Cet article est le troisième d’une série de quatre analyses rédigées par le Général Jean-Patrick Gaviard sur la question de la gestion des conflits. Le Général Gaviard fut Commandant de la Défense aérienne et des Opérations aériennes (CDAOA) à Taverny entre 2003 et 2005 et conseiller auprès du ministre de la défense en 2005 et 2006: il travaille régulierèment pour le CESA (Centre d’études stratégiques aérospatiales) de l’armée de l’air et le CID (Collège interarmées de défense), tous deux basés à l’Ecole Militaire à Paris; il est également conseiller auprès du Commandement SACT (Supreme Allied Command Transformation) de l’OTAN basé à Norfolk aux Etats-Unis.

A l’heure où les opérations militaires en théâtre extérieur se réalisent de façon croissante dans un cadre multinational et où elles s’accompagnent et s’achèvent le plus souvent par des missions de stabilisation, la question posée par le Général Gaviard est de savoir s’il convient, dès l’émergence d’une crise, d’anticiper la sortie de cette dernière. L’avantage d’une telle planification est la recherche d’une solution potentielle à un conflit susceptible en particulier de prévenir un enlisement dans des missions pérennes. A l’appui de différents types de conflits (missions de stabilisation ; guerillas urbaines ; etc) et de situation de crise (Afghanistan ; Kosovo ; Conflit entre Israël et le Hezbollah ; etc), le Général Gaviard s’efforce ainsi de voir dans quelle mesure une telle anticipation est concrètement possible et propose différents outils pour y parvenir.

Conflit Israel-Hezbollah

Crédit Photo: Conflit Israélo-Hezbollah, www.cnn.com, 2009

Dans ce troisième article rédigé en octobre 2006 au lendemain du conflit Israélo-Hezbollah , le Général Gaviard tire quelques leçons de ce dernier quant à la dimension aéroterrestre de concepts d’opération en cours d’élaboration face à la double évolution de la menace et des technologies disponibles, mais aussi quant au risque d’affaiblissement de nos capacités opérationnelles immobilisées de façon croissante dans des missions de stabilisation à durée indéterminée. Là encore, la solution réside dans la bonne planification de la sortie de crise dès les prémisces d’un conflit, mais, souligne bien le Général Gaviard, pas dans n’importe quelles conditions: la robustesse des règles d’engagement et la capacité des forces à mener une vraie guerre, pour que celle-ci s’achève au plus vite, font partie des paramètres de réussite d’un tel concept. Un sujet particulièrement d’actualité sur le théâtre afghan…

A partir des enseignements à chaud tirés du conflit israélo-Hezbollah de 2006, trois domaines particuliers peuvent faire l’objet de quelques pistes de réflexion : les opérations de guerre en zone urbaine, les actions non létales et la sortie de crise.

Engineers Clearing Roads Through Caen du capitaine Orville Fisher représente les rues en ruines de Caen dans lesquelles les Canadiens se sont battus en 1944 (Tableau expose au Musee Canadien de la Guerre et repris dans: Roch Legault, Le champ de bataille urbain et l'armée : changements et doctrines, Automne 2000, Revue militaire canadienne, page 43, www.journal.forces.gc.ca)

"Engineers Clearing Roads Through Caen" du Capitaine Orville Fisher représente les rues en ruines de Caen dans lesquelles les Canadiens se sont battus en 1944 (Tableau exposé au Musée Canadien de la Guerre à Ottawa et repris dans: Roch Legault, Le champ de bataille urbain et l'armée : changements et doctrines, Automne 2000, Revue militaire canadienne, page 43, www.journal.forces.gc.ca)

Opérations aéroterrestres en zone urbaine: des concepts d’emploi encore à définir
Les opérations aéroterrestres en zone urbaine sont, en effet, très délicates car les dommages collatéraux pèsent lourdement dans la gestion médiatique et politique d’un conflit. La proportionnalité de la riposte est difficile à contrôler surtout lorsque l’adversaire s’enterre et se fond dans la population civile comme ce fut le cas au Vietnam ou plus récemment au Liban sud.

La technologie apporte des solutions intéressantes comme l’utilisation des drones qui, lors du conflit israélo-Hezbollah, ont été employés abondamment, ou le repérage automatique des troupes amies au sol. L’emploi coordonné de l’aviation associé à une désignation des cibles par des éclaireurs sur le terrain s’avère également efficace mais peut aussi engendrer des dommages collatéraux importants. Ni la technologie ni la technique ne suffisent pour vaincre un adversaire mobile, déterminé se mouvant dans un environnement urbain ami.

