(Histoire militaire) – Les grandes réformes de Louvois : la naissance de l’esprit de corps
Louvois ne fit pas qu’étendre la conscription et changer l’instruction des officiers, il fut également à l’origine de la création de l’intendance de la guerre ceci afin d’éviter notamment les abus que nous avions cités dans notre article précédent.
Par ailleurs, on doit également à Louvois le fait que l’armée permanente devint une armée régulière. Elle fut donc soumise à la même discipline, aux mêmes règlements de manœuvre, à la même hiérarchie et au port de l’uniforme.
L’uniforme qui symbolise l’appartenance d’un homme à une communauté fut un puissant levier de la constitution de l’esprit de corps au sein de l’armée française. L’idée de généraliser le même uniforme à l’ensemble de l’institution militaire vint à Louvois en 1671 lors d’un passage en revue des soldats allemands du Furstenberg. Seules les couleurs seront désormais différentes d’un régiment à l’autre, pour le reste l’uniforme sera identique dans toute l’armée, l’idée étant pour Louvois de symboliser à la fois la contrainte et l’appartenance du soldat à la communauté d’armes qu’il sert et à qui il doit fidélité et dévouement pour la gloire du roi. Avec l’uniforme va naître une compétition au sein des différents régiments, chaque colonel cherchant à se démarquer lors des parades et défilés en étant à la tête de la troupe la plus brillante. Cette volonté de distinction dans l’uniformité est de façon naturelle encore des plus présentes au sein des forces armées contemporaines.
Enfin, Louvois fit reconnaître l’importance de l’artillerie et de l’infanterie dans l’art de la guerre et fonda au nom de Louis XIV l’hôtel des Invalides, dont il fut à la fois le directeur et l’administrateur général. Par ailleurs, l’homme ne fut pas uniquement le grand fondateur de l’armée moderne française, mais aussi un serviteur zélé et impitoyable du roi comme en témoigne les dragonnades dont il fut à l’origine. Durant les dragonnades, les soldats de Louis XIV eurent pour mission d’imposer la terreur chez les protestants et de les conduire à des conversions forcées par tous les moyens. La brutalité de la méthode employée choqua nombre de personnes dans l’entourage le plus proche de Louis XIV et notamment chez madame de Maintenon qui conçut une véritable aversion pour Louvois.
Les ruptures stratégiques de l’époque : à la source de la Grande armée
Au XVIIIème siècle une révolution militaire a eu lieu et Louvois a su la comprendre et l’accompagner mieux que tout autre si ce n’est Vauban, autre génie militaire de l’époque. C’est l’heure de l’avènement du militaire tacticien et technicien et le début du déclin de la cavalerie. Le feu des mousquets et des canons acquiert une valeur décisive. Ainsi, l’infanterie et l’artillerie gagnent leurs lettres de noblesse et prennent l’avantage sur la cavalerie. Au sein de ces armes de la « roture », des officiers de talents et d’anoblis de fraîche date font une brillante carrière et accèdent aux postes de commandement jusque-là chasse gardée quasi exclusive de la noblesse d’épée.
Le feu requiert désormais de nouveaux talents et compétences : savoir manier l’artillerie, faire manœuvrer les régiments d’infanterie… Avec l’avènement de l’armée régulière la révolution militaire passe aussi par l’accès aux soldats à des pratiques sportives autrefois réservées à la noblesse : escrime, danse, équitation, natation, gymnastique… Le soldat discipline son corps et son esprit et apprend à s’intégrer à la troupe via de nouvelles traditions qui signent l’appartenance à un régiment ou une arme… Avec le XVIIIème siècle, l’art de la guerre connaît une révolution globale et le génie de Louvois fut d’en comprendre les enjeux et de savoir en dessiner les contours, afin de permettre au royaume de France de tenir son rang et d’être la première puissance militaire de son époque. Dans une certaine mesure, il est important de souligner qu’il n’y aurait pas eu de Grande armée sans les transformations de Louvois et un officier comme Bonaparte issu de l’artillerie n’aurait pas pu exprimer son potentiel s’il n’était passé par l’école des cadets de Brienne-le Château …
Louvois saura accompagner les ruptures stratégiques de son époque, ce qui lui vaudra de profondes inimitiés chez les militaires issus de la noblesse d’épée et l’expression de vives réactions à la cour pour tenter de limiter l’ascension de nouveaux talents issus des nouvelles armes. In fine, et comme tous les grands réformateurs et visionnaires, Louvois fut tout aussi haï et admiré à la cour de Louis XIV que le fut son grand rival Colbert, les deux hommes ayant contribué à faire de la France du Roi Soleil la puissance administrative, militaire et financière qu’elle fut…
Illustration : “Le Marquis de Louvois présente à Louis XIV le plan devant servir à la construction de l’hôtel des Invalides, Pierre Dulin (1669 -1748)” © Paris, musée de l’Armée, dist. RMN – Grand Palais / Hubert Josse, tel que reproduit sur le site https://histoire-image.org/fr/etudes/hotel-invalides