PAR LE GENERAL JEAN-PATRICK GAVIARD
“Les opérations aériennes ont toujours fait l’objet d’un suivi politique serré. Le choix des cibles ou ciblage des objectifs a été, depuis la guerre du Vietnam, le moyen privilégié des responsables politiques pour exercer ce contrôle. Au Kosovo, pendant l’opération « Allied Force », nous avons connu de nombreuses contraintes politiques s’agissant du ciblage planifié. Sur ce chapitre, j’ai deux exemples concrets à évoquer : le premier concerne les attaques des ponts sur le Danube dans le centre de Belgrade; le second les objectifs situés sur le terrain de Podgorica au Monténégro, lesquels furent attribuées par les planificateurs du Centre d’opérations aux Mirages 2000D lors de la première mission du 24 mars 1999.Ces deux exemples me permettront d’illustrer concrètement le fonctionnement de la chaîne de contrôle nationale, depuis le niveau opératif situé sur le théâtre d’opérations, en l’occurrence à Vicenza en Italie, où je me trouvais au sein du centre de commandement et de conduite, jusqu’au niveau stratégique représenté par le Chef d’état major des armées et bien sûr le Président de la République à Paris.
S’agissant des ponts du Danube dans Belgrade, la séquence se situe à la fin de la campagne ou presque, c’est-à-dire au mois de mai 1999 (la campagne aérienne se terminera le 11 juin). Le général Mike Short, commandant de l’opération, avait proposé d’attaquer les ponts sur le Danube dans le centre ville, c’est-à-dire dans Belgrade même, pour comme il le disait alors « couper la tête du serpent ». Cette proposition fut très mal accueillie, en particulier, par le Président J. Chirac, qui savait qu’après la crise et le départ de Milosevic, il faudrait renouer le dialogue avec les Serbes. Car détruire les ponts sur le Danube dans Belgrade, c’était anéantir un symbole politique, culturel et économique. Le Danube est, en effet, comme chacun le sait ici un véritable cordon ombilical reliant de nombreux pays d’Europe centrale. L’unanimité étant de règle au sein de l’Alliance et le Président français ayant mis son veto, les ponts dans Belgrade furent épargnés. Il fallut bien sûr que le Président Chirac explique cette décision au Président Clinton, le Général Kelche au Général W. Clark alors Saceur, et moi-même au Général M. Short. Ce qui ne fut pas facile comme on peut l’imaginer aisément. Illustration concrète qu’au sein d’une coalition, il existe généralement des visions stratégiques différentes et qu’il convient donc de traiter ce problème en amont au risque de faire exploser ladite coalition. J’y reviendrai dans quelques instants.