Entretien avec le Général Jean-Paul PALOMEROS, Chef d’état-major de l’armée de l’air (Propos recueillis par Murielle Delaporte)

 

*** 21/06/2011-  Cet entretien est la continuité de l’article publié sous le même titre dans le dernier numéro de Soutien Logistique Défense paru ce mois-ci, en en développant certains aspects.

 

 

Rafale en partance pour pour Harmattan Crédit photo : JM Tanguy, Solenzara, 28 mars 2011

 

« S’inscrire dans la durée » est la première mission de tout combattant dans sa poursuite de la victoire militaire. C’est ce qu’a rappelé le Général Paloméros, Chef d’Etat-major de l’armée de l’air depuis juillet 2009, à propos des opérations françaises en Libye : une mission qui concerne tous les champs de bataille et passe par une bonne disponibilité des forces – hommes et équipements – .

Le Général Palomeros explique dans l’entretien ci-dessous pourquoi à ses yeux le maintien en condition opérationnelle se situe au cœur de la capacité de l’armée de l’air à assurer son contrat opérationnel et affecte directement le bon moral des hommes. Il décrit ainsi les impératifs et les conditions de réussite d’un maintien en condition opérationnelle efficace de l’armée de l’air à l’heure actuelle face aux multiples défis auxquels cette dernière est confrontée, tels que la modernisation de ses équipements. Quelques heures avant cet entretien, le Général Paloméros avait de fait volé sur l’A400M, futur avion de transport de l’armée de l’air française, dont la maintenance offre d’ores et déjà un terrain de réflexion quant au partenariat MCO aéronautique d’un nouveau type entre acteurs publics et privés que le CEMAA appelle de ses vœux.

 

 

 Dans le contexte de transformation sans précédent de l’armée de l’air, quelle est  votre vision quant à l’avenir du soutien dans la Troisième Dimension face à la longue liste de contraintes auxquelles vous devez faire face (réduction d’effectifs, restructurations, transition entre équipements anciens et matériels de nouvelle génération, etc) ? Comment envisagez-vous en particulier de minimiser les risques de lacunes capacitaires ?

 

Général Paloméros : Avant d’aborder le problème de façon globale, je souhaiterais souligner qu’il s’agit là d’une question essentielle qui non seulement m’occupe, mais me préoccupe depuis déjà de longues années, lorsque j’étais en poste à l’Etat-major, puis ensuite comme Major Général de l’armée de l’air et maintenant comme Chef d’Etat major de l’armée de l’air.

Lorsque l’on fait référence au maintien en condition opérationnelle (MCO),  il convient tout d’abord de rappeler les faits suivants : le MCO a connu un tournant majeur avec la chute de disponibilité brutale constatée au début des années 2000, d’où les travaux de programmation 2003-2008, dont le bien-fondé ne s’est pas démenti depuis, qui ont conduit dès 2000 à la création d’un organisme interarmées de soutien, à savoir la Structure Intégrée de Maintien en Condition Opérationnelle des Matériels Aéronautiques de la Défense (SIMMAD).

La SIMMAD a donc été le résultat du constat d’une chute de disponibilité, elle-même engendrée par une réduction drastique des rechanges à la fin des années quatre-vingt dix, période au cours de laquelle il a fallu en conséquence considérablement puiser dans nos stocks et faire face à la difficulté d’entretenir nos matériels.

Depuis lors, que s’est-il passé ?

  • – Tout d’abord,  la plupart des matériels de l’armée de l’air ont continué à vieillir : je pense en particulier à nos deux flottes les plus anciennes et dont l’état s’avère le plus préoccupant à l’heure actuelle, à savoir nos avions de transport d’une part – tant nos Transall que les C130 accusent dix ans de plus -, nos ravitailleurs d’autre part. Il est clair qu’il est de plus en plus difficile d’entretenir des avions anciens.

 

  • – Ensuite, nous avons commencé à moderniser nos flottes : le Rafale a ainsi rejoint la flotte de chasseurs de l’armée de l’air en 2006. Il s’agit d’un excellent avion, mais tout  jeune et qu’il a donc fallu, comme tout avion neuf, s’approprier. Si  nous disposons à ce jour d’un peu plus de recul, nous avons vécu depuis 2006 une période d’apprentissage sur le Rafale avec des modifications destinées à l’amener aux meilleurs standards possibles, ce qui est le cas aujourd’hui. Il s’agit d’un avion très polyvalent, dont la qualification au Standard F3 permet une capacité offensive, défensive, nucléaire, de reconnaissance et de  frappe à la mer. Au cours de ces dernières années, nous avons également appris à apprivoiser la maintenance du Rafale, laquelle repose sur un concept nouveau : traditionnellement, les aéronefs étaient entretenus selon une logique préventive sur la base de visites intervenant à intervalles réguliers – soit calendaires, soit en liaison avec le nombre d’heures de vol effectués par l’avion –. L’arrivée du Rafale a conduit à un changement de concept et de doctrine, en introduisant le principe de maintenance selon l’état consistant à surveiller l’état de l’avion et à l’entretenir en fonction de l’usure réelle de certaines pièces. Il s’agit donc là d’un concept  moderne, mais qui demande bien évidemment à prendre de la maturité. Lorsqu’un avion neuf est introduit dans une flotte, l’expérience montre que le coût de possession s’avère au départ très élevé, dans la mesure où peu d’aéronefs sont disponibles et où une phase d’apprentissage est indispensable, puis ce coût baisse pour remonter en fin de vie (c’est la fameuse courbe en baignoire). Avec le Rafale, nous sommes en termes de coût de possession en phase descendante, et il est bien évident que plus la flotte est importante, plus la transition est aisée.
  • – Entre ces deux extrêmes – une gestion de flottes anciennes lourdes à entretenir et l’adoption maintenant effective d’un nouveau concept de maintenance en l’état -, se trouve le maintien d’un niveau de disponibilité satisfaisant pour des flottes intermédiaires tenant bien la route, mais à raison d’une grande vigilance.

