Pendant la Guerre froide, lutter contre l’ennemi intérieur va signifier pour les services de renseignements comme pour l’armée française, lutter majoritairement contre l’influence soviétique. Durant la guerre froide certains deuxièmes bureaux de l’armée de terre française produiront chaque trimestre des bulletins de renseignement sur l’ennemi intérieur axés principalement sur l’activisme politique communiste révolutionnaire. A cette époque particulière de notre histoire, la menace était perçue comme étant à la fois externe et interne à la Nation. Cette inquiétude fut tellement prégnante dans les rangs des armées que lorsque François Mitterrand fut élu président de la République, il fallut la nomination de Charles Hernu comme ministre de la défense et le rattachement des réserves à ce dernier (jusque-là rattaché au ministre des transports, responsable de la mobilisation et de la réserve, avant que ce poste ne soit tenu par un membre du Parti Communiste Français) pour apaiser les inquiétudes au sein de la haute hiérarchie militaire. En effet, Charles Hernu était vu comme un homme modéré ayant une bonne connaissance des armées et non idéologiquement rattaché au parti communiste et à ses idéaux, sa nomination au rang de ministre des armées eut donc, à ce titre, un effet d’apaisement et de tranquillisation des esprits au sein des armées françaises.

Avec la chute du Mur et l’effondrement de l’URSS et d’une approche parfois manichéenne des problèmes géopolitiques internationaux, la notion d’ennemi intérieur s’estompa pour ne plus concerner que certains individus radicalisés politiquement ou fanatisés religieusement.

C’est avec la guerre civile qui va ensanglanter l’Algérie des années 1990 que la France va prendre conscience d’une nouvelle menace qui va finir par envahir le champ de nos consciences : celle du terrorisme islamiste. Ce fléau qui, dans l’inconscient collectif, va prendre notamment le visage du GIA (groupe islamiste armé) puis celui d’Al-Qaïda, des Talibans afghans et des « combattants » de l’Etat islamique pour ne citer que les excroissances les plus notoirement célèbres de ce fléau mondialisé va redonner une nouvelle vie au concept d’ennemi intérieur. Le phénomène d’auto-radicalisation rendu possible via Internet et les réseaux sociaux redonne vie d’une certaine façon à la notion d’ennemi intérieur, l’ « ennemi » se révélant bien souvent désormais un citoyen lambda, voire au pire un ancien petit délinquant, qui peut basculer très rapidement dans le fanatisme et la soif de violence sans limite suite à des rencontres, réelles ou virtuelles via le Web, avec des recruteurs intégristes dont la mission consiste à subvertir les esprits et à embrigader ces derniers sur la route du crime.

Dès lors et même si tous les analystes, militaires et agents des services de renseignements français n’emploient pas le terme d’ennemi intérieur à dessein, afin d’éviter tout amalgame et toute approche manichéenne et simpliste d’un phénomène complexe et protéiforme, cette notion n’en demeure pas moins présente avec le risque de cristallisation qu’elle véhicule dans tous les esprits et nous met face à des dilemmes moraux et des choix politiques de premier ordre et qui fondent, in fine, de tout temps, la raison d’être de la Cité et de la condition de citoyen(ne)…

Photo © Pierre Andrieu, AFP,  telle que reproduite dans l’Express (La police et la gendarmerie s’efforcent de détecter les signes de radicalisation dans les rangs de leurs nouvelles recrues. Ici, une promotion de nouveaux officiers à la préfecture de police de Paris) >>>  www.lexpress.fr