(Source : Le Figaro – Guillaume Loisy) – Olivier de Kersauson : « Le Cap Horn franchi, vous saviez que vous n’alliez pas mourir »
(…) Dans votre dernier livre*,vous écrivez que le mot «aventure » est galvaudé. Un tour du monde en bateau, c’est ça la vraie aventure ?
J’ai toujours pensé que pour que cela soit aventureux, il fallait un certain danger, une prise de risque. Celui-ci est lié à la vitesse. Quand vous tournez à des moyennes au-delà de 20 nœuds autour du monde, s’il y a un impact, il y a un vrai risque. C’est ce qui est magnifique, c’est le panache ! Si c’est pour faire le tour du monde sans danger… On ne fait pas de corrida avec des vachettes espagnoles (il rit). Les heures de gloire de ce métier, ç’a toujours été d’apporter, dans les zones les plus hostiles de la planète, des bateaux techniquement pas faits pour ça au départ. Depuis, le niveau de performance a augmenté de manière colossale. Et la gestion de la météo permet d’éviter les coups. J’appartiens à la génération qui a parfois été obligée de se prendre des raclées monstrueuses qu’un skipper averti évitera aujourd’hui. Il ne sera pas dans le mauvais endroit car il aura suffisamment de données pour l’éviter. (…)
L’aventure, c’est la façon dont on va être à même de gérer son ignorance. Quand vous êtes renseignés de tout ce qui vous entoure – ce qui ne veut pas dire que vous ne pouvez pas vous en prendre une bonne – ça l’est vachement moins oui. Quand on a fait le premier tour du monde avec Tabarly (Whitbread 1973-74, NDLR), les seules données auxquelles on pouvait se référer étaient celles des voiliers qui avaient cessé de franchir le Cap Horn à partir de 1915. Les données météo avaient 70 ans ! Il n’y avait pas de satellite, pas de GPS, on n’avait que dalle. Il fallait regarder le ciel. Pendant longtemps, dans le grand Sud, l’autre monde, personne ne pouvait venir vous chercher si vous vous crashiez. Il n’y a qu’une fois le Cap Horn franchi que vous saviez que vous n’alliez pas mourir. (…)
*De l’urgent, du presque rien et du rien du tout (Editions du Cherche Midi, 2019)
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Photo © portrait de Kersauson par Philippe Plisson, telle que publié dans ibid