Par Richard Weitz
Contributeur régulier de SLD et directeur du centre d’analyse politico-militaire au Hudson Institute, Washington, D.C.

Reconstruction en Afghanistan : une vision difficile à atteindre ? Crédit photo : Un garde moujaheedin assure la sécurité des membres militaires américains de la PRT  du Panjshir au cours d’une visite sur site, Sergent James Harper, U.S. Air Forces Central Public Affairs,  FOB Lion, Afghanistan, 5 mars 2009

25/01/2011 – Les PRT : presque dix ans d’existence
La création de “Provincial Reconstruction Team”  (PRT : équipe de reconstruction) constitue est l’une des récentes innovations de la politique des Etats-Unis et de l’OTAN à l’égard de l’Afghanistan et de l’Irak. Ces équipes de projet ont été utilisées pour soutenir la reconstruction et le développement dans ces deux pays après leur invasion. Formés de civils et de militaires, ces détachements engagent des moyens divers dans les domaines militaires, diplomatiques et économiques. En plus de sécuriser leur environnement, les PRT utilisent leurs ressources économiques et diplomatiques pour promouvoir des projets de développement. Leurs membres sont sollicités pour leur expertise dans la construction (ou reconstruction) d’écoles et de systèmes d’irrigation, dans le développement d’infrastructures de communication et de commerce et dans de nombreux autres domaines.

Actuellement, vingt de ces équipes de projet environ sont déployées en Afghanistan, sous le contrôle des troupes de sécurité menées par l’OTAN (ISAF). Depuis leur formation en 2002, les PRT ont été les premiers efforts de soutien menés par l’OTAN  dans le cadre d’une stratégie coordonnée. Composées généralement de plusieurs dizaines de soldats et d’un nombre plus réduit de civils, les PRT  ont développé divers projets de pacification dans le pays, apportant financement et aide technique à la réalisation d’un projet d’action civique local, comme la reconstruction d’une école et des routes, ou initiant des projets de nature politique et sécuritaire, comme le conseil auprès de gouvernements locaux et l’entraînement des forces de sécurité indigènes. Dans les PRT, les militaires apportent la sécurité nécessaire à l’unité, permettant aux experts civils d’améliorer les conditions politiques et économiques des communautés locales, même dans des régions dangereuses. En Afghanistan, d’autres agences de l’OTAN ont adopté la structure de ces équipes de projet, séduites par l’idée d’inclure autant les forces militaires que civiles dans l’effort de guerre.

Depuis leur formation en 2002, les PRT ont été les premiers efforts de soutien menés par l’OTAN  dans le cadre d’une stratégie coordonnée.

Une absence d’unité de commandement pénalisante
De l’avis général, les PRT sont vues comme une contribution essentielle à la victoire. Or, les observateurs ayant suivi de telles équipes américaines en Afghanistan et en Irak se plaignent “du manque d’unité de commandement qui disperse l’effort ainsi produit. Le financement n’est pas sûr… les sources de financement sont très volatiles… il n’existe pas de statistiques pour confirmer le succès  des PRT.” L’incertitude qui plane sur la chaîne de commandement est un obstacle majeur à l’intégration d’éléments militaires et civils dans ces équipes. On ne sait en effet à qui déléguer les responsabilités et qui commande parmi les différentes agences américaines. Aucune doctrine de collaboration entre agences au niveau global, ni aucune coordination à l’échelon de l’équipe de projet elle-même n’ont été vraiment développées. Les membres peuvent ainsi recevoir différents ordres provenant aussi bien d’agences que de leur propre commandement à Washington. Par conséquent, “comme personne n’a la direction générale des opérations, les conflits sont signalés à chaque supérieur respectif ce qui crée un foisonnement de chaînes de commandement séparées”. Un rapport de l’agence de coopération américaine (USAID) souligne le problème de coopération entre agences et note que “l’absence de commandement mène à une confusion des rôles entre civils et militaires.” Ceux qui ont suivi ces détachements en Irak ont observé des “conflits entre le Département d’Etat et le Département de la Défense pour savoir qui aura la charge de la sécurité, de la logistique et du financement, aucun document explicatif ne [définissant] le rôle de chacun.

