Depuis votre entrée en fonction à la tête de la SIMMAD en octobre 2010, comment décririez-vous le chemin parcouru et quels sont les champs d’action sur lesquels vous travaillez actuellement ?
La principale différence aujourd’hui par rapport au début de mon mandat est que la répartition des responsabilités en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO) est maintenant clairement définie. Le partage des fonctions par milieu relève de la responsabilité de l’Etat-major des armées, une tâche qui n’est pas toujours évidente : par exemple, la SIMMAD a la responsabilité des camions de pompiers des aérodromes, laquelle aurait pu revenir à la SIMMT (structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres): ceci a été parfaitement défini et il n’y a maintenant ni redondance, ni lacune entre les différents services de soutien. La SIMMAD est responsable de la mise en cohérence des actions relatives au MCO aéronautique, soit en étant légitime pour les faire réaliser soit comme simple expert au profit des armées, voire de l’Etat-major des armées. La situation n’est toutefois pas figée et les discussions continuent en vue de l’optimisation de l’organisation globale et du fonctionnement d’ensemble du MCO. Nous essayons d’avoir un système sur mesure et évolutif en fonction des contraintes et nous traitons différentes problématiques, dont deux méritent d’être soulignées
1. Premier objectif : l’optimisation de l’ensemble NSO/NSI
Les états-majors d’armée déterminent ce qui relève du soutien fait par les opérationnels, en particulier ce qui doit être réalisé en opérations, et demandent à la SIMMAD de contractualiser ce qui doit être fait par les industriels. La difficulté majeure réside dans le fait que l’objectif n’est pas d’optimiser le NSO (niveau de soutien opérationnel) d’un côté et le NSI (niveau de soutien industriel) de l’autre, mais les deux dans un ensemble cohérent et différents travaux de réflexion dans ce domaine sont en cours. Il y a donc toujours des curseurs à régler en vue d’une optimisation NSO-NSI sur le périmètre global NSO + NSI public (Service industriel de l’aéronautique ou SIAé) + NSI privé ; tout ceci doit être réglé au cas par cas pour trouver l’optimum global et non l’optimum de chaque secteur. Parmi d’autres facteurs, la technologie et la complexité des outils nécessaires pour faire certaines opérations de maintenance constituent des éléments de réglage des curseurs. Les cinq plateaux techniques que nous avons développés depuis 2006 contribuent à cette démarche consistant à tendre vers une optimisation en temps réel de l’outil global de production, notamment en réfléchissant entre industriels et opérationnels sur la criticité des matériels et sur une meilleure définition des priorités permettant au final de réduire les temps d’immobilisation des aéronefs. Face aux besoins des opérationnels, les industriels peuvent mener des études d’adaptabilité de leur outil de réparation par rapport à des pannes récurrentes ; à l’inverse la recherche de panne doit être optimisée pour ne pas saturer les capacités de maintenance aval : la moitié des matériels sur les bancs de test sont en panne non reproduites.
Autre facteur de complexité, le milieu aéronautique ne dispose que de peu d’offres intégrées de soutien, en ce sens qu’il est rare qu’un industriel couvre la totalité du périmètre « cellule, moteurs et équipements ». Les contrats verticaux couvrant la totalité d’un système donné sont rares, les contrats horizontaux (par type d’équipements) couvrant plusieurs aéronefs sont plus fréquents. Par exemple, pour des raisons de simplification et d’évaluation de performances plus aisée, l’Etat souhaitait avoir un seul intervenant sur le soutien de l’A400M ; mais ce ne sera pas le cas faute d’offre globale et le moteur sera traité séparément du reste de l’aéronef. Dès lors, la SIMMAD devient l’intégrateur de soutien et doit assurer la cohérence des différents contrats concernant un même aéronef.
2. Deuxième objectif : affiner les besoins de soutien selon l’emploi opérationnel et l’entraînement
Bien que certains équipements soient communs, l’organisation du soutien pour un aéronef d’entraînement et un aéronef opérationnel n’est pas la même du fait de besoins de soutien différents à satisfaire. Par exemple les équipements communs à l’Alpha Jet et au Mirage 2000. A priori on ne sait pas à l’avance sur quel aéronef va être installé l’équipement ce qui rend difficile l’optimisation des performances attendues et le partage de risques entre l’État et le prestataire. Nous devons raisonner globalement et intégrer une logique de supply chain, de calcul de besoins et de gestion de risques, qui aboutit à un pilotage du taux de service du stock. Nous avions précédemment des outils qui ne nous permettaient pas d’identifier sur quel appareil était consommé un équipement, nous attendons l’arrivée de nouveaux systèmes d’information pour bien ségréguer l’emploi de chaque équipement sur un aéronef ou sur un autre, de façon à avoir de vrais calculs de consommation. A ce moment-là seulement, on pourra associer des taux de service différents selon l’aéronef considéré. Ce nouveau système d’information s’appelle COMP@S-ATAMS (la partie centrale dite COMP@S s’occupe de la supply chain et fera les calculs ; ATAMS, la partie locale, est déjà en exploitation). Avec la synthèse globale des consommations on pourra effectuer le calcul des nouveaux besoins. On espère voir ce système opérationnel en décembre 2013 sur un premier périmètre.