Il est intéressant de noter que l’armée de terre française a construit récemment une petite ville dans un camp de manœuvre – le Centre d’entraînement en zone urbaine ou CENZUB situé à Sissonne – où elle peut s’entraîner au combat en zone urbaine et étudier différentes techniques combinées. Mais les concepts et les doctrines restent à écrire.

Crédit Photo: www.armytimes.com (repris par: www1.american.edu, 2008)

Une solution (très) partielle : l'utilisation des armes non létales Crédit Photo: www.armytimes.com (tel que repris par www1.american.edu en 2008)

Un risque d’hypothèque sur le taux de disponibilité et d’opérabilité des forces
Les combats en zone urbaine sous-tendent la notion de proportionnalité et conduisent à envisager des actions non létales. De nombreuses recherches sont menées sur ce sujet : munition à effets réduits, modes d’action contrôlés, actions psychologiques… Le 29 juin 2006, le survol à basse altitude par quatre F16 israéliens de la résidence de Lattaqieh du président Bechar el Asad, alors sur place, avait à l’époque parfaitement illustré ce type d’action. Mais là encore les études doivent se poursuivrent.

Par ailleurs, les hostilités ayant cessé, il faut occuper le terrain. Cette occupation nécessite des effectifs importants bloqués sur les théâtres d’opérations pendant de très nombreuses années, ainsi qu’on l’observe aujourd’hui au Kosovo, en Bosnie, en Côte d’ivoire, en Irak, ou en Afghanistan.

Ces immobilisations longues et coûteuses, qui se succèdent sans retour de troupes, hypothèquent inéluctablement les capacités d’interventions pour des engagements futurs et limitent de facto les décisions politiques correspondantes.

Les missions de stabilisation ou de maintien de la paix risquent, par leur nombre et leur durée, de faire perdre aux troupes le savoir faire indispensable pour mener des opérations de guerre. Un journaliste du quotidien israélien Haaretz écrivait le 22 août dernier que : « les aptitudes de Tsahal ont été gâchées par des années d’opérations (de police dans les territoires occupés) qui l’ont ligoté émotionnellement et politiquement ».

C’est donc pour toutes ces raisons que les concepts sur la sortie de crise doivent avancer.

Les paramétres d’une sortie de crise efficace
Afin de désengager les troupes à temps, il convient de fixer la durée de leur mandat. Cette démarche est toujours difficile, mais indispensable.

Sur le théâtre d’opérations il faut gagner la guerre des cœurs. Les actions de reconstruction des infrastructures par les militaires sur le terrain permettent de convaincre les populations locales du bien fondé de leur engagement et de constituer ainsi un environnement psychologique favorable à leurs missions.

La robustesse des règles d’engagement constitue un volet important pour les soldats, car si les règles de proportionnalité de la réponse à l’action doivent être respectées, les forces doivent bénéficier d’une vraie latitude d’intervention, au risque de perdre leur crédibilité. La crédibilité de la force est indispensable pour restaurer la paix rapidement et permettre aux organisations internationales financées par la communauté internationale de prendre le relais au plus tôt. Ces organisations sont chargées de reconstruire les infrastructures mais aussi les administrations, les forces armées et de police.

Afin d’assurer leur sécurité sur le théâtre, des forces limitées en nombre, mais très réactives, seront mises en alerte pour prioritairement dissuader les adversaires de reprendre les hostilités. En cas de détérioration de la situation, ces forces seront engagées dans des délais très brefs, afin de rétablir l’ordre au côté des forces locales.

Citation Général Gaviard

Mais c’est avant tout, lors de la planification d’une opération que doivent s’élaborer les modes d’actions permettant une sortie de crise efficace. Des études préalables sur les comportements humains sont indispensables pour comprendre les réactions individuelles et collectives ultérieures des populations locales et planifier des modes d’action appropriés. Ces études nécessitent, en amont, l’installation de bases de données historiques et culturelles très fouillées. Des exercices multinationaux d’envergure, très réalistes sont menés régulièrement sur ces sujets. Le champ d’investigation est vaste, mais les outils de planification employés lors de la guerre froide sont totalement inadaptés aux conflits modernes. Il faut donc en concevoir de nouveaux.

Les travaux, largement entamés, concernant le combat en zone urbaine, les actions non létales et la sortie de crise devront être menés avec imagination et détermination. Les résultats seront utiles à toutes les nations démocratiques qui sont- ou seront – engagées dans des conflits asymétriques, voire qui participent à des missions de stabilisation ou de maintien de la paix comme c’est le cas pour la France, aujourd’hui, sur de nombreux théâtres d’opérations.

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*** Posté le 9 avril 2010