En l’absence d’une stratégie opérationnelle claire destinée aux équipes de projet durant leurs premières années sur le terrain, que ce soit en Afghanistan ou en Irak, le peu de coordination qui existait s’est établi par nécessité. Dans certain cas, et plus particulièrement dans les zones de combat,  les PRT et les unités tactiques engagées avaient créé un semblant de coordination civil et militaire. Cependant, dans de trop nombreux cas, l’armée, plus nombreuse et disposant de ressources conséquentes, a imposé ses priorités dans des projets de reconstruction civils alors même que ces derniers étaient gérés par le Département d’Etat et l’agence de coopération américaine (USAID).

De plus, les PRT connaissent souvent des difficultés à coordonner leurs efforts avec les ONG humanitaires, dont la présence est massive en Afghanistan et en Irak, même si la doctrine de contre-guérilla reconnaît, aujourd’hui, le rôle central des PRT dans l’effort de reconstruction. Ce n’est qu’en novembre 2006 que le Pentagone et le Département d’Etat ont adopté un document définissant leurs contributions respectives, en financement  et en personnel notamment. Jusque là, le manque de coordination entre agences sur ces sujets avait détourné  les équipes de projet de leur première mission sur le terrain.

Les PRT connaissent souvent des difficultés à coordonner leurs efforts avec les ONG humanitaires, dont la présence est massive en Afghanistan et en Irak.

Des ressources insuffisantes
Les PRT semblent avoir été plus efficaces ces dernières années, permettant aux efforts de pacification américains d’atteindre les régions les plus reculées. Cela dit, leur rôle en Afghanistan reste source de conflit entre les membres de la coalition. Décrites comme le fer de lance des efforts de stabilisation de l’Afghanistan, les équipes de projet sont des organes civilo-militaires dont la mission couvre trois objectifs :

  • améliorer la sécurité
  • étendre l’autorité du gouvernement afghan
  • et faciliter la reconstruction dans certaines provinces-clés.

Les PRT ne se concentrent pas exclusivement sur la reconstruction d’infrastructure récemment détruites. Au contraire, elles développent les villes afghanes et la campagne grâce à la promotion de meilleurs systèmes d’éducation, de santé, de transport, en construisant des écoles, des hôpitaux, des routes et d’autres infrastructures de première nécessité.

Pendant longtemps, il y avait vingt-six équipes de projet en Afghanistan, une opérant en-dehors de chaque capitale de province. De tels détachements représentent un apport substantiel à la mission de l’ISAF en Afghanistan. Sans ces efforts de développement, les Talibans disposeraient d’un vivier inépuisable de jeunes recrues afghanes, ce qui aurait pour effet de compromettre toute opération de stabilisation de l’OTAN sur le long terme. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Le nombre de PRT déployées en Afghanistan est inadapté. Avec vingt-six équipes pour trente-trois millions d’Afghans, il n’est pas surprenant que la recette ne prenne pas dans les zones pauvres des Pachtounes.

Avec vingt-six équipes pour trente-trois millions d’Afghans, il n’est pas surprenant que la recette ne prenne pas dans les zones pauvres des Pachtounes.

Ceux qui critiquent le concept des PRT et des efforts de reconstruction en général s’émeuvent du fait que la communauté internationale lie autant le développement civil au militaire, estimant le conseil prodigué par de telles équipes empêche les Afghans de se développer  eux-mêmes et que les équipes de reconstruction devraient faciliter la gestion de projet par les locaux plutôt que de l’assurer eux-mêmes.

Le concept des PRT aide à développer l’autorité du gouvernement central et la reconstruction de services de première nécessité. Ces équipes facilitent la reconstruction en finançant des projets comme la reconstruction d’écoles et en aidant le Département d’Etat, l’USAID et le Département de l’Agriculture à développer leurs propres projets civils. Cependant, de nombreuses barrières se dressent contre une gestion réussie des PRT.

D’abord la limite des ressources humaines : les membres des équipes peinent à développer leurs connaissances de la culture et de la politique locales en raison de déploiement trop court, certaines rotations étant trimestrielles. Ensuite, les conditions de sécurité affectant les PRT s’avèrent difficiles, en ce sens qu’elles doivent se rendre dans des régions hors des grandes métropoles urbaines se situant des zones à forte présence talibane.