 

Crédit photo : formation Rafales en vol, Richard Nicolas-Nelson, Armée de l’air, 24 mars 2011

L’arrivée du Rafale a conduit à un changement de concept et de doctrine, en introduisant le principe de maintenance selon l’état consistant à surveiller l’état de l’avion et à l’entretenir en fonction de l’usure réelle de certaines pièces. Il s’agit donc là d’un concept  moderne, mais qui demande bien évidemment à prendre de la maturité. Lorsqu’un avion neuf est introduit dans une flotte, l’expérience montre que le coût de possession s’avère au départ très élevé, dans la mesure où peu d’aéronefs sont disponibles et où une phase d’apprentissage est indispensable, puis ce coût baisse pour remonter en fin de vie.

La disponibilité technique, et donc le MCO, aéronautiques représentent de mon point de vue une priorité absolue pour deux raisons essentielles : la première raison tient au fait que le MCO a évidemment un impact direct sur la disponibilité opérationnelle de nos flottes et la seconde qu’il influe tout aussi directement sur le moral de nos hommes. Si nos flottes ne sont pas disponibles, non seulement les pilotes ne volent pas assez et ne s’entraînent pas assez, mais les mécaniciens sont obligés de faire de la surmaintenance et d’aller prendre des pièces sur un avion pour les remonter sur un autre. L’efficacité et le moral des troupes en souffrent, alors qu’au contraire l’armée de l’air est dans une dynamique de modernisation. Moderniser notre outil est mon objectif,  de pair avec la recherche de l’efficacité en vue de la meilleure disponibilité possible.

1. En ce qui concerne la disponibilité, j’aimerais tout d’abord ouvrir une parenthèse : on en parle beaucoup et c’est en ces termes que je la caractérise : ce qui m’intéresse dans la disponibilité, ce n’est pas uniquement un chiffre –  chiffre dont j’ai connaissance de fait au quotidien et que je surveille au quotidien pour chacune des flottes  – , mais notre capacité à satisfaire en priorité nos contrats opérationnels. Ce qui est important est que tous les avions assignés en opération extérieure soient disponibles le plus vite possible. Nous y parvenons, puisque le taux de disponibilité des avions que nous  déployons en OPEX avoisine les quatre-vingt dix à quatre-vingt quinze pour cent : c’est le cas pour le théâtre libyen, en Afghanistan, mais aussi aux Emirats, à Djibouti, à N’Djamena, ainsi que dans le cadre d’exercices majeurs – tels que Cruzex V qui s’est tenu au Brésil en novembre 2010 et au cours duquel le Rafale était disponible à plus de quatre-vingt dix pour cent -, et, d’une façon générale, à chaque occasion où  il est nécessaire de compter sur une disponibilité maximale. Un tel objectif est également valide en ce qui concerne nos autres aéronefs, tels que nos avions de transport, mais permettez-moi de souligner une fois encore qu’il est plus difficile d’atteindre une telle disponibilité même en OPEX sur des flottes anciennes de type Transall ou ravitailleurs. Assurer le contrat opérationnel qui nous est assigné s’avère donc la priorité absolue : à noter que celui-ci  inclue aussi bien-sûr la posture permanente de sûreté, c’est-à-dire la sûreté et la souveraineté aériennes du territoire assurées par les avions d’alerte et de dissuasion.

2. Un deuxième élément caractérise la disponibilité, à savoir le nombre d’avions nécessaires à l’entraînement quotidien de nos pilotes : celui-ci découle en fait du premier, puisque tous les efforts effectués dans le sens d’une disponibilité maximale en opération viennent en quelque sorte grever à isopérimètre le potentiel de forces demeurant en métropole. C’est donc sur cette flotte résiduelle que doivent porter à la fois nos efforts et nos évolutions d’organisation, de manière à garantir à nos équipages l’entraînement nécessaire et suffisant pour maintenir les compétences et être prêts en conséquence à satisfaire les contrats opérationnels.

3. Un troisième élément entre également dans l’équation de la disponibilité et du MCO aéronautique : il s’agit du besoin de gérer des flottes sur le très long terme. Cet impératif nous différencie en cela totalement des compagnies civiles, dont la stratégie consiste à ne conserver leurs avions que le temps pendant lequel ils sont pleinement rentables économiquement et efficaces. Une compagnie investit ainsi en permanence et ne va pas hésiter à changer de catégorie ou d’avion, si elle estime que c’est rentable. De notre côté, nous ne pouvons pas entrer dans cette logique pour différentes raisons : en premier lieu, développer un avion militaire prend du temps et s’avère coûteux en l’absence de l’effet de série dont bénéficient les flottes civiles ; en second lieu, les budgets de la défense ne permettent pas un renouvellement aussi fréquent que celui des compagnies ; enfin, il n’existe pas de marché de revente comparable à celui des compagnies civiles. Nous devons donc gérer nos flottes sur le long terme : la meilleure preuve est que nos Boeing C135 atteignent aujourd’hui pratiquement cinquante ans tout comme ceux des Américains. Il  en va de même pour nos Transall, qui ont quarante cinq ans, ou encore les premiers Mirage F1 qui ont près de quarante ans. Cela signifie qu’il faut que nous gérions un parc d’avions en en prévoyant un nombre suffisant afin d’assurer la pérennité d’une flotte sur le long terme.  Et c’est la raison pour laquelle il existe toujours une différence entre la cible des avions que nous visons au départ et  le nombre d’avions que nous allons effectivement utiliser.  Nous avons besoin de conserver cette réserve de manœuvre pour deux raisons majeures : le taux d’attrition d’une part (il nous arrive malheureusement de perdre des avions en vol), le vieillissement des avions d’autre part. L’existence d’un volant de gestion permet donc de gérer et d’assurer  la fin de vie des flottes.

