Partenariat AD2S* – Par Murielle Delaporte – Si le conflit en Ukraine a restauré un vocabulaire que l’on n’avait plus coutume d’employer depuis la Première guerre mondiale, l’utilisation des mots et leur champ d’application doivent être interprétés dans le contexte du XXIème siècle et à la lumière des transformations ayant marqué ces dernières décennies.
C’est particulièrement le cas du concept d’« économie de guerre » énoncé par le Président Emmanuel Macron lors de l’inauguration du Salon Eurosatory en 2022. Si l’effet recherché est celui de la mobilisation, alors le choix de l’expression fut judicieux, puisque l’on ne compte plus articles et interventions sur un sujet qui, voici encore quelques mois, s’avérait inconnu du grand public. Mais s’il s’agissait d’acter une transformation engagée de l’économie de défense, afin qu’elle se mette en posture de faire face à un conflit majeur, alors les termes du chef des Armées ont pu susciter un certain nombre d’interrogations auxquelles la Loi de programmation militaire ne répond que partiellement.
Cet article publié en deux parties s’efforce de clarifier deux questions :
– Que recèle concrètement ce concept ?
– Quel en est l’impact sur le secteur du maintien en condition opérationnelle dans le secteur de l’aéronautique de défense (MCO-A) ?
Plus une remontée en puissance capacitaire qu’une économie de guerre per se
Au-delà de l’expression, la plupart des décideurs et observateurs s’accordent pour reconnaître que la réalité correspond davantage à une double-volonté de réappropriation de l’appareil de production national (littéralement ou indirectement) et de régénération d’une capacité industrielle à même de permettre aux forces armées françaises – mais aussi alliées – de faire face à des opérations de grande envergure (connues encore récemment sous l’appellation HEM pour « hypothèse d’engagement majeur »). En cela, le concept s’apparente en premier lieu à une incitation à faire évoluer notre modèle de production avant d’en accroître concrètement les effets potentiels sur nos capacités militaires.
Ainsi que le décrivait l’ingénieur militaire consultant en défense, Marc Chassilian, dans un article publié en janvier 2023, « sur le plan industriel, si aujourd’hui on est au niveau 1 de l’échelle, le niveau 2 serait une base industrielle capable de satisfaire les besoins déployés dans les années 1960-70, le niveau 3 serait le plan de réarmement de 1936 et le niveau 4 la véritable économie de guerre, celle de 1915-1918 »(1).
En février dernier, l’Ingénieur général de 2e classe Alexandre Lahousse, à l’époque chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique de la Direction générale de l’armement et en charge depuis peu de la nouvelle Direction de l’industrie de défense, exposait ainsi les cinq grands chantiers en cours destinés à « produire plus et plus vite » conformément aux souhaits du ministre des Armées, Sébastien Lecornu(2) :
• visibilité pour les industriels ;
• simplification des procédures d’acquisition ;
• sécurisation des chaînes d’approvisionnement ;
• recrutement ;
• financement(3).
Nombre de mesures sont ainsi en cours d’élaboration et/ou de mise en œuvre, lesquelles viennent se surexposer aux réformes et restructurations antérieures dont l’objectif était l’optimisation constante de la productivité économique de défense, en particulier en ce qui concerne le MCO-A.
Notes
(1) (L’« économie de guerre », un chantier de longue haleine, 21 janvier 2023) https://www.zonebourse.com/cours/action/AIRBUS-SE-4637/actualite/L-economie-de-guerre-un-chantier-de-longue-haleine-42782140/)
(2) Cette nouvelle Direction de l’industrie de défense a notamment « pour mission de muscler les capacités des armées dans les domaines du pilotage industriel et de la sécurité de la base industrielle et technologique de défense (BITD) » (https://www.lalettre.fr/fr/entreprises_defense-et-aeronautique/2024/03/04/la-dga-reorganise-son-pole-consacre-a-l-industrie-de-defense,110187010-art )
(3) Voir : https://www.defense.gouv.fr/actualites/economie-guerre-5-chantiers-produire-plus-plus-vite
Photo : MCO du Mirage 2000, un avion sur lequel des pilotes ukrainiens sont actuellement formés en France (ministère des Armées), tel que publié sur le site du ministère des Armées >>>https://www.defense.gouv.fr/nos-expertises/equipements-maintenance)
*Cet article a fait l’objet d’une premiere publication sur le site de l’AD2S et est ici reproduit avec l’accord d’AD2S.