Le bilan Harmattan a prouvé que l’efficacité du soutien opérationnel n’était pas remise en cause, mais la question qui perdure est la suivante : peut-on encore améliorer l’efficience du soutien de l’activité d’entraînement ? On entretient les matériels aériens pour moitié parce qu’ils existent. Même s’il ne vole pas, un aéronef doit être entretenu : c’est l’entretien calendaire de base permettant simplement de voler. L’autre moitié de l’entretien est du à son emploi qui induit de l’usure et des pannes, particulièrement dans le domaine militaire où les conditions d’emploi sont beaucoup plus contraignantes que celles des compagnies aériennes. On entretient un appareil pour l’utiliser, soit dans un cadre opérationnel comme au Mali en ce moment, soit dans les activités d’entraînement. L’objectif du MCO est donc de soutenir et d’entretenir l’activité d’entraînement à moindre coût et en même
temps d’être efficace dans le soutien de l’activité en opération. Autant l’activité en métropole est prévisible : on sait combien d’heures de vol par an, quel type d’aéronef, quelle configuration, quels armements, quels exercices seront à soutenir car tout cela est programmé. Autant l’activité en opération est aléatoire. Comme avec Harmattan et Serval maintenant, où il a fallu faire preuve d’une grande réactivité et d’une forte capacité de soutien de nos militaires sur le terrain, la logique en opération est plus l’efficacité que l’efficience, mais les deux systèmes (opération et soutien de l’entraînement) utilisent des éléments communs. C’est donc une optimisation globale qu’il faut en permanence rechercher.
Lorsqu’une opération extérieure de type Harmattan ou Serval est déclenchée justement, quel en est l’impact direct sur l’activité, voire l’organisation de la SIMMAD ?
Selon la cadence, l’endroit et le type d’intervention extérieure qui a lieu, l’impact de cette dernière sur les modes de fonctionnement de la SIMMAD varie, mais d’une façon générale, on peut distinguer deux types de conséquences :
1. Une diminution de la durée des cycles
En raison d’un temps de décalage par rapport au terrain, les modes de travail de la SIMMAD ne changent pas fondamentalement. Pour Serval, notre fonctionnement est le même : nous travaillons de la même façon pour les avions déployés au Tchad par exemple même si leur nombre a augmenté pendant l’opération. Au niveau organisationnel, la grande variable est en fait le degré de réactivité : notre activité est H24 sous forme d’astreinte (et non de permanence), et les personnels sont bien- entendu plus sollicités et davantage en alerte de façon à répondre aux besoins urgents qui nous sont demandés. La durée des cycles est ainsi plus courte et on assiste à une accélération des processus, ne serait-ce qu’au niveau de la gestion de priorités des uns et des autres. Notre intervention principale pendant ces périodes d’OPEX consiste à faciliter les échanges de matériels entre armées, grâce à la vision interarmées des stocks de chaque armée. Nous faisons également des analyses de faits techniques de façon plus rapide et plus réactive et nous travaillons de concert avec la direction technique de la direction générale de l’armement (DGA-DT) pour répondre aux besoins des forces.
Il y a donc une forme d’inertie dans le système et certains marchés, ayant atteint leur maximum, ont dû être adaptés principalement pour être en mesure de faire face à un volume de réparations ou niveau d’heures de vol supérieurs aux prévisions initiales. Pendant Harmattan, ce fut le cas par exemple pour les avions de ravitaillement en vol C135.