 

Crédit photo : Départ de Mirage 2000 D de Nancy à partir de la BA 126 de Solenzara, Anthony Jeuland, Sirpa Air, 21 mars 2011

Crédit photo : Départ de Mirage 2000 D de Nancy à partir de la BA 126 de Solenzara, Anthony Jeuland, Sirpa Air, 21 mars 2011

 

 

Ces trois éléments conditionnent ainsi tout le MCO aéronautique : quelle que soit l’armée d’appartenance des avions et des hélicoptères, le problème est strictement le même et soulève la question très délicate des besoins de modernisation de certaines flottes ayant encore du potentiel. C’est par exemple le cas des Mirage 2000D, actuellement à Nancy  et utilisés en Afghanistan, qui ont encore du potentiel et que nous souhaitons moderniser pour utiliser au mieux ce potentiel. C’est vrai également pour certains avions de la Marine, tels que les Atlantique 2. Le problème se pose de toutes façons systématiquement sur chaque flotte à un moment donné : savoir à quel moment il convient de moderniser un avion et quel niveau de ressources y consacrer pour rentabiliser au mieux l’investissement lourd que représente la constitution d’une flotte d’avions de combat constitue un des grands défis de toutes les armées du monde.

En résumé, de notre organisation et de l’efficacité du MCO des matériels aéronautiques dépendent directement  nos capacités opérationnelles, nos capacités à régénérer et entretenir  les compétences de nos équipages, et a gérer nos flottes sur le long terme,  de manière à ce qu’elles soient sûres, qu’elles volent avec la meilleure sécurité possible, et qu’elles soient efficaces sur le plan opérationnel. Ce n’est en effet pas la peine d’entretenir des flottes qui n’auraient plus leur efficacité d’un point de vue opérationnel. Voici donc l’équation globale que nous avons à gérer, et, lorsque l’on y réfléchit bien, il s’agit en fait tout simplement du cœur de la vie de l’armée de l’air.

Le MCO aéronautique rythme en effet la vie de l’armée de l’air, en ce sens qu’il rythme l’activité opérationnelle et l’activité aérienne : si nous ne parvenons pas à générer assez de disponibilité, nous ne serons pas en mesure de réaliser l’activité aérienne dont nous avons besoin pour satisfaire nos contrats opérationnels  et entraîner nos hommes.  Il  rythme également  la logistique qui doit l’accompagner, et il est indispensable de générer suffisamment de rechanges pour que cette disponibilité soit autosuffisante. Il rythme par ailleurs l’activité de nos bases, puisque celle-ci vise à entretenir l’activité aérienne, donc, au bout du compte, cette question est centrale. C’est LA question qui se pose aujourd’hui  à un chef d’état-major : comment fournir la meilleure disponibilité au meilleur coût avec la meilleure efficience, tant en termes de compétences humaines qu’en termes d’investissements.

Lorsque l’on y réfléchit bien, il s’agit en fait tout simplement du cœur de la vie de l’armée de l’air. Le MCO aéronautique rythme en effet la vie de l’armée de l’air, en ce sens qu’il rythme l’activité opérationnelle et l’activité aérienne : si nous ne parvenons pas à générer assez de disponibilité, nous ne serons pas en mesure de réaliser l’activité aérienne dont nous avons besoin pour satisfaire nos contrats opérationnels  et entraîner nos hommes.  Il  rythme également  la logistique qui doit l’accompagner, et il est indispensable de générer suffisamment de rechanges pour que cette disponibilité soit autosuffisante. Il rythme par ailleurs l’activité de nos bases, puisque celle-ci vise à entretenir l’activité aérienne, donc, au bout du compte, cette question est centrale. C’est LA question qui se pose aujourd’hui  à un chef d’état-major : comment fournir la meilleure disponibilité au meilleur coût avec la meilleure efficience, tant en termes de compétences humaines qu’en termes d’investissements.

Le problème n’est  pas simple, ne serait-ce qu’en raison du grand nombre d’acteurs qu’il implique : l’un d’entre eux, absolument essentiel et avec lequel nous devons savoir travailler,  c’est l’industrie. Cette dernière nous fournit des équipements, des avions, des hélicoptères, des avions de transport, etc.,  qui répondent à nos spécifications, telles que nous les définissons initialement de concert –  comme c’est le cas aujourd’hui pour l’avion A400M -,  ainsi que les moyens de soutien qui s’avèrent nécessaires à leur durée de vie. Il s’agit là d’un point essentiel, car si nous sous-estimons les besoins de soutien initiaux, il nous faudra rattraper ce retard en un deuxième temps sur la vie de l’avion, ce qui ce sera d’autant plus difficile qu’il nous faudra retrouver les moyens financiers pour le faire. On se retrouve alors dans une situation où il sera problématique d’assurer une montée en puissance d’une flotte et où des choix difficiles en matière d’investissements consentis devront être faits.

Tous les acteurs – l’industrie, la délégation générale de l’armement (laquelle a un rôle central en matière de politique d’acquisition) et les Etats-majors – s’essaient à définir le juste besoin en termes de soutien initial, de soutien logistique intégré, pour qu’une flotte nouvelle soit bien prise en compte : c’est notamment l’objet des débats actuels sur le soutien de l’avion de transport futur A400M, lequel arrivera dans l’armée de l’air à partir de 2013, – débats que nous menons d’ailleurs avec les Britanniques, puisqu’ils auront également l’A400M. Il s’agit ainsi d’arriver à trouver la meilleure formule possible pour faire en sorte que dès son entrée en service, cet avion soit opérationnel et pourra être ensuite entretenu dans de bonnes conditions. Il est donc très important que dès la conception et la naissance d’un avion, son soutien logistique soit totalement intégré en s’efforçant de le dimensionner au mieux en fonction de ses caractéristiques. . Cette conception du MCO d’un équipement doit cependant se faire dans la phase de développement des programmes d’armement, d’où l’existence d’équipes de programmes intégrés.  Il faut ensuite parvenir à maintenir au niveau suffisant les stocks et les lots de pièces de rechange pour entretenir cette chaîne de maintien en condition opérationnelle, ce qui doit être, là encore, réalisé de concert avec l’industrie, dans la mesure où c’est cette dernière qui en assure la production.

Qu’il s’agisse des grands maîtres d’œuvre ou bien de tout le réseau de sous-traitance qui est très important pour nous, l’industrie aéronautique dans son ensemble est un élément essentiel de notre équation MCO. C’est en ce sens que nous poussons et favorisons un dialogue plus concret et le plus clair possible avec l’industrie. Ce dialogue s’améliore de fait au fil du temps et nous nous trouvons incontestablement dans une logique de progrès.

