Par Murielle Delaporte – Prise de risque, mode d’emploi
Voici le sommaire et l’éditorial de notre nouvelle publication !
Se préparer à la guerre dans une société en paix a toujours constitué un défi pour nos forces armées. De l’antimilitarisme à la remise en cause de la « chose militaire », ces dernières ont trop souvent eu à se justifier d’exister au regard de l’opinion publique et de nombre de politiciens. L’effet Bataclan a certes modifié la perception de l’Armée française, particulièrement auprès des jeunes générations. Mais un nouveau défi émerge aujourd’hui : s’adapter au changement radical de la nature de la guerre, dont le conflit ukrainien nous livre les premiers enseignements.
Il faut dorénavant faire face à une menace que le général (2S) Philippe Lavigne, ancien commandant suprême allié Transformation, définit dans ce numero comme « plus, plus vite, plus interconnecté ». Face à cette réalité, seule la préparation constitue un véritable sanctuaire. Dans l’art de la guerre, l’équivalent de l’appel à une mobilisation en faveur d’une économie de guerre est ce que le général Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, décrit comme le « commandement par intention » (CPI) : il s’agit en deux mots de « commander au quotidien comme en opération » au travers d’une « méthode [qui] encourage la prise de risque et un contrôle qui ne bride pas l’initiative »1.
C’est autour de cette problématique centrale que s’articule ce numéro. Comment appréhender la prise de risque dans un environnement militaire, mais aussi civil, alors que l’évolution technologique et sociétale de 2025 tend plutôt à la rendre contre-nature dans la société pacifiée et protégée dans laquelle nous avons la chance de vivre depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale ? En quoi consiste une prise de risque, et, comme pour toute bonne prise de risque, en quoi consiste une prise de « risque maîtrisé » ? Comment s’y préparer ? Jusqu’où aller ? Cette publication propose quelques éléments de réponse à travers trois axes de réflexion :
1. Protéger la prise de risque
Le premier chapitre examine ainsi les conditions nécessaires à une prise de risque militaire éclairée. Elle met l’accent sur les moyens d’appui – ces « enablers » qui démultiplient les effets et sécurisent l’action. Au-delà du capacitaire, les analyses du général (2S) Philippe Lavigne, du général Philippe Adam (commandant de l’Espace), ainsi que les contributions du chef d’escadron Guilbert, du lieutenant-colonel (ER) Huc et de Romain Petit révèlent deux impératifs majeurs :
• L’interopérabilité alliée se révèle plus que jamais cruciale. Dans un contexte où l’anticipation et le renseignement sont vitaux, disposer d’une « image opérationnelle commune » et partagée s’impose, pour lutter, à la fois, contre cette nouvelle forme de transparence du champ de bataille (moyens satellitaires d’observation, drones, etc.) et la persistance intrinsèque du brouillard de la guerre. Qu’il s’agisse de relayer la captation d’informations entre passages satellitaires ou de compenser les zones aveugles en montagne, la complémentarité des moyens et l’interopérabilité font la force de cette équipe à trente-deux qu’est l’Alliance atlantique aujourd’hui.
• La transition numérique est incontournable. Celle-ci apporte son lot d’efficacité, en particulier pour mettre en oeuvre une stratégie Multi-milieux multichamps (M2MC). Celle-ci est destinée à démultiplier et coordonner du mieux possible tous les effets militaires contre un ennemi auquel il faut s’adapter de manière proactive. Mais elle porte aussi en elle de nombreux défis face à une mise en oeuvre concrète sur le terrain, le risque d’une ligne Maginot numérique ne devant pas être sous-estimé.
2. Vivre la prise de risque
C’est l’objet du second chapitre que de décrire en quoi consiste la prise de risque dans le quotidien de militaires, mais aussi de civils, dont la profession consiste à se préparer à cette dernière, que ce soit au combat, dans des conditions extrêmes, ou dans le dépassement de soi au travers d’exploits individuels.
Les témoignages du commandant Nicolas S., commando parachutiste de l’Air (CPA 10), du colonel Sébastien Lespinasse, chef de corps du 13e BCA (Bataillon de chasseurs alpins), ou encore de Pamela Lee, navigatrice irlandaise qui se prépare à la Route du Rhum 2026, convergent. Tous illustrent les mêmes exigences : discipline, conditionnement, préparation opérationnelle, force de caractère et rigueur morale.
Autant d’impératifs qui font que « prise de risque » équivaudra à « automatisme » le jour J, même si bien sûr « les choses ne se déroulent jamais telles qu’on les avait imaginées », ainsi que le rappelle le commandant Nicolas S. dans le livre qu’il vient de publier (et signe cette semaine au Salon du Bourget).
Ils évoquent ainsi les mêmes contraintes – empreinte logistique minimale, autonomie maximale -, mais aussi les mêmes opportunités, grâce aux ruptures technologiques : si l’avènement des communications satellitaires de type Starlink permet par exemple de mieux anticiper, ces dernières peuvent aussi créer une dépendance dont il faut savoir se départir. En mode dégradé, qui peut devenir rapidement la norme, en milieu extrême comme en altitude, c’est, au final, et « par défaut », l’individu qui fait la différence…
3. Maîtriser la prise de risque
Et c’est bien l’individu qui doit être privilégié, en ce qui concerne sa formation, son entraînement, mais aussi un certain nombre d’assurances dont il a besoin, afin qu’il soit en mesure de maîtriser du mieux possible cette prise de risque exigée de lui.
Le chapitre Trois développe cette thématique au travers de trois sujets : la gestion de risque opérationnel dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique, la gestion de crise avec un focus sur l’Outre-mer, et la réassurance au quotidien par une protection juridique et sociale adaptée.
Le témoignage du général Maroussia Renucci, en charge du MCO au sein de l’armée de l’Air et de l’Espace, souligne la nécessité d’un changement d’état d’esprit pour un retour à une prise de risque et d’initiative salutaire en termes d’efficacité opérationnelle, dans un monde où les normes ont bridé un métier, dont la finalité en temps de paix et en temps de guerre s’avère aux antipodes.
Réconcilier ces antagonismes et inculquer un changement de mentalité incarné dans la subsidiarité passent par la confiance et une tranquillité d’esprit, que décrivent le général (2S) Gérard Desjardins et Pascale Seni-Lapp, dont l’action au sein de la mutuelle d’assurance des Armées est précisément d’offrir ce « filet de sécurité » rassurant, en « ne laissant personne derrière ».
Au travers de ces trois grands axes de réflexion, cette publication est, comme de coutume, jonchée de RETEX issus de salons militaires récents – l’AD2S en septembre, le SITM en février et le SOFINS en avril -, de découvertes technologiques (micro lanceur hybride ; informatique moléculaire, etc.) et de chroniques historiques, telles celles du lieutenant-colonel Klen.
Pour accéder à ce numéro >>> ACCES PUBLICATIONS – Opérationnels SLDS
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1 https://www.saumur-anorabc.org/actualites/emat-le-commandement-par-intention-dans-larmee-de-terre/