- Voir le lien >>> https://bordeaux-merignac.bciaerospace.com/index.php/fr/actualites/archives-actualite/30-mco-aeronautique-et-economie-de-guerre-i-de-ii
- et la version PDF >>> MCO aéronautique et « économie de guerre » (I de II) – AD2S Aerospace & Defence Support and Services
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Version anglaise / English version >>>
- En version PDF : Military Aviation MRO and the concept of « war economy » (I of II) – AD2S Aerospace & Defence Support and Services
- En ligne : https://bordeaux-merignac.bciaerospace.com/index.php/en/news/archives-news/31-military-aviation-mro-and-the-concept-of-war-economy-i-of-ii
- And below in full text:
Military MRO and the concept of « war economy » (I of II)
If the desired effect is mobilization, then the choice of word was a wise one, as countless articles and speeches have since then emerged on a subject which, until a few months ago, was rather unbeknown to the general public. But if the aim is to transform the defense economy so that it is well positioned to face up to a major conflict, then the declaratory policy of the Commandant in Chief of the French Armed Forces may have triggered some confusion among some observers, which the current budget law only partially dissipates.
This two-part article is an attempt to clarify a little bit two key questions:
- What does this concept actually consist of?
- What impact does it have on the aeronautical MRO sector?
More a surge capacity than a war economy per se?
Beyond the expression, most decision-makers and observers agree that the reality corresponds more to the dual desire, first, to regain control – either literally through direct ownership/repurchase or indirectly – over the national production apparatus and, secondly, to recapitalize an industrial capacity in order to enable French – but also Allied – armed forces to cope with large-scale operations (LSOs).
In this respect, the concept appears first and foremost as an incentive to reboot a production model before enhancing concrete military capability.
As military engineer and defense consultant Marc Chassilian described in an article published in January 2023, “from an industrial point of view, if today we are at level 1 of the scale, level 2 would be an industrial base capable of satisfying the needs deployed in the 1960’s-70’s, level 3 would be the rearmament plan of 1936, and level 4 a real war economy, that of 1915-1918”(1).
Last February, General Alexandre Lahousse, then head of the Industrial Affairs and Economic Intelligence Department of the French Defence Procurement Agency (« Direction Générale de l’Armement ») and now in charge of the recently creacted Defence Industry Directorate, outlined the five key building blocs necessary to “produce more and faster”, the way Minister of the Armed Forces, Sébastien Lecornu, aspires to. These factors are(2):
- visibility for manufacturers;
- simplification of procurement process;
- securing supply chains;
- recruitment;
- funding(3).
A number of measures are currently being drawn up and/or implemented, building on a number of reforms and restructurings which occured over the years, particularly in the military MRO sector.
Footnotes
(1) The “war economy”, a long-term project, January 21, 2023 (https://www.zonebourse.com)
(2) This new Defense Industry Directorate has in particular been tasked with “strengthening the capabilities of the armed forces to manage industries and enhance the security of the defense industrial and technological base (DITB).” (https://www.lalettre.fr).
(3) See: https://www.defense.gouv.fr/actualites/economie-guerre-5-chantiers-produire-plus-plus-vite
Photo: maintenance of the Mirage 2000, a fighter Ukrainian pilots are currently being trained in France to fly on the battlefield © Julien Fechter, French Air Force ( as published in >>> https://archives.defense.gouv.fr