Parmi les acteurs du MCO et en plus de l’industrie privée, l’industrie étatique est également très présente avec le Service Industriel de l’Aéronautique (SIAé), lequel a été créé sur les bases de son prédécesseur, le Service de Maintenance Aéronautique (SMA). Le SIAé met ainsi en œuvre des Ateliers Industriels de l’Aéronautique (AIA), qui entretiennent des flottes opérationnelles en partenariat avec l’industrie. L’énorme avantage pour nous d’un tel organisme est qu’il confère à l’Etat sa propre expertise et qu’il lui permet d’exprimer ses besoins en termes de maintenance de flottes que l’industrie ne peut ou ne souhaite plus assurer. Le SIAé fournit également une capacité de réactivité aux forces qui est très importante , et c’est pour cette raison que, dans le cadre de la transformation du ministère, nous avons souhaité, en particulier pour l’armée de l’air, mais aussi maintenant pour la Marine et un peu pour l’armée de terre, associer ce service au soutien opérationnel des forces aériennes en y intégrant des militaires de manière à optimiser cette réactivité.  La grande expertise du SIAé lui permet par ailleurs non seulement d’être en mesure de dialoguer avec l’industrie à bon niveau, prévenant ainsi l’écueil d’un risque de monopole industriel, mais aussi d’imaginer des solutions novatrices pour répondre à un besoin spécifique, ce qui se vérifie au quotidien : il est donc très important à mes yeux de conserver cette dimension étatique, à condition bien évidemment de la maîtriser. Dans sa formule la plus large (c’est-à-dire si l’on intègre la dimension Marine mise en œuvre en 2010), le SIAé compte à l’heure actuelle quatre mille neuf cent personnes réparties en cinq établissements : les trois gros AIA de Bordeaux, Clermont et Cuers, et ceux plus petits d’Ambérieu et de Bretagne (lequel se répartit entre Landivisiau et Lorient), ainsi que deux petits détachements localisés sur les bases de Phalsbourg et Touls et dédiés à la maintenance des hélicoptères de l’armée de terre. Il s’agit donc d’un ensemble industriel très important.

Un autre élément affectant le MCO aéronautique est l’évolution profonde que nous avons souhaité engager voici cinq ans : à la suite d’une analyse assez détaillée de notre processus et de notre organisation au sein de l’armée de l’air, nous avons décidé de passer de trois niveaux de maintenance à seulement deux. Nous avions traditionnellement un premier niveau de maintenance technique très proche des avions (dit NTI1 pour niveau technique d’intervention numéro 1), qui correspondait à la mise en service des appareils, puis un second niveau de maintenance plus approfondi (NTI2) qui se situait sur les bases, et enfin un niveau technique d’intervention numéro 3 (NTI3), qui était effectué soit dans l’industrie privée, soit donc au sein des AIA. On s’est rendu compte que cette stratification était trop lourde et que l’on avait intérêt à tirer parti de la création du SIAé d’un côté, de l’évolution de la maintenance des matériels de l’autre.  Cette double conjonction de facteurs a ainsi permis une simplification des niveaux de maintenance avec un niveau de soutien opérationnel (NSO), très proche des unités, et un niveau de soutien industriel (NSI) pouvant être confié soit à l’industrie privée, soit au SIAé. La distinction est très claire : d’un côté on génère de l’activité, de la disponibilité ; de l’autre on régénère du potentiel. La partie opérationnelle génère la disponibilité et donc l’activité courante ; la partie industrielle régénère le potentiel des avions. Cette répartition nous a amené à déplacer en quelque sorte les curseurs, en confiant à l’industrie privée et étatique un peu plus d’activité et en nous concentrant au niveau des bases sur le soutien opérationnel. Pour ce faire,  nous avons substitué aux nombreuses unités de maintenance qui se trouvaient sur les bases associées à des unités, aux escadrons et intégrées dans les escadrons, des ensembles uniques que l’on appelle les Escadrons de soutien technique aéronautique, les ESTA, lesquels fédèrent sur une base l’ensemble des mécaniciens et des spécialistes qui contribuent à la maintenance aéronautique. Il s’agit là d’un facteur de progrès indéniable destiné à mieux tirer parti des compétences et fournir une meilleure disponibilité.

Avec l’introduction de matériels modernes, nos mécaniciens doivent de fait devenir de plus en plus polyvalents, car un système comme le Rafale s’entretient d’une manière assez globale, ce qui demande encore plus d’expertise que par le passé. La maintenance moderne est très motivante pour les jeunes qui nous rejoignent aujourd’hui, en ce sens qu’ils disposent d’outils modernes et ont une véritable responsabilité à exercer : ils sont ainsi à la pointe de la technologie et à la pointe de l’opérationnel. Bien-sûr, certains doivent encore travailler sur matériel ancien, mais nous modernisons progressivement nos flottes, notamment avec notre avion de transport et à terme je l’espère rapidement, avec le MRTT.

Crédit photo : mécaniciens de l'armée de l'air, armée de l'air

Avec l’introduction de matériels modernes, nos mécaniciens doivent de fait devenir de plus en plus polyvalents, car un système comme le Rafale s’entretient d’une manière assez globale, ce qui demande encore plus d’expertise que par le passé. La maintenance moderne est très motivante pour les jeunes qui nous rejoignent aujourd’hui, en ce sens qu’ils disposent d’outils modernes et ont une véritable responsabilité à exercer : ils sont ainsi à la pointe de la technologie et à la pointe de l’opérationnel. Bien-sûr, certains doivent encore travailler sur matériel ancien, mais nous modernisons progressivement nos flottes, notamment avec notre avion de transport et à terme je l’espère rapidement, avec le MRTT.

Voila les grandes lignes de la réorganisation profonde de l’armée de l’air pour son MCO,  qui aujourd’hui s’impose plus que jamais pour répondre au défi de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) se traduisant par une réduction importante des effectifs : il convient ainsi de rappeler que l’armée de l’air doit en six ans faire abstraction du quart de ses personnels, avec la perte de près de seize mille hommes sur soixante deux mille au départ. Nous avons donc un vrai défi humain à relever et cette réorganisation œuvre également en ce sens.

Quels sont les facteurs structurants pesant sur cette activité de maintien en condition opérationnelle ?