Vers une meilleure coordination au sein de la Coalition ?
Chaque équipe de projet est dirigée par un membre de la coalition. Or, il y a peu de coordination entre les PRT. Le style de commandement entre chaque gouvernement de la coalition peut, lui aussi, varier significativement. Des voix au sein de l’OTAN se sont plaintes des hésitations des PRT menées par les Européens à s’engager auprès de la population afghane. Ces équipes sont parfois financées avec le strict minimum ou ne supervisent par efficacement leurs investissements. La cohésion entre PRT est difficile en raison de leur nature improvisée. Cette situation a conduit certaines nations, la France notamment qui refuse de diriger de tels détachements, à remettre en question l’utilité du concept dans la mission de l’ISAF. Si l’uniformité n’est pas nécessairement désirable selon l’emplacement de chaque PRT, il est impératif de définir en effet certains paramètres de base, comme le rôle de l’équipe, les relations entre ses composants civils et militaires et la coordination entre les différents détachements.

Les PRT dirigée par des Européens (une dizaine) ont été stationnées dans plusieurs régions du pays et, selon leur zone géographique, ont reçu des ordres de mission très différents. A Mazar-e-Sharif, le détachement britannique mène une mission de sécurité tandis qu’à Heart, les Italiens s’emploient d’abord à promouvoir la reconstruction et l’interaction culturelle. Les Européens doivent saisir l’opportunité qui leur est offerte de réviser leurs paramètres d’engagement au sein des PRT. En tant que deuxième force après l’ONU, l’Union européenne pourrait faire des PRT un élément clé du développement et de la pacification de la région.

Pour se faire, deux réformes doivent être conduites au niveau de l’ordre de mission :

  • D’abord, augmenter la cohésion de l’UE sur le terrain en réduisant les différents modèles de PRT et en les plaçant sous l’autorité d’un Comité exécutif de conduite  des PRT supervisé par le représentant spécial de l’UE en Afghanistan. Une telle initiative aurait pour effet d’améliorer les relations entre l’UE et l’OTAN, même si une mission de PRT menée de concert par les Européens peut créer, à terme, un fossé entre la vision américaine et européenne.
  • Les équipes de projet européennes pourrait également s’inscrire dans la volonté plus large de l’UE de développer la police en Afghanistan, avec une réduction et une synchronisation des missions des PRT, engagées désormais dans des missions sécuritaires de courte durée. En considérant ces deux propositions, et grâce à ses projets de développement et de promotion de la paix, l’UE a la possibilité d’exploiter la situation afghane pour s’affirmer comme un acteur majeur, uni et pragmatique sur la scène diplomatique internationale.

Mais le fossé entre l’UE et l’OTAN, dû aux divergences de vue entre Turcs et Chypriotes, a rendu une entente entre les deux partenaires impossible. Malgré un traité d’intérêts mutuels en 2003 avec le Berlin Plus, la nécessité de préserver les intérêts de l’OTAN handicape l’UE.  Depuis, le Berlin Plus a démontré ses limites. A nouveau, la polémique entre Grecs et Turcs a privé les forces européennes d’informations données par l’OTAN. Le commandant adjoint du SACEUR, Général Sir John Mccoll (Grande-Bretagne), en charge de la coordination entre l’OTAN et l’UE, a souligné que l’arrangement a empêché l’UE et la FIAS, la coalition menée par l’OTAN, de signer un mémorandum collectif d’entente (MOU).  En 2009, les missions européennes ont  ainsi signé quatorze MOU avec des nations dirigeantes des PRT.

En 2009, les missions européennes ont  signé quatorze MOU avec des nations dirigeantes des PRT.

Les performances de ces équipes de projet se sont améliorées au cours des dernières années. Les PRT ont non seulement apporté plus de moyens à l’effort global de reconstruction, mais elles se sont aussi révélées mieux intégrées à cet effort. Généralement, les organisations humanitaires en Afghanistan apprécient les PRT pour leur apport en ressources limitées (injection rapide d’argent) et leur capacité à se rendre dans des régions où les secours traditionnels ne peuvent se rendre. De plus, comme les PRT ont une structure adaptables, elles tirent les enseignements de leurs erreurs et permettent une meilleure compréhension des missions. Cependant, les PRT se concentrent encore trop sur l’aide à court-terme et peinent parfois à identifier, dans les communautés qui leur ont été attribuées, les domaines où l’aide est la plus urgente. De plus, leur personnel, qui change souvent, manque de connaissances institutionnelles et semble ne pas vouloir partager des informations avec les civils humanitaires. Par manque de coordination notamment, les PRT n’ont pas encore pu transférer les leviers politiques, économiques et sécuritaires aux institutions afghanes, comme elles le font actuellement en Irak.