2. Des impératifs accrus en matière de régénération de potentiel
Une opération du type Harmattan ou Serval entraîne généralement à la fois une suractivité et une surintensité au niveau de l’emploi des matériels. Les appareils sont utilisés plus que prévu et sont plus sollicités, parce que l’on tire un peu plus dessus ou parce que les conditions opérationnelles sont différentes. Les matériels vont fatiguer davantage selon les zones en fonction de l’altitude, de la température (les équipements vont chauffer plus ou moins), mais aussi du terrain (sable, cailloux…). On a une bonne habitude du type de problème rencontré en particulier en Afrique, mais on a parfois des surprises, en particulier dans le cas du sable (sa granularité, teneur en silice, etc). On retrouve ainsi régulièrement du sable dans les hélicoptères de retour d’Afghanistan. Le matériau n’est jamais le même et la dégradation va dépendre autant du lieu que de l’intensité de l’emploi. Une telle sur-sollicitation va entraîner un surcroît de maintenance (estimé à 20%), lequel peut avoir pour conséquence, comme ce fut le cas pendant Harmattan, une renégociation de contrats avec les fournisseurs.
En effet, lorsqu’une opération est déclenchée, le NSO (niveau de soutien opérationnel) va instantanément prendre en charge la maintenance des aéronefs sur le terrain tandis que le NSI (niveau de soutien industriel) le fera forcément avec une constante de temps. Une opération, c’est en fait un réservoir de potentiel qui se vide plus vite qu’en entraînement quotidien et qu’il faut donc remplir plus rapidement, mais avec un certain décalage dans le temps. Il y a donc une forme d’inertie dans le système et certains marchés, ayant atteint leur maximum, ont dû être adaptés principalement pour être en mesure de faire face à un volume de réparations ou niveau d’heures de vol supérieurs aux prévisions initiales. Pendant Harmattan, ce fut le cas par exemple pour les avions de ravitaillement en vol C135. Harmattan montre bien la nécessaire intervention de la SIMMAD pour adapter les marchés si le conflit s’inscrit dans la durée ou si son intensité excède les prévisions. Pour Serval, nous n’avons pas eu à ce stade de modification de contrat, mais les implications a posteriori en matière de régénération de potentiel seront les mêmes qu’après Harmattan, à savoir un dialogue étroit avec les industriels pour redéfinir les priorités et ne pas saturer leurs capacités. Ce processus dans le cas d’Harmattan avait été totalement absorbé en fin d’année 2012, juste à temps pour le Mali…
Mais il est évident que l’on ne peut pas toujours tout prévoir et nous travaillons avec les industriels pour régler le curseur du partage de risques entre l’Etat et l’industrie, qui est l’un des fameux curseurs dont j’avais parlé il y a deux ans, au moment où je prenais mes fonctions actuelles [1].
Par exemple pour les moteurs d’hélicoptère plutôt que de faire assumer par le prestataire un risque sur les heures de vols sur théâtre extérieur, avec un prix moyen, nous traitons différemment les vols selon l’environnement dans lequel ils sont réalisés, ainsi c’est l’Etat qui assume le surcout lié à des vols dans des conditions plus contraignantes qu’en métropole. Ce curseur sur le partage du risque entre l’Etat et l’industrie évolue également avec la maturité des aéronefs : plus l’aéronef est mature, plus l’industriel peut facilement prendre une partie du risque en charge. C’est le cas des marchés Rafale Care (Dassault), M88 (SNECMA) et Maestro (Thales pour les équipements et moyens de soutien) qui permettent une optimisation en matière de MCO de l’avion du Rafale
Quelles sont les principales causes d’indisponibilité des matériels et sur quel périmètre intervient la SIMMAD ?
Je distinguerais trois types de causes d’indisponibilité : la panne, la maintenance préventive et les chantiers de modifications affectant la plupart des matériels à l’heure actuelle.
1. La panne
La première cause d’indisponibilité des aéronefs est bien-sûr la panne et le dépannage peut s’avérer une opération complexe aux durées variables. Des systèmes modernes complexes sont connus pour « faire quelques heures de vol entre deux pannes » pour au moins deux raisons.
– La nature des vols, y compris à l’entraînement. En effet, un vol opérationnel comme le long vol record de 9h35, réalisé par le Rafale au lancement de Serval au départ de la base de Saint-Dizier, est un vol en palier pendant lequel l’aéronef fatigue peu, à part quelques phases de forte sollicitation (phase d’attaque et de ravitaillement en vol). En revanche, un avion de chasse sera très sollicité pendant une heure d’entraînement intense d’un pilote, dans la mesure où le but de cet entraînement est d’enseigner au pilote à utiliser l’aéronef dans toutes ses configurations avec de fortes variations de paramètres.
