDAOA travaille, d’ores et déjà, à un CASPOA de Nouvelle Génération (NG).

Le chemin est désormais tracé.

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*** Posté le 9 juillet 2010