  • – Le niveau de compétence s’avère bien-entendu central : nous devons pouvoir compter sur des hommes efficaces, motivés et solidaires et nous devons optimiser notre activité.
  • – Mais au-delà de la compétence, nous devons faire face à des facteurs structurants, tels que l’augmentation du coût des matières premières, laquelle nous affecte tout particulièrement. Ces augmentations sont largement supérieures au rythme de l’inflation et au rythme d’évolution des budgets de défense.
  • – Autre facteur clé,  le coût de la main d’œuvre dans l’industrie, en ce sens que nous subissons directement les effets de son augmentation. Face à ces deux variables majeures, matières premières et main d’œuvre, l’industrie s’efforce en toute logique d’optimiser son outil : c’est la qu’entrent en jeu les relations contractuelles entre l’Etat et l’industrie, lesquelles passent par la SIMMAD actuellement dirigée par le Général Pinaud. C’est ce service qui doit négocier au mieux les contrats avec l’industrie, qu’elle soit privée ou étatique. Ce faisant, il doit garder à l’esprit la recherche du meilleur équilibre à atteindre en fonction des objectifs qui lui sont fixés en termes de durées et  de nombre d’heures de vol d’une part, en fonction des contraintes techniques et logistiques susceptibles de peser d’autre part. D’où la nécessité de pouvoir se reposer au sein de la SIMMAD sur des compétences adéquates en termes d’acheteurs, lesquelles sont très rares et très précieuses.
  • – Autre facteur structurant lourd : l’introduction de matériels nouveaux, qui, comme je le soulignais précédemment, demande de l’expertise. A chaque fois que l’on introduit un matériel nouveau, intervient une phase d’apprentissage qui n’est pas évidente au départ : il faut apprendre…. Nous avons ainsi beaucoup appris sur le Rafale depuis son entrée en service et  je pense qu’il en sera de même en ce qui concerne l’A400M.

Le MCO des matériels anciens répond à une autre logique : il faut d’abord s’assurer de notre capacité à conserver les stocks de rechanges nécessaires à leur entretien sur le long terme, ce qui n’est pas toujours évident dans le cas d’équipements particulièrement anciens, parfois en limite d’obsolescence et/ou en rupture de production. Des stocks de sécurité s’avèrent alors nécessaires, dont l’entretien revient forcément un peu cher. Nous sommes donc dans l’impossibilité de fonctionner à « zéro stock », comme cela se fait dans toute bonne industrie et nous sommes contraints de prendre des provisions, d’autant que des défauts techniques peuvent survenir avec le vieillissement des matériels.  A titre d’exemple, qui nous préoccupe un peu aujourd’hui même si ce  n’est pas catastrophique : le nombre croissant de fuites que nous enregistrons sur nos ravitailleurs, et qu’il nous faut colmater. Notre personnel est qualifié et sait le faire, mais cela prend du temps, et nos ravitailleurs sont immobilisés lorsque nous en avons  besoin. Cette surmaintenance contraint par ailleurs nos mécaniciens à travailler encore plus, jour et nuit, afin d’assurer la disponibilité des avions pour le lendemain.

Voila comment se situe l’équation : j’appelle cela la bataille du MCO, afin de donner un caractère militaire à cette question centrale, parce que je crois qu’il faut réellement prendre ce problème comme un combat –  un combat que nous ne pouvons pas perdre. La défaite signifierait tout simplement une perte de capacités opérationnnelles. Si nous ne parvenons pas à préparer les équipages pour les théâtres d’opération, alors nous perdons notre caractère opérationnel. Nous n’avons donc pas le droit de perdre cette bataille. Aujourd’hui, nous sommes plutôt en voie de la gagner, mais il s’agit d’un combat qui n’est jamais gagné et qu’il nous faut mener au quotidien. Cette question est donc une priorité très élevée dans l’activité de l’armée de l’air et  tous les acteurs sont mobilisés pour relever le défi.

J’appelle cela la bataille du MCO, afin de donner un caractère militaire à cette question centrale, parce que je crois qu’il faut réellement prendre ce problème comme un combat –  un combat que nous ne pouvons pas perdre. La défaite signifierait tout simplement une perte de capacités opérationnnelles. Si nous ne parvenons pas à préparer les équipages pour les théâtres d’opération, alors nous perdons notre caractère opérationnel. Nous n’avons donc pas le droit de perdre cette bataille. Aujourd’hui, nous sommes plutôt en voie de la gagner, mais il s’agit d’un combat qui n’est jamais gagné et qu’il nous faut mener au quotidien. Cette question est donc une priorité très élevée dans l’activité de l’armée de l’air et  tous les acteurs sont mobilisés pour relever le défi.

 

Un dernier élément important est l’introduction prévue pour dans trois ans  d’une étape supplémentaire dans la réforme de notre organisation. En 2004, l’armée de l’air avait conçu Air2010, un plan global dont l’objectif était de concentrer ses forces en un moins grand nombre de grands commandements que par le passé : on est ainsi passé de treize grandes directions et commandements à cinq commandements – quatre commandements opérationnels et une direction – : le commandement des forces aériennes,  le commandement du soutien des forces aériennes, de la défense aérienne et des opérations aériennes, le commandement des forces aériennes stratégiques et la direction des ressources humaines de l’armée de l’air. Si la structure de l’armée de l’air s’est donc aujourd’hui grandement simplifiée, il restait quand même une piste d’optimisation à poursuivre : on avait en effet d’un côté le commandement du soutien des forces aériennes (CSFA), basé à Bordeaux et en charge en particulier de tout le soutien opérationnel des flottes,  et,  de l’autre, la SIMMAD, située à Brétigny et responsable de la gestion des contrats, mais aussi des flottes et notamment de la logistique des flottes de l’armée de l’air.  Dans la mesure où la RGPP nous demande d’être encore plus efficaces en réduisant sensiblement nos personnels et en fermant des bases, nous nous sommes appuyés sur la fermeture de la base de Brétigny prévue pour 2012 pour envisager une solution consistant à réunir et colocaliser la SIMMAD et le CSFA sur Bordeaux, dans la mesure où les compétences des uns et des autres sont indissociables. En créant un nouvel ensemble, l’idée est de tirer le meilleur parti d’un tel rapprochement et de la synergie qui va exister entre les deux. Ce projet est en cours aujourd’hui : il est très soutenu par les autorités du ministère avec pour objectif d’insuffler un nouvel élan à notre MCO, et,  ce qui est très important, en y associant l’industrie.