– La configuration des avions de chasse, lesquels disposent de peu d’espace pour insérer des systèmes redondants. Ce qui signifie qu’au moindre signe de défaillance, il faut dépanner, et ce contrairement à un avion civil qui pourra parcourir des milliers de kilomètres avec une panne, en faisant appel à un système redondant pour attendre d’être réparé à la base mère. En cas de panne, il faut donc en premier lieu en identifier la cause et déterminer les actions à mener. Les systèmes nouveaux localisent généralement l’endroit de la panne, mais peinent à remonter à l’origine de la panne : une boite à changer ou problème de connecteur et de câblage. Détecter la cause de la panne nécessite donc une connaissance technique fine et une bonne capacité d’analyse. Pour moi, il est plus compliqué de dépanner que de concevoir un système complexe. Car la conception est réalisée une bonne fois pour toute, alors qu’il n’existe pas deux pannes qui se ressemblent. La formation de nos mécaniciens est d’autant plus cruciale, qu’il s’agisse du Rafale, du Tigre, du NH90 ou de l’A400M.
Après avoir identifié la panne, le dépannage fait intervenir des rechanges : c’est là que la SIMMAD intervient, puisqu’elle a pour responsabilité de commander des matériels consommables et des réparations de matériels réparables auprès de l’industrie. Ces matériels doivent soit être stockés sur le lieu de leur emploi soit pouvoir être déplacés dans un délai acceptable. Si c’est en OPEX, cette démarche et la gestion des priorités s’effectuent en liaison avec la chaîne opérationnelle.
Outre les pièces nécessaires il faut parfois disposer d’une solution de réparation spécifique, élaborée par l’expertise technique dont on dispose au travers de contrats conclus par la DGA ou la SIMMAD avec l’industriel. Cette solution de réparation doit généralement être validée par la DGA-DT. Elle peut soit être réalisée par les forces, soit nécessiter le détachement d’un spécialiste industriel. Il est de ce point de vue intéressant d’avoir du personnel militaire au sein du service industriel de l’Aéronautique (SIAé), apte à partir immédiatement sur un théâtre d’opération.
2. la maintenance préventive
Une autre cause d’indisponibilité relève des contraintes de maintenance préventive, laquelle est de deux types : celle qui est faite sur le théâtre au niveau du NSO et dure entre un et trois jours (il s’agit des visites préventives et journalières, du graissage, etc.) ; celle de plus haut niveau réalisée par le soutien industriel (NSI) et qui peut s’étaler sur une période de un à vingt mois en fonction de la complexité du système. Cette période d’immobilisation correspond pour un aéronef militaire à environ 20% du temps.
Avec les nouvelles générations comme le Rafale, la maintenance est réalisée “selon état”, ce qui très intéressant quand l’aéronef est relativement jeune ; au fur et à mesure qu’il vieillit, le risque augmente d’avoir toujours quelque chose à changer. Nous devons analyser ce concept de maintenance selon état afin de régler le curseur entre maintenance préventive et curative : mon sentiment est que l’on va vers moins de préventif qu’on ne le fait maintenant pour les flottes anciennes, mais aussi vers moins de maintenance selon état qu’on ne le fait actuellement pour le Rafale.
3. Les chantiers de modification
Enfin, la troisième cause d’indisponibilité NSI concerne tous les chantiers de modification effectués sur la base de contrats DGA et consubstantiels à la nécessité de tenir à jour nos avions. En ce moment, de nombreux chantiers sont en cours, car nos aéronefs anciens doivent être remis aux normes pour évoluer dans le ciel européen. Des matériels plus récents sont aussi concernés comme les Rafale F1 (première livraison) qui sont tous en train de passer au standard F3. L’intégration des modifications liées aux urgences opérationnelles pour résoudre une contrainte d’emploi ou de maintenance (un élément difficile à démonter ou placé au mauvais endroit) peut également se faire à l’occasion d’un chantier permettant la mise en conformité et la généralisation de ces améliorations. Conserver l’homogénéité des configurations est la meilleure solution pour gérer les flottes selon leur aptitude à recevoir tel ou tel équipement, mais aussi leur potentiel. C’est particulièrement vrai dans le choix des appareils devant partir en opération sur court préavis : un seul standard permet alors de choisir l’appareil disposant du potentiel maximal avant les prochaines visites. Des standards différents imposent des choix en fonction des capacités opérationnelles (câblages et équipements), au détriment du potentiel avion au risque de devoir réaliser en OPEX certaines opérations de maintenance.
[1] Voir l’entretien avec le général Pinaud publié en juin 2011 dans le numéro 6 de cette revue..