 

Crédit photo : maintenance aéronautique, Jean-Bernard Nadeau, SIAé, AIA de Bordeaux, octobre 1999

 

L’objectif – et les industriels l’ont bien compris – est de créer une nouvelle dynamique en intégrant tous les acteurs du MCO aéronautique, et pas uniquement d’un côté les acteurs étatiques et de l’autre les acteurs privés. L’idée est de constituer des « plateaux », ce que l’on fait déjà pour nos moteurs : en partant du fait que l’AIA en charge des moteurs est situé à Bordeaux, nous avons en effet créé le plateau CICOMORE, lequel réunit ce dernier, mais aussi un représentant de la SIMMAD et des industriels. Nous avons ainsi déjà enregistré une amélioration sensible de nos résultats sur nos moteurs, en particulier sur le moteur du Rafale et progressons dans des proportions très importantes. En travaillant ainsi ensemble en plateau, nous serons mieux à même d’anticiper sur les problèmes, d’avoir une gestion prévisionnelle, et donc de mieux gérer aussi nos contrats , de mieux gérer notre logistique et de mieux répartir la charge entre l’industrie et les forces. Un nouveau modèle est en quelque sorte en train d’émerger avec une meilleure intégration entre l’industrie et les forces, de façon à ce qu’il n’y ait pas déperdition au niveau formation et que l’on travaille bien ensemble. Ceci n’exclura pas des négociations longues et difficiles sur les contrats, chacun défendant légitimement son point de vue, elles seront menées en toute connaissance de cause et en s’appuyant sur une meilleure expertise. L’idée pour l’Etat est d’être un « client intelligent », c’est-à-dire de posséder l’expertise nécessaire pour évaluer telle proposition et/ou comprendre les enjeux industriels quant à l’existence de marges par exemple. Le but n’est pas de s’opposer les uns les autres, mais de se comprendre et de faire jouer la concurrence auprès des fournisseurs potentiels en évaluant leurs compétences et leur efficacité : ce n’est pas la logique du moins disant qui doit l’emporter, mais bien la logique du mieux disant. Mais pour qu’il y ait un mieux disant, il faut que nous-mêmes soyions assez qualifiés pour déterminer qui est le mieux disant.

Le moins disant est une politique de court terme pouvant permettre instantanément de réduire les coûts ou de donner cette impression, mais nous en payons le prix sur le long terme et nous nous devons d’être très vigilants à cet égard. Nous devons donc créer un ensemble qui nous permette d’être à la fois plus compétents et  plus attentifs quant à la nature des coûts : nous devons bien comprendre ce que l’industrie entend nous faire supporter comme charges et pourquoi, puis mettre en concurrence et étudier les alternatives possibles. Il n’existe pas de réponse unique et homogène à cette question et nous nous devons de raisonner sans dogme, en ce sens que ce qui peut être bien fait par l’Etat, il faut que l’Etat le fasse, et ce qui peut être mieux fait par l’industrie, il faut que l’industrie le fasse…

Pratiquement toutes nos flottes qui ont un caractère civil,  telles que nos airbus, ont une maintenance externalisée et cela ne nous pose aucun problème. En revanche, il est impératif que nous conservions la maîtrise de la maintenance de nos flottes de première ligne. Ce qui ne veut pas dire que l’industrie n’intervient pas dans le NSI : nous avons bien évidemment besoin de l’industrie, mais il convient de nouer une autre forme de partenariat. C’est dans la gestion de la maintenance de ces flottes opérationnelles que le SIAé prend également toute sa place, et nous en tirons bénéfice au quotidien.

Le MCO est donc une question lourde de conséquences, une question passionnante, une question qui met en jeu toute une ramification d’acteurs : il convient ainsi d’insister en particulier sur le rôle et l’importance des sous-traitants, lesquels ont des compétences très rares et dont il est fondamental de préserver le tissu tant cela touche au très profond de notre société et de notre pays.

Nous avons ainsi un rôle à jouer également en ce sens, car ce tissu de compétences s’avère pour nous essentiel : nous sommes très satisfaits de la qualité de service rendu par les PME et les grands maîtres d’œuvre industriels y sont également attentifs. Il s’agit donc d’une question centrale et le ministre de la Défense s’est clairement prononcé à ce sujet en rappelant tout l’intérêt qu’il portait au réseau de sous-traitants et aux PME.

Cette activité de MCO est par ailleurs génératrice d’emplois et de compétences, dont beaucoup à très forte plus value. Nombre de petites entreprises ont de fait un domaine d’expertise internationalement reconnu, car elles sont en mesure de fabriquer et d’assurer la maintenance de pièces très spéciales, pour lesquelles elles sont sollicitées en France et à l’étranger. Il existe de surcroît une grande dualité et synergie entre les secteurs militaire et civil, certaines sociétés compétentes dans le domaine civil l’étant également dans le domaine militaire.

Tous nos choix doivent ainsi être largement éclairés par ce débat et c’est pour cette raison que nous avons besoin d’un modèle d’interaction très intégré où nous arrivons à susciter une discussion non seulement avec les grands maîtres d’œuvre, mais avec tous les acteurs. Nous avons besoin de préserver une base de compétences techniques afin de prévenir les risques de monopole, ou d’arrêt de chaîne de fabrication. Lorsqu’une PME met la clé sous la porte, il faut soit régénérer une capacité de construction de pièces de rechange, ce qui s’avère très difficile, soit les acheter à l’étranger si elles existent, ce qui est coûteux et crée une autre dépendance.

Quelles sont les solutions possibles pour intégrer davantage les PME à ce « nouveau partenariat MCO aéronautique » que vous appelez de vos vœux ?

Général Paloméros : Il existe une mission PME-PMI au sein du ministère et la Délégation générale de l’armement (DGA) a une responsabilité particulière en la matière. Par ailleurs, même si la SIMMAD s’appuie plutôt sur les grands maîtres d’œuvre industriels, elle doit être en mesure d’appréhender l’organisation des filières afin d’évaluer la robustesse du système et d’évaluer les risques éventuels. Nous ne pouvons avoir cette démarche que si tout le monde travaille en pleine transparence et nous ne pouvons pas le faire seuls : avoir la capacité de déterminer quels sont les points de fragilité et les points de faiblesse des contrats que nous passons est indispensable, car le jour où la chaîne ne fonctionne plus, ce sont nos flottes qui s’arrêtent, ou les coûts qui explosent en raison de la disparition de tel ou tel sous-traitant. Nous sommes donc directement concernés et il est important que nous maîtrisions l’ensemble de ces données.

Autre élément susceptible de contribuer à l’amélioration de ce processus : le découplage en deux parties de la SIMMAD avec la partie opérationnelle – la plus importante – à Bordeaux, et la partie stratégique détachée à Paris près des donneurs d’ordre.  Elle contribuera ainsi au sein du ministère à l’élaboration de la stratégie du MCO, et ce, en pleine synergie avec les grands programmes, dans la mesure où le MCO prend d’abord naissance dans la constitution et la conception d’un programme.

Cette volonté d’intégration du MCO dès la conception d’un programme reflète-t-elle une tendance nouvelle ?

Général Paloméros : Cela a toujours été le cas, mais peut-être en avions-nous moins conscience. Cela se faisait heureusement, sinon nous n’aurions pas fait voler des milliers d’avions depuis des décennie. La DGA était par le passé responsable de l’ensemble du problème et traitait aussi bien les programmes d’armement que le MCO. Au début des années 2000, nous avons changé d’organisation, afin que les attributions des uns et des autres soient davantage focalisées. La création de la SIMMAD répondait à cette logique, afin qu’un organisme spécialisé se concentre à part entière sur la gestion du MCO.  Les équipes de programmes intégrés précédemment évoquées incluent des le départ cette dimension du soutien, ce qui est loin d’être aisé, car quand on conçoit un avion et qu’on le développe, on apprend beaucoup et le soutien n’est pas la première dimension qui vient à l’esprit. Le but initial est avant tout de faire voler l’avion et la question très vaste du soutien n’intervient qu’ensuite : comment va t-on faire pour le soutenir dans le temps, quelles sont les échéances, quelles sont les perspectives d’obsolescence de tel ou tel composant. Savoir si les composants électroniques d’aujourd’hui seront encore fabriqués dans cinq, dix ou quinze ans fait partie de cette problématique complexe. L’exemple de l’A400M aujourd’hui illustre parfaitement cet effort d’appliquer les bonnes pratiques, en ce sens qu’il s’agit de notre futur avion de transport.

Comment intégrez-vous l’évolution de la menace dans l’évaluation de vos besoins en MCO ?

Général Paloméros : C’est effectivement la bonne équation et si elle était simple, nous ne serions pas là !

Comment ont fait nos prédécesseurs ?

Nous avons connu la Guerre froide, puis nous sommes passés sans transition aux opérations, à la « guerre chaude », avec la guerre du Golfe voici vingt ans. Le principe qui prévalait alors était simple : il reposait sur la constitution de parcs assez nombreux. Nous disposions à l’époque d’environ six cent à six cent cinquante avions de combat et les avions en stock à Châteaudun  servaient à reconstituer les flottes en cas de pertes ou en cas d’indisponibilité en raison de visites périodiques ou des visites plus lourdes (les GV). Il existait de surcroît des stocks de précaution très importants et de nombreux entrepôts, héritage de la Guerre froide et situés en retrait des premières lignes  au centre et dans le sud-ouest de la France. Nous avions donc là toute une chaîne bien rodée, mais relativement coûteuse. Les budgets de la défense de cette époque s’avéraient également proportionnellement plus élevés qu’à l’heure actuelle. Face d’une part aux contraintes budgétaires et d’autre part à la modernisation de nos appareils, notre politique a progressivement évolué vers une diminution drastique de nos stocks.

Aujourd’hui, la question que vous me posez n’a pas de réponse simple et définitive : il faut que nous trouvions en permanence ce juste équilibre entre les stocks nécessaires stratégiques et les possibilités financières dont nous disposons pour les générer. Immobiliser un stock est coûteux, mais nous ne pouvons pas adopter un raisonnement purement économique dans la mesure où le « zéro stock » ne correspond pas à nos critères de réactivité opérationnelle. Nous ne pouvons pas non plus mobiliser des stocks importants par sécurité, dans la mesure où nous n’en avons pas les moyens : c’est bien sûr là que réside toute la difficulté…

C’est une bonne question, car c’est une autre façon de présenter les choses et c’est l’autre partie de l’équation du MCO aéronautique. Dans cette équation, une partie de la réponse vient de l’outil industriel privé et étatique : quelles sont les capacités de ce dernier à générer dans les délais et les coûts impartis ces pièces dont nous avons besoin ? Ici également le SIAé joue un rôle important, pour sa proximité des forces. Comme il s’agit d’un outil étatique à notre disposition, nous pouvons en effet en cas de nécessité et de besoin opérationnel urgent lui demander d’accélérer ses cadences et d’adapter son fonctionnement. Il faut souligner que c’est de plus en plus le cas aussi avec l’industrie, mais moyennant des coûts évidemment élevés. Cela étant, nous pouvons demander au SIAé d’augmenter ses cadences pour produire un peu plus si c’est nécessaire, à condition qu’il ait la ressource et que l’industriel lui fournisse les pièces. C’est là que je reviens sur mon cercle vertueux qui doit intégrer chacun des acteurs. C’est la raison pour laquelle face aux défis du MCO qui sont les enjeux opérationnels futurs, à savoir une satisfaction maximale des contrats opérationnels, la seule solution réside dans une forme de partenariat avec l’industrie, afin d’être certain que le jour où nous aurons besoin de remonter en puissance, l’industrie elle-même pourra augmenter ses cadences : une question évidemment compliquée par les problèmes potentiels d’approvisionnement en matières premières, de main d’œuvre, de ryhthme à soutenir, etc. Il est en effet impossible d’entretenir l’outil industriel en permanence au niveau que l’exigerait une crise majeure. Il faut donc essayer de trouver le juste équilibre en définissant les éléments stratégiques difficiles à régénérer en quelques mois ou en quelques semaines. Il faut dans ces cas précis disposer d’un minimum de stocks, alors que pour les pièces de rechange moins lourdes, une augmentation de cadence serait suffisante.

Face aux défis du MCO qui sont les enjeux opérationnels futurs, à savoir une satisfaction maximale des contrats opérationnels, la seule solution réside dans une forme de partenariat avec l’industrie, afin d’être certain que le jour où nous aurons besoin de remonter en puissance, l’industrie elle-même pourra augmenter ses cadences.

Un effort de diversification de nos sources d’approvisionnement s’avère également une garantie face aux risques de rupture potentiels, ce qui n’est pas sans poser de problème pour certains sous-traitants face à la délocalisation. Une analyse objective est à faire par rapport à nos approvisionnements,  dans la mesure où nous ne pouvons pas nous permettre une rupture de stock : il est clair que l’on se situe dans un domaine stratégique et régalien, en ce sens qu’il concerne des industries beaucoup moins délocalisables que dans d’autres secteurs industriels.

Voila donc mes problèmes et mes perspectives pour gagner le combat du MCO aéronautique!

Crédit photo : Armée de l'air

 Vous avez mentionné tout à l’heure le moral des troupes : comment adressez-vous l’inquiétude d’un découplage pilote-mécanicien potentiel qu’a fait naître la réforme ?

Général Paloméros : De mon point de vue, il s’agit là d’une présentation un peu artificielle, dans la mesure où les pilotes et les mécaniciens travaillent toujours sur les mêmes bases, sont toujours en contact, et ont une mission commune qui est la mission opérationnelle : les mécaniciens sont là pour faire voler les pilotes et les pilotes ne volent que parce que les mécaniciens sont là pour les faire voler. Lorsqu’il a fallu choisir une nouvelle organisation dans la réforme, la difficulté a résidé dans la décision de casser un modèle ancien que nous avions connu et où tout était intégré et de réinventer un modèle nouveau destiné à tirer parti de toutes les compétences en les réunissant. Ce type de réformes crée toujours quelque part une fracture, quelle que soit l’organisation ou l’entreprise ;  je pense qu’aujourd’hui cette fracture potentielle est résorbée, en ce sens que nous avons recréé des instances permettant de maintenir le dialogue entre la partie très opérationnelle et la partie du soutien opérationnel technique, mais encore une fois, tous vivent au sein de l’armée de l’air sur une même base aérienne : ils sont très proches et donc continuent à vivre ensemble. Qui plus est, lorsque nous déployons des unités sur des théâtres d’opération, nous reconstituons cette unité car il est essentiel en opération d’avoir une unicité de commandement et une proximité : c’est ce qui se passe en Afghanistan à l’heure actuelle où les escadrons intègrent pilotes et mécaniciens dont le but commun est la mission opérationnelle au quotidien. Sur nos bases en métropole, le problème est de générer une disponibilité : nous avons donc là deux perspectives et deux dimensions différentes : le travail quotidien fourni sur les bases aériennes selon des horaires de travail agrées ne peut se comparer aux activités opérationnelles, pour lesquelles le rythme dépend du besoin, le personnel s’adaptant en permanence aux besoins. C’est ainsi que le taux de quatre-vingt dix pour cent de disponibilité est atteint en OPEX. Nous avons donc deux modes de fonctionnement différents, mais cela ne signifie pas fracture : pour moi, la solidarité et le travail en commun sont un élément essentiel de l’état d’esprit et de l’efficacité opérationnelle de l’armée de l’air.

Nous mettons donc tout en jeu pour que cette synergie soit pérennisée sous des formes différentes au sein de cette nouvelle organisation, notamment grâce à l’existence de bureaux de coordination permettant aux uns et aux autres de bien travailler ensemble et de bien comprendre leurs contraintes respectives. A l’inverse, si nous n’avions pas entrepris cette évolution, nous aurions conservé des organisations dispersées, dont l’efficacité aurait été bien moindre que celle obtenue aujourd’hui. Nous étions de toutes façons confrontés à la réduction du nombre de personnels et les grands facteurs structurants mentionnés précédemment pesaient sur nous : il nous a fallu réunir nos forces au risque de perdre progressivement pied. Nous n’avons pas mené cette réforme par plaisir, mais par besoin, afin de tirer partie de ressources rares : ce sont en effet des compétences rares que nous assumons aujourd’hui.

Avec l’introduction de matériels modernes, nos mécaniciens doivent de fait devenir de plus en plus polyvalents, car un système comme le Rafale s’entretient d’une manière assez globale, ce qui demande encore plus d’expertise que par le passé et se révèle aussi très motivant. La maintenance moderne est très motivante pour les jeunes qui nous rejoignent aujourd’hui, en ce sens qu’ils disposent d’outils absolument extraordinaires et ont une véritable responsabilité à exercer : ils sont ainsi à la pointe de la technologie et à la pointe de l’opérationnel.

Bien-sûr, certains doivent encore travailler sur matériel ancien, mais nous modernisons progressivement nos flottes, notamment avec notre avion de transport.

 ET à terme avec le MRTT ?

Général Paloméros : Avec le MRTT, ce serait parfait : ce serait un gain considérable. L’entretien serait réalisé sur une base de cellule d’industriels tout en conservant bien évidemment une capacité opérationnelle. Le MRTT permettrait de remplacer trois flottes différentes : nos avions de transport stratégiques A340 et A310, mais aussi nos ravitailleurs de cinquante ans. Il s’agit pour moi d’un véritable objectif avec une efficacité n’ayant aucune mesure avec nos avions actuels, et cela sur une plateforme de type A330 que l’on connaît et qui est très efficace et très rentable : c’est un bel objectif de modernisation.

Avitaillement en carburéacteur F-34 d’un Alphajet de l’Escadron 5/2 Côte d’Or  par un militaire du DEA (Dépôt d’Essence Air) sur la Base Aérienne 102 de Dijon Longvic  Crédit photo : Mise bord d’un Alphajet de l’Escadron 5/2 Côte d’Or, Sandra Chenu-Godefroy, BA102, Dijon